CULTURE. Au cœur de la capitale, l'exposition "Soutenir" propose une réflexion sur la place qu'occupe, dans le passé jusqu'à nos jours, la santé publique, en lien avec l'architecture.
Le enjeux climatiques et l'architecture n'ont jamais été aussi liés. La sortie du nouveau volet du rapport du Giec alerte sur la position "très vulnérable" de plus de la moitié de la population humaine aux effets du réchauffement climatique. Une situation qui demande à ce que la société bouleverse ses pratiques hospitalières et notamment l'architecture du bâti des établissements de santé. La crise du Covid-19 a accentué cette problématique, recentrant le débat sur la place qu'accorde la cité au soin. C'est justement cette thématique qu'explorent la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury et Éric de Thoisy, directeur de la recherche et du collectif d'architectes Scau. Co-commissaires de l'exposition "Soutenir" au Pavillon de l'Arsenal à Paris, ils retracent l'histoire de la santé publique en lien avec architecture, remontant le temps pour philosopher sur la façon de rendre la ville mieux habitable pour les malades. L'exposition questionne ainsi les disciplines urbaines et architecturales face à la santé publique. De nombreuses archives, des plans, maquettes, photographies et vidéos animent ce travail fouillé, présenté jusqu'au 28 août 2022. Le parcours d'exposition est décliné en sept thèmes, soit sept chapitres de l'histoire dépeignant les relations entre le soin, la ville et l'architecture. Un ouvrage, complet, graphique et coloré, a également été conçu en même temps que cette exposition, qui offre une double circulation afin de permettre aux visiteurs de choisir le sens de parcours.
La ville repoussait les malades
Vieillissement de la population, explosion de pathologies chroniques, pollution, fatigue généralisée, impact des bouleversements climatiques… La question de la santé publique est majeure pour les co-commissaires. Déjà à la fin du XVIIIe siècle, les enjeux d'aération sont soulevés. Le développement des sciences du diagnostic, de la chirurgie et de la chimie, mêlé à celui des connaissances sur le corps, poussent les professionnels du XIXe siècle à imaginer des nouvelles techniques constructives et des technologies. Les établissements de soin deviennent des éléments architecturaux de modernité, sous forme de tours, barres ou usines. Au XXIe siècle, les usages se standardisent et l'idée que la ville puisse rendre malade persiste. L'expansion des villes multiplie les cas de maladies.
"Soutenir" rend notamment hommage à l'Hôtel-Dieu. "Administré par les autorités religieuses, il matérialise les ambitions humanistes et sanitaires de la communauté", déclare Alexandre Labasse, directeur général du Pavillon de l'Arsenal. "A partir du tournant du XVIIIème siècle, le lieu était vu comme un hôpital idéal, imaginé comme un outil thérapeutique avec un dispositif architectural organisé dans une logique de guérison", ajoute le directeur de la recherche et du collectif d'architectes Scau, lors d'une visite à laquelle Batiactu était convié. "Se mettent en forme l'architecture de l'hôpital et la logique de la cure."
L'extérieur comme thérapie
Une salle de l'exposition illustre la mise à distance de la maladie, de l'anormalité et l'inaccessibilité aux soins. Des plans de Paris de différentes époques sont exposés, tout comme une série de photographies de Raymond Depardon en noir et blanc prises lors d'un voyage dans un hôpital psychiatrique d'Italie. "Une île de la Seine qui accueille l'idéal du lazaret met à l'écart les malades, elle est à la fois un lieu de soin et de détention", raconte Éric de Thoisy. "On rencontre une résistance à faire revenir des fous dans la ville. L'architecture se formalise, elle est pensée pour des corps sains et normés, mettant à l'écart d'autres formes corporelles."
Une autre pièce montre que la Grèce antique unissait déjà les thématiques d'architecture, d'urbanisme et de santé. La tradition des sanatoriums est également mise en avant. Un tableau d'Eugène Thirion daté de 1888 montre la prise en charge d'enfants malades qui sont emmenés sur la plage de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais). "Ces sorties ont eu des effets positifs et un hôpital a été construit dans la commune", narre Éric de Thoisy. L'exposition parle également de l'invention des réseaux d'assainissement. "Elle révèle l'idée que la ville est conceptualisée comme un corps qui produit des déchets et l'architecte est perçu comme un médecin. La ville moderne sacrifie d'autres territoires qui deviennent empoisonnés." Des architectures alternatives naissent, qui s'opposent au modèle de la machine avec des espaces relationnels et thérapeutiques. "Une autre proposition architecturale est présentée dans les années 2010 par l'architecte Francis Kéré au Burkina Faso, celle de concevoir des centres de soin comme des villages", continue le co-commissaire. L'échelle, les ouvertures, la lumière ou encore le rapport à l'extérieur du bâti sont considérés comme des éléments essentiels.
Domicilier les malades
À tous ces questionnements s'ajoute celui sur la domiciliation du soin. "Un enjeu de santé publique", considère Éric de Thoisy, qui se demande dans cette exposition "où se situent les soins aujourd'hui entre le plus intime et le plus commun, entre le domicile et l'espace public ?" La demande d'avoir des espaces privés médicalisés s'accroît. A l'inverse, la construction de la Health House de Richard Neutra, entre 1927 et 1929, est un bon exemple de domicile soignant mais non pas dans une dimension médicalisée, à l'instar de La villa Le Lac, réalisée par Le Corbusier en 1923 pour ses parents. "Cette dernière fait appel à la vue et à la qualité d'ambiance", estime le co-commissaire, qui appelle les architectes à créer de l'intimité au sein des institutions.
Plus tard, dans les années 1960-1970, des professionnels, dont l'architecte hollandais Herman Hertzberger, se penchent sur l'habitat pour personnes âgées et dépendantes. Ils cherchent à créer de nouvelles relations spatiales entre l'espace intime et l'espace public au sein d'établissements d'hébergement collectif. Plus récemment, des projets ont répondu à ces enjeux, tels que le village landais Alzheimer à Dax. Le Pavillon de l'Arsenal rappelle qu'il faudrait créer plus de 100.000 places en Ehpad d'ici à 2030, selon une note de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée en 2020.
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Un autre rapport à l'architecture naît de l'idée que les jardins accentuent le bien-être des patients. Depuis les années 1950, des expérimentations ont montré qu'ils avaient des vertus thérapeutiques. "Quelle est la place que nous donnons à l'architecture ? Celle-ci permet-elle de penser le traumatisme, de ne pas le nier, de produire une résilience ?", questionne Cynthia Fleury. Autre exemple en la matière : des bâtisses gardent des impacts de balles pour montrer le passage de l'Histoire et de guerres. "Dans la trace du bâtiment se trouve la trace du traumatisme", considère-t-elle. "Cela permet aux architectes de faire des protocoles de justice, de réparation et de vérité historique."
Redonner de la visibilité aux défunts
Les défunts ne sont pas non plus oubliés dans cette exposition, qui traite du soin apporté aux morts. "On invisibilise la mort tout autant que la maladie dans notre société", affirme Éric de Thoisy. Or, les cimetières étaient auparavant des lieux très fréquentés par les habitants, à l'image de la morgue de l'île de la cité, à Paris. Cynthia Fleury invite à réintégrer la mort dans notre relation urbaine et nos espaces de vie. "La pandémie de coronavirus a empêché durant un temps les proches des malades de les accompagner vers la mort et de leur dire adieu. La modernité a ensauvagé la mort, l'a rendue invisible, alors qu'elle est associée au vivant." L'exposition montre que les morts ont longtemps eu un espace dédié au cœur des villes, jusqu'à la fondation de "villes des morts" (nécropoles). Elle met également en lumière le travail des architectes et poètes transhumanistes Shusaku Arakawa et Madeline Gins qui ont imaginé des lieux "ludiques et joyeux" visant "à maintenir les corps en mouvement". De son côté, l'architecte et urbaniste Robert Auzelle modifie le cimetière en un lieu de promenade pour les vivants dans les années 1950.
Le Pavillon de l'Arsenal
21 boulevard Morland, 75004 Paris
Entrée libre