DECRYPTAGE. Par une ordonnance du 11 juillet, le Conseil d'Etat a donné le coup de grâce au décret relatif aux obligations de performance énergétique des bâtiments tertiaires. Analyse.

Echec et mat ! Après avoir suspendu le premier volet du décret du 9 mai relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments tertiaires (dit "décret tertiaire"), le Conseil d'Etat vient de suspendre le deuxième volet. C'est le plus important, car il concerne les objectifs d'économies d'énergies prévus par le texte pour les dits bâtiments (25% d'ici 2020).

 

Le juge des référés a été sensible à l'intégralité, ou presque, des arguments des fédérations du commerce et de l'hôtellerie (1) qui attaquaient ce décret, concluant qu'il existait un "sérieux doute" sur la légalité du texte, et que "la condition d'urgence prévue par le code administratif était remplie" - ce qui signifie que le juge a été sensible aux arguments des requérants sur le fait que ce texte devait être urgemment mis "hors d'état de nuire".


Le juge des référés a repris à son compte l'ensemble des arguments des fédérations

 

Pour motiver sa décision, le juge s'est appuyé sur plusieurs arguments, en fait ceux avancés par les fédérations requérantes. Comme Batiactu, qui a assisté aux débats au Conseil d'Etat le 6 juillet dernier, vous l'expliquait, il a rappelé que fixer cette obligation de réduction de 25 % de la consommation énergétique des bâtiments d'ici 2020 était illégal, dans la mesure où "la loi impose un délai de cinq ans entre la publication du décret [en l'occurrence, le 10 mai 2017] et la date à laquelle les obligations de performance énergétique doivent être respectées" (en vertu de l'article L.111-10-3 du code de la construction et de l'habitat).

 

Ce n'est pas tout : le texte, pour le juge, méconnaît le principe de sécurité juridique en fixant des objectifs à trop courte échéance (entre mai 2017 et janvier 2020) et ne module pas les obligations en fonction du type de bâtiments tertiaires concernés. Autre point noir, celui de l'absence de l'arrêté, pourtant prévu par le décret, faisant que "les personnes assujetties aux nouvelles obligations prévues par ce texte devraient d'ores et déjà engager des travaux sans connaître le seuil alternatif exprimé en kWh/m²/an prévu par la loi". Autrement dit, impossible de faire appliquer un décret alors même que les personnes concernées n'ont pas devant eux toutes les options possibles.

 

"C'est reculer pour moins bien sauter", regrette Philippe Pelletier

 

"Dommage, vraiment dommage, car le texte, malgré ses maladresses sans portée, montrait aux grands acteurs le chemin qu'il faudra suivre et que beaucoup déjà empruntaient. Reculer pour moins bien sauter n'a jamais représenté une stratégie qui vaille !", a commenté Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable, dans un communiqué de presse. Après avoir défendu ce décret dans nos colonnes, Philippe Pelletier nous affirmait le 11 juillet 2017 que "quelle que soit la décision du Conseil d'Etat, l'important était de maintenir la dynamique de l'action. Nous allons nous attacher à continuer à développer la charte d'engagement volontaire, sortie en 2013, et dont une nouvelle version 2017 verra le jour, prenant en compte les évolutions du contexte général, notamment les aspects de sobriété ou de neutralité carbone. Il faut continuer à éclairer les pratiques dans les années à venir". Le Plan Bâtiment Durable va donc poursuivre sa tâche, pour préparer l'échéance 2020-2030, en espérant la publication d'un nouveau décret.

 

Pour sa part, les fédérations requérantes ont réagi avec sobriété par communiqué de presse. "Le CdCF, Perifem et l'Umih rappellent qu'elles ont également formé un recours au fond portant sur l'illégalité du décret et tendant, pour cette raison, à son annulation. Il s'agit d'une procédure distincte du référé-suspension, désormais jugé. Le Conseil d'État devrait se prononcer sur le fond dans les prochains mois", peut-on y lire. D'après l'avocate des fédérations, le Conseil d'Etat pourrait mettre un an à rendre cet avis.

 

Pour le Serce, on peut économiser de l'énergie sans investissements lourds

 

"Cette décision reporte une nouvelle fois l'application d'une obligation attendue depuis 7 ans. Il est donc urgent de relancer sans délai une large concertation permettant la mise en oeuvre de la législation." C'est ce qu'affirme le Serce dans un communiqué de presse publié le 12 juillet. L'organisation, qui admet comprendre l'inquiétude des fédérations s'opposant au texte, rappelle toutefois que "ce décret imposait des investissements rentables à court terme (entre 5 à 10 ans), évalués à partir d'une étude préalable et systématique. A l'échelle nationale, l'étude d'impact réalisée par le Ministère prévoit que dès la 4ème année, les économies générées sont de l'ordre de 3 Mds€ par an pour l'ensemble du parc concerné". Avant d'avancer des arguments qui rappellent ceux formulés par le ministère de la Transition écologique et solidaire lors de l'audience au Conseil d'Etat : "De nombreuses actions efficaces et peu couteuses sont faciles à mettre en oeuvre sur les équipements tels que chaufferies, éclairage, groupes froids, climatisation-ventilation... Le pilotage précis de la température intérieure est aussi un levier intéressant : un degré en moins représente 7% d'économie d'énergie en moyenne."

 

(1) CDCF, Perifem, Umih.

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