FORMATION. Alors que l'Unsfa demande que l'habilitation à la maîtrise d'œuvre en nom propre (HMONP) soit accordée après deux ans d'alternance, contre six mois de mise en situation professionnelle aujourd'hui, une étude vient éclairer le vécu des habilités, et donne plusieurs pistes d'amélioration.

Entrée en vigueur en 2007, la réforme de l'habilitation des architectes ne satisfait pas toute la profession. Alors qu'auparavant, il fallait sept années à un architecte aspirant pour devenir DPLG (diplômé par le gouvernement), les Écoles nationales supérieures d'architecture sont entrées, depuis cette date, dans le système LMD (License-master-doctorat). Au bout de cinq ans d'études, les étudiants obtenant leur master sont certifiés DE (diplômé d'État) ; mais ce n'est qu'après avoir obtenu leur HMONP (habilitation à la maîtrise d'œuvre en nom propre), qu'une ou un architecte pourra s'inscrire à l'Ordre, et signer des projets.

 

Or, cette HMONP n'est pas assez professionnalisante, d'après certains, et ne prépare pas, notamment, les architectes à la direction d'agence. L'habilitation peut être obtenue soit à l'issue d'une mise en situation professionnelle (MSP) de six mois (avec 150 heures de cours en alternance dans une école d'architecture), soit dans le cadre d'une validation des acquis de l'expérience, après trois ans d'expérience en agence d'architecture.

 

 

 

Pas assez, pour l'Unsfa, le principal syndicat de la profession, qui demande un allongement de la mise en situation professionnelle à deux ans, en alternance. "Deux ans, c'est la durée de vie d'un projet", confiait à Batiactu Jean-Michel Woulkoff, lors du Congrès des architectes, le 20 octobre dernier. "Le système Licence-master-doctorat a coupé les étudiants des agences, on a réduit la durée d'études […], et aujourd'hui, un architecte qui sort de l'école ne sait pas déposer un permis". Il souhaiterait que les agences puissent "embaucher les architectes DE à bac+5 et les former au métier".

 

Qu'en pensent les architectes ayant passé l'HMO ?

 

Quelle est la perception de ce système par les aspirants architectes qui l'ont vécu ? C'est l'objet d'une étude, lancée en 2018 et publiée l'année dernière, qui a suivi plusieurs milliers d'architectes au cours de leur mise en situation professionnelle de six mois. Financée par le ministère de la Culture et le Conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa), elle avait pour objectif de participer au bilan de la formation à l'HMO, d'en dresser les acquis, et de proposer des pistes d'évolution.

 

Elle permet surtout de dresser un tableau des architectes DE qui se lancent dans l'HMO. Les auteurs en proposent quatre catégories. En premier lieu viennent les architectes DE avec un exercice de maîtrise d'œuvre imminent au moment de l'entrée dans la formation cherchant à obtenir l'habilitation pour poursuivre leur activité en tant qu'architecte inscrit à l'Ordre. La formation "leur offre une occasion de s'outiller pour la création et la gestion d'une entreprise d'architecture, mais aussi de questionner et de positionner leur pratique, souvent déjà bien engagée".

 

 

 

Exercer en son nom propre peut être un projet de moyen ou long terme

 

Viennent ensuite les architectes DE qui ont un projet d'exercice de maîtrise d'œuvre en maturation. Ceux-là cherchent à prendre du recul vis-à-vis de leur situation professionnelle actuelle de salarié et "se forgent un bilan de compétences pour préciser leur projet professionnel". L'habilitation en amont de la mise en œuvre définitive du projet d'exercice "permet de monter l'entreprise au moment de la concrétisation des premières commandes nécessitant l'inscription à l'Ordre".

 

Troisièmement, l'étude liste les diplômés pour lesquels l'exercice de maîtrise d'œuvre en nom propre est un projet à long terme. Ceux-là "cherchent à monter en compétence et en responsabilité, à porter le titre en tant qu'architecte salarié, mais aussi à mieux comprendre le contexte d'exercice de la maîtrise d'œuvre aujourd'hui".

 

 

 

Des architectes dans le doute, voire dégoûtés par la formation

 

Enfin, quatrième groupe, les architectes dont le projet n'est pas d'exercer la maîtrise d'œuvre, ou qui ne savent pas encore s'ils vont un jour le faire. Ce groupe "comporte des profils atypiques, dont les objectifs diffèrent de la majorité : les futurs fonctionnaires voulant passer un concours public, les 'alternatifs' cherchant leur voie ou encore les architectes en reconversion". Ces derniers sont souvent "découragés par une mauvaise expérience" de la formation elle-même, précisent les auteurs.

 

D'après l'étude, ce sont en effet 15% des architectes en MSP qui déclarent alors avoir voulu abandonner la formation, notamment en raison des difficultés à concilier les tâches de l'agence et les efforts demandés par la formation. La même proportion estime que la structure d'accueil "n'a que peu ou pas respecté le contrat pédagogique de la formation" (nature des tâches assignées, difficulté d'accès aux informations, mauvaise gestion du temps).

 

Un système apprécié mais une demande de professionnalisation dès le cursus initial

 

Pour autant, la majorité des architectes suivant la HMO "apprécient sa dimension de professionnalisation", d'après l'étude. Ils demanderaient même à ce qu'elle soit renforcée. L'alternance est "plébiscitée, entre un accompagnement pratique et intellectuel, du côté des écoles, et une immersion dans l'exercice professionnel, source d'apprentissage expérientiel, du côté des structures d'accueil". La formation réalise bien sa fonction d'"antichambre avant l'entrée dans la profession", que souhaite approfondir l'Unsfa.

 

En revanche le cursus initial apparaît "insuffisamment professionnalisé" selon les futurs professionnels. Ils attendent que "les études préparent mieux à l'orientation et à l'élaboration du projet professionnel". Et pendant la HMO, le contenu des 150 heures de cours devrait se faire plus concret, notamment sur la création d'entreprise, estiment les étudiants. De quoi, là encore, apporter de l'eau au moulin de Jean-Michel Woulkoff.

 

L'allongement de la durée de l'HMO, une question de modèle économique

 

Plus encore, la temporalité des projets rend "compliqué l'objectif de faire coller une grille d'évaluation avec les toutes phases d'une opération, particulièrement le chantier". Ce qui plaiderait pour un allongement de la durée de la formation, afin qu'elle englobe toutes les phases.

 

Hélas, un tel allongement "se heurte à la question des moyens de la formation", indique l'étude. Son modèle économique a donc souvent été évoqué, "les écoles souffrant du manque de directeurs d'étude, et les structures d'accueil de l'absence de reconnaissance de leur contribution". De ce fait, les architectes DE se sentent souvent "la variable d'ajustement d'un système dont l'économie est mal stabilisée (certains financent eux-mêmes leur formation en utilisant leurs congés pour assister aux sessions de cours ou se voient imposés des baisses de salaire indécentes)".

 

Ouvrir la formation aux nouvelles problématiques

 

Enfin, les jeunes architectes en cours d'HMO "en attendent bien plus, notamment une ouverture vers une pluralité de pratiques en lien avec les thématiques portées par la nouvelle génération". Ces thématiques ressortent régulièrement dans la bouche des architectes suivis : problématiques environnementales, lieux en marge, travail collectif, pluridisciplinarité. Les architectes DE regrettent ainsi que "le moule de la formation soit trop étroit" et ne soit "qu'un sésame permettant l'installation en nom propre".

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