Brasilia, capitale administrative du Brésil et patrimoine de l'humanité depuis 1987, a fêté son cinquantenaire le 21 avril. Retour sur une ville futuriste aux idées utopistes, sortie d'une terre vaste et isolée au centre du pays en l'espace de seulement cinq ans, de l'imagination notamment de Lucio Costa pour l'urbanisme et Oscar Niemeyer, pour l'architecture.
Ce mercredi 21 avril 2010, toutes les cloches de la ville ont sonné ensemble, des concerts de musique, des spectacles de samba, un feu d'artifice, ont eu lieu pour fêter l'événement : il y a 50 ans - le 21 avril 1960 - était inaugurée en grande pompe la ville de Brasilia, nouvelle capitale administrative du géant sud-américain. Sortie ex nihilo sur une terre poussiéreuse en seulement cinq ans, elle a été commandée par le président Juscelino Kubitschek pour ramener vers les terres intérieures des populations engorgeant les côtes du littoral. Classée patrimoine de l'humanité par l'Unesco en 1987, elle marque l'histoire de l'urbanisme et de l'architecture, ayant fait la réputation de l'architecte Oscar Niemeyer - 103 ans aujourd'hui - qui en signe les plus fameux bâtiments, celle de Lucio Costa, l'urbaniste et enfin celle du paysagiste Roberto Brule Marx.
L'utopie du Plano piloto
A eux trois, ou plutôt quatre en incluant le président Kubitschek, sans qui rien n'aurait été possible, ils ont créé de nouveaux modèles d'urbanisme, d'architecture et d'harmonie urbaine. Brasilia est notamment l'un des symboles de l'architecture moderne, avec ses bâtiments, monuments de bétons, aux courbes artistiques et aux lignes audacieuses. Elle a surtout marqué son temps de par sa démarche utopiste et futuriste pour l'époque. Tous étaient en effet empreints d'une volonté de bâtir la ville d'un monde meilleur - la modernité étant pour eux liée au progrès social - et d'apporter par là-même, la vie dans l'intérieur du pays. Construite à partir de rien et loin de tout, en plein milieu de la forêt vierge à 1.000 km des côtes, mais portée par un optimisme sans faille.
Le chantier fut d'ailleurs titanesque : les ouvriers ont travaillé 24h/24, dans des conditions extrêmement difficiles pour que soit tenue la promesse faite par Juscelino Kubitschek, de réaliser «50 ans de progrès en cinq ans». Sa construction fut lancée en 1957, après que Lucio Costa remporte le projet, avec son Plano piloto - plan pilote - en forme d'avion ou de croix. En axes droits et structures linéaires, propres à l'urbanisme contemporain. «Les ailes (sud et nord) sont constitués d'un axe routier et d'axes latéraux (est-ouest) intégrés et bordés de grands secteurs résidentiels, composés d'ensembles longitudinaux de trois ou six blocs, séparés perpendiculairement par des voies où fonctionnent des commerces, des écoles et des ères de loisirs», explique Cêça de Guimaraens, architecte et professeur, sur le site de l'ambassade du Brésil en France. L'ensemble des quatre 'super-blocs' ainsi constitués s'appelle «Unité de Voisinage», chacune étant affectée à une fonction donnée : l'habitat, les lieux de pouvoirs, les espaces verts, les lieux de travail et de service.
Retrouvez la suite de l'article (Les courbes sensuelles de l'architecture de Niemeyer ; Brasilia le paradoxe ; Une ville vivante), illustrée de photos de Brasilia tirées des archives du Ministère des affaires étrangères brésilien, en cliquant sur suivant.
Les courbes sensuelles de l'architecture de Niemeyer
Là où Lucio Costa constitue les lignes droites, le facétieux architecte Oscar Niemeyer imagine les courbes. Sur les bras de la croix se déploient les prestigieux bâtiments officiels qui ont fait sa renommée. Citons ainsi l'extraordinaire cathédrale ou encore, le Parlement en deux sphères inversées... C'est d'ailleurs notamment avec ces courbes, que l'on dira de l'architecte qu'il se détacha de l'influence de Le Corbusier, dont il fut le disciple, pour imposer son propre style.
En 1961, le cosmonaute Youri Gagarine arrive à Brasilia et sa réaction est restée célèbre : «J'ai l'impression de débarquer sur une planète différente, pas sur la terre». Oscar Niemeyer, ne dit-il pas lui-même : «Tu peux aller à Brasilia, tu peux aimer ou ne pas aimer, mais tu ne peux pas dire que tu avais déjà vu avant une chose pareille !»
