CATASTROPHE. Le cyclone Chido a fait de nombreux morts et occasionné des dégâts importants dans le territoire ultramarin. Des acteurs de la construction témoignent de la situation préoccupante de ce département, classé comme le plus pauvre de France.
Le cyclone qui s'est abattu le 14 décembre 2024 dans cet archipel français, situé entre Madagascar et la côte du Mozambique, a fait de nombreux dégâts. Il est le plus intense qu'ait connu Mayotte depuis 90 ans. À l'heure où nous publions, les autorités ont fait état de 20 morts. Un bilan provisoire. "Des centaines" voire "des milliers" de personnes auraient été tuées, selon le préfet du département François-Xavier Bieuville. Mais le bilan sera "très difficile" à établir, selon lui, car la tradition musulmane, très ancrée à Mayotte, veut que les défunts soient enterrés "dans les 24 heures", rappelle l'AFP.
Des ministres dépêchés sur place
Le président Emmanuel Macron tiendra une réunion consacrée à la situation à Mayotte ce lundi à 18h00, a informé l'Élysée. De leurs côtés, les ministres démissionnaires de l'Intérieur et des Outre-mer, Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, sont arrivés ce lundi 16 décembre dans la région touchée.
"La reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle a été sollicitée par nos élus afin de faciliter l'indemnisation de nos sinistrés, les renforts arrivent pour secourir et assurer la sécurité de tous, les denrées alimentaires sont également en route", a déclaré Salama Ramia, sénatrice de Mayotte, sur les réseaux sociaux.
Quelle tristesse! Ce n'est pas comme si nous n'avions alerté tant de fois et encore récemment en juin lors de la commission d'enquête de @AssembleeNat que je présidais. Nous avons besoin de secours sous le sceau de l'urgence et rétablir l'électricité à l'hôpital #Mayotte #Chido pic.twitter.com/A2an4itKSD
- Mansour KAMARDINE - Officiel (@Kamardine_M) December 14, 2024
Habitat précaire
Le département le plus pauvre de France, terre du mal-logement, abrite de nombreux bidonvilles. Un tiers de la population des îles de Mayotte vit dans de l'habitat précaire. Les bidonvilles n'ont pas résisté aux rafales de vent à plus de 220 km/h. Ils "sont couchés, ce qui laisse augurer un nombre considérable de victimes", a affirmé à l'AFP une source proche des autorités. "Sur place, l'habitat précaire a été détruit quasiment en intégralité, notamment au nord de l'île. Les logements plus pérennes ont eu leur toiture arrachée", déclare le ministère du Logement, ce lundi à la presse.
"Il y a un premier temps consacré à l'urgence (secours, ordre public, nourriture, eau, déblayer les routes, électricité...). Nous tentons d'obtenir un bilan sur l'hébergement (10.000 places avaient été réservées pour abriter des personnes en amont de l'arrivée de cyclone) mais aussi sur le logement. Dans un second temps, il y a l'anticipation sur la question de la reconstruction. Se pose notamment la question de l'acheminement d'habitat modulaire." L'administration doit tenir deux réunions aujourd'hui, une avec les acteurs du logement, la FFB et les bailleurs sociaux pour un état des lieux, et une deuxième avec les acteurs de l'hébergement d'urgence.
Communication coupée
Mayotte compte officiellement