DÉCRYPTAGE. Plus aucun acteur ne semble échapper au risque pénal lié à l'exposition d'individus à l'amiante. Explications et sélection de jurisprudences avec Farouk Benouniche, avocat à la Cour et Aurélie Salon, juriste doctorante, tous deux œuvrant au sein du cabinet Michel Ledoux et associés.
Il y a encore 20 ans, le scandale de l'amiante avait nourri l'actualité journalistique et judiciaire, témoignant du danger auquel nous étions tous exposés face à une réglementation clairement défaillante et inadaptée aux connaissances scientifiques acquises pour nous protéger des risques d'exposition à ce minéral.
Certains auraient pu croire le sujet clôt avec l'interdiction de l'amiante en 1997 et l'adoption le 7 février 1996 par les pouvoirs publics de décrets tendant à protéger les travailleurs comme la population en général contre la contamination asbestosique. D'autant que cette réglementation n'a cessé depuis lors de se durcir.
La responsabilité pénale liée à l'amiante n'épargne plus personne
Mais le scandale qui résultait de l'utilisation massive de cette fibre par les travailleurs a quelque peu changé de nature puisqu'il réside désormais dans l'épineuse question de la gestion de l'amiante en place. Et force est de constater que la responsabilité pénale qu'engendre cette gestion n'épargne plus personne.
La jurisprudence consacre ainsi l'émergence de ce nouveau type de contentieux avec une multiplication, ces dernières années, des condamnations pénales pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui des donneurs d'ordre et maîtres d'ouvrage soumis aux règles encadrant les travaux de désamiantage ou les interventions susceptibles de libérer des fibres d'amiante.
"Les collectivités et les établissements publics sont susceptibles d'engager leur responsabilité pénale, comme en témoignent de récents arrêts"
C'est en cette qualité que les collectivités et les établissements publics sont susceptibles d'engager leur responsabilité pénale, comme en témoignent de récents arrêts.
En 2016, pour la première fois en France, un établissement public, à savoir le centre hospitalier de Besançon, a été condamné sur le fondement de l'infraction de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, pour avoir de 2009 à 2013, à plusieurs reprises, mis en danger ses agents de maintenance des services techniques de sécurité incendie, en les exposant sans protection ni information à l'inhalation de poussières d'amiante. Cette décision a été confirmée par la chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Besançon en 2018.
De même, en décembre 2018, le Tribunal correctionnel de Tulle a rendu une décision de condamnation pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui à l'encontre du Conseil départemental de Corrèze, propriétaire d'un bâtiment de la commune, et la commune elle-même, maître d'ouvrage. Il leur était reproché d'avoir entrepris la démolition d'un bâtiment sans mettre en œuvre le dispositif de sécurité prévu par la réglementation. Ces affaires constituent, à n'en pas douter, un signal fort à l'égard des établissements publics, qui en matière de santé et de sécurité au travail sont logés à la même enseigne que les personnes morales de droit privé.
80% du parc immobilier français est susceptible de contenir de l'amiante
Ce type de contentieux est d'ailleurs destiné à se développer, et ce pour deux raisons. D'une part, plus de 80% du parc immobilier français est encore susceptible de contenir des matériaux amiantés qui se désagrègent avec le temps. Celui-ci est donc propice à des situations d'exposition pour ses multiples intervenants. D'autre part, le grand public n'ignore plus les risques sanitaires présentés par l'inhalation de poussières d'amiante. En témoigne le fait que, lors d'une séance de questions au gouvernement, le ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse a été interpellé par les enseignants au sujet de la présence d'amiante dans les écoles, les collèges et les lycées.
Si certains ont pu penser que la question de l'amiante était définitivement réglée avec l'instauration d'une réglementation dense et complète, ces évolutions nous montrent que des efforts sont encore à fournir pour en éradiquer tous les dangers et que des responsabilités pénales sont encore susceptibles d'être engagées, notamment à l'encontre des établissements publics.