Brasilia, le paradoxe
Aujourd'hui, Brasilia a-t-elle remplie son rôle de nouveau modèle de société urbaine ? Si elle a apporté la vie à l'intérieur des terres - conçue pour 600.000 habitants prévus en 2000, elle en accueille cinq fois plus aujourd'hui - son confort est aujourd'hui décrié par beaucoup et surtout, elle est paradoxalement marquée par les disparités sociales. Non seulement secouée par des scandales de corruption et devenue une ville livrée aux voitures et aux embouteillages - car sans trottoir - elle souffre de ses espaces trop cloisonnés et surtout, de beaucoup de discriminations sociales et de pauvreté, notamment au sein des bidonvilles qui l'entourent. D'aucuns pourraient y voir peut-être, un sacré coup porté au modèle social prôné. Mais, de par son classement au Patrimoine Mondial, il est impossible de toucher au Plano piloto initial. Cela n'empêche pas d'essayer de trouver des solutions : dans une interview accordée au magazine Sciences et Avenir en 2007, des géographes expliquaient ainsi travailler au rééquilibre du développement de Brasilia, en réfléchissant notamment à reprendre «les quatre échelles urbaines définies à l'origine par Costa - l'habitat, les lieux de pouvoirs, les espaces verts, les lieux de travail et de services - de les réinterpréter à l'aune de ce qu'est Brasilia aujourd'hui et de les élargir à l'ensemble de l'agglomération.»
Une ville vivante
Reste aussi les habitants qui, malgré tout, ne se départissent pas de leur fierté d'habiter cette ville. Sur le site officiel célébrant le cinquantenaire, l'on retrouve également "50 pistes pour une meilleure Brasilia", mélange de conseils de "mieux-vivre ensemble" en famille et en ville : "se dire bonjour dans la rue", "l'union fait la force" pour les études, "dire non à la violence", "respecter les cyclistes", "lutter contre l'illettrisme", "promouvoir le dialogue familial, avec par exemple la lecture de conte" ou encore "respecter l'environnement" et "économiser l'eau", pour ne citer que quelques exemples.
Oscar Niemeyer le reconnaît dans une interview accordée à nos confrères suisses du magazine Les Urbanités, le projet initial de Lucio Costa s'est affaibli sous l'effet de la masse. «Il est évident que Brasilia s'est étendue de façon vertigineuse (...) la ville se trouve donc profondément affectée par le désordre urbain (la circulation est infernale), par la violence due aux disparités socio-économiques de ses différents secteurs, et enfin, par tout ce qui rend méprisables les métropoles capitalistes». On ne se refait pas ! Mais précise-t-il, elle peut toujours «représenter un désir de renouveau» et il espère qu'elle réussira à devenir une «ville plus humaine et accueillante.»
Un chantier titanesque
Quand la volonté d'un président permet l'impossible : Brasilia est née en cinq ans. Construite à partir de rien et loin de tout, en plein milieu de la forêt vierge à 1.000 km des côtes, mais portée par un optimisme sans faille
Promesse de renouveau
Tout a été fait pour que soit tenue la promesse faite par le président Juscelino Kubitschek, de réaliser «50 ans de progrès en cinq ans».
Palais
Ministère des affaires étrangères à Brasilia
Classée patrimoine de l'humanité par l'Unesco en 1987, elle marque l'histoire de l'urbanisme et de l'architecture, ayant fait la réputation de l'architecte Oscar Niemeyer - 103 ans aujourd'hui - qui en signe les plus fameux bâtiments, celle de Lucio Costa, l'urbaniste et enfin celle du paysagiste Roberto Brule Marx.
Memorial JK
Mémorial à la mémoire du président Juscelino Kubitschek
Dômes
Dômes du Congrès national de Brasilia
Là où Lucio Costa constitue des lignes droites, avec son fameux «Plano piloto», le facétieux architecte Oscar Niemeyer imagine les courbes. Les prestigieux bâtiments officiels qu'il dessine pour la ville ont fait sa renommée. C'est d'ailleurs notamment avec ces courbes, que l'on dira de l'architecte qu'il se détacha de l'influence de Le Corbusier, dont il fut le disciple, pour imposer son propre style.
Oscar Niemeyer est également l'architecte du siège du PC à Paris, place du Colonel Fabien, qui adopte cette allure demi-sphérique.
Parlement
Autre vue du dôme inversé du Congrès national de Brasilia, à l'arrière, le drapeau brésilien flotte depuis une antenne de télévision.
Parlement
Monument
'Os Candangos' ou 'Os Guerreiros', de Bruno Giorgi
L'art est présent dans la ville, que cela soit par les bâtiments eux-mêmes ou par les sculptures.
A l'intérieur de la cathédrale
La cathédrale de Brasilia est le bâtiment le plus connu d'Oscar Niemeyer. Son dessin symbolise des bras élevés en prière.
Brasilia aujourd'hui
Aujourd'hui, Brasilia, souffre de nombreuses disparités sociales et économiques et est également secouée par des scandales de corruption. Son modèle urbain est désormais décrié. Prévue à l'origine pour accueillir 600.000 habitants en 2000, elle en compte cinq fois plus en 2010 ! Elle reste néanmoins portée par la fierté de ses habitants.