BAROMETRE. Décret tertiaire publié puis suspendu, annonces de différentes politiques environnementales... l'année 2017 a été riche en rebondissements pour l'immobilier de bureaux. Mais où en-est exactement le parc français ? L'OID fait le point grâce à la base de données Taloen.
Le début de l'année est toujours l'occasion, pour l'Observatoire de l'Immobilier Durable (OID) de faire le point sur les performances du parc français. Ce qui permet de suivre l'évolution des performances de certaines catégories de constructions, tels les immeubles de bureaux. Loïs Moulas, le directeur général de l'Observatoire, annonce : "Les principaux indicateurs du Baromètre 2017 portent cette année sur l'analyse de 7.000 bâtiments, totalisant 27 millions de m² et présentant une consommation de 3,1 TWh d'énergie finale, ce qui correspond environ à 1,1 % des consommations de tout le parc tertiaire". L'échantillon, d'envergure, donne donc une bonne idée de l'état et des performances des immeubles tertiaires dans l'Hexagone.
L'ensemble des données sont issues de Taloen, la base de données maison qui sert de référence aux acteurs de l'immobilier pour procéder à des comparaisons (benchmark). Premier résultat, d'ordre général, la performance énergétique des constructions tertiaires progresse légèrement avec une consommation moyenne d'énergie primaire de 422 kWh/m².an (-1,6 % par rapport à 2016). "En énergie finale cela correspond à 193 kWh/m².an (+0,5 %). En termes d'émissions de gaz à effet de serre, 20 kg CO2/m².an (-4,7 %). En consommation d'eau 0,33 m3/m².an (-27 %) et en production de déchets 5 kg/m².an (-11 %)", précise-t-il. Les chiffres sont donc globalement meilleurs qu'en 2016. Traduits sur l'échelle du diagnostic de performance énergétique (DPE), cela donne une prédominance de classements "E" et "D". "Les bureaux certifiés font un peu mieux, avec 398 kWh/m².an", ajoute le directeur général qui note que ces derniers se retrouvent principalement en Île-de-France (44 % des cas) et qu'ils sont de grande taille, avec des superficies supérieures à 10.000 m² (51 %). Ces deux caractéristiques, qui indiquent qu'il s'agit de sièges sociaux d'entreprises, impliquant donc un haut niveau de service, expliquent la faible différence par rapport à la moyenne générale de tous les bureaux.
Quid des rénovations tertiaires ?
Concernant les bâtiments tertiaires rénovés depuis 2008, la performance est légèrement meilleure avec 370 kWh/m².an. "Mais l'échantillon est faible, avec 55 références", note Loïs Moulas. De la même façon que les bureaux certifiés, une grande partie de ces bâtiments sont implantés à Paris ou en Île-de-France (41 %) et présentent de grandes superficies (49 %). "Nous sommes cependant loin de l'objectif de 250 kWh/m².an initialement envisagé", souligne-t-il. Le décret tertiaire a d'ailleurs connu des péripéties en 2017, avec une publication au début du mois de mai, avant qu'un recours ne soit formé par certaines branches professionnelles du commerce et de l'hôtellerie auprès du Conseil d'Etat qui a donc suspendu l'application du texte en attendant de l'examiner. "Il n'y a donc toujours pas d'obligation de rénovation thermique", commente Anne-Lise Deloron, directrice adjointe du Plan Bâtiment Durable. "Le Conseil d'Etat doit encore se prononcer sur la légalité du texte. La décision pourrait arriver pendant l'été 2018… Devant l'imbroglio généré, la tension des services juridiques concernés et surtout face à la cristallisation de l'action, le Plan Bâtiment Durable a relancé sa démarche d'engagement volontaire en publiant une version 2 de la Charte Tertiaire". Cette dernière, lancée en octobre 2017, confirme les engagements d'amélioration énergétique du parc immobilier des sociétés pionnières et s'enrichit de nouveaux aspects liés à l'empreinte carbone et à l'usage d'énergies renouvelables. "Nous avons à ce jour 120 signataires, plus une dizaine en attente, qui composent un cercle d'acteurs volontaires", glisse-t-elle. Le Baromètre de l'OID fait bien apparaître une amélioration des performances énergétiques après rénovation.
Du côté des bâtiments dédiés au commerce, les performances varient grandement selon si l'on observe le périmètre bailleur (seulement 184 kWh/m².an) ou le périmètre preneur (1.360 kWh/m².an). Les entrepôts de logistique, quant à eux, ne consomment que 270 kWh/m².an en moyenne, mais là aussi, de grandes disparités existent notamment avec la présence de chambres froides : "Dès qu'il y a du froid négatif, ces consommations dépassent les 600 kWh/m².an", souligne Loïs Moulas. Des grands écarts que le co-fondateur de Deepki, Emmanuel Blanchet, se fait fort d'analyser : "En utilisant la data, on peut distinguer différents niveaux : on peut 'explorer' une base de données, mais on peut également 'segmenter' et identifier des typologies intéressantes en créant des 'clusters' plus fins". Le spécialiste poursuit : "Les profils de consommation sectoriels sont très différenciés. Des bureaux ne consomment pas comme des commerces, ni comme des restaurants. Il est donc plus pertinent de se comparer à des bâtiments comparables pour déterminer si une intervention est nécessaire". Lui aussi note l'impact positif des rénovations qui amènent une baisse des consommations. "De la même façon, on constate l'impact de la sensibilisation des locataires", renchérit-il. Une opération qui se traduirait par une réduction de la consommation de -10 à -15 %.
Data mining, machine learning, energy management…
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Le spécialiste précise que les valeurs impactantes sur les performances énergétiques sont en priorité la surface, puis la localisation géographique et la typologie de bâtiment, devant l'énergie de chauffage retenue (électricité, gaz, réseau de chaleur). Il propose donc différentes classes de constructions homogènes, à la granulométrie plus fine : par exemple des "petits sites récents", des "bureaux haussmanniens" ou encore des "gros sites localisés à La Défense", qui présentent des profils relativement similaires. En allant encore plus loin, Emmanuel Blanchet annonce qu'il est possible de réaliser des calculs prédictifs au moyen d'algorithmes avancés. En multipliant les comparaisons et en enlevant successivement différentes caractéristiques de l'équation, on obtient ce qu'il appelle une "forêt d'arbres décisionnels aléatoire" (random forest) qui permettent aux machines d'apprendre pour ensuite fiabiliser automatiquement les données. Il devient ainsi facile de détecter des bâtiments "intrus" dans leur propre classe, en raison de performances en dehors de la moyenne. Un outil qui servira donc à mieux gérer les parcs immobiliers afin d'en améliorer toujours les performances.
Anne-Lise Deloron rappelle également que le Plan Climat, annoncé par Nicolas Hulot en juillet 2017, et qui structurera la politique environnementale du pays pour tendre vers la neutralité carbone en 2050, mettra l'accent sur l'éradication des passoires thermiques mais également sur la rénovation des bâtiments publics, et en particulier ceux du monde de l'éducation. La directrice adjointe du Plan Bâtiment Durable, dont le rôle a été confirmé et amplifié pour accompagner ces rénovations énergétiques, ajoute : "Il y aura en 2018 une évolution de la base légale du décret tertiaire, jusque-là basé sur Grenelle II et la loi de Transition énergétique. La loi Evolution du Logement et Aménagement Numérique - ELAN - contiendra un article spécifique qui fixera des objectifs pour 2030, 2040 et 2050. Les modalités sont en cours d'élaboration, mais un objectif de -40 % de consommations semble atteignable en 2030". Restent certains points à éclaircir, comme l'année de référence servant à fixer cette cible, le périmètre exact ou le devenir des bâtiments labellisés. Mais pour y parvenir, c'est une consommation de 257 kWh/m².an qu'il faudra atteindre. "D'où l'importance de l'energy management et donc, du libre accès à la donnée", conclut Loïs Moulas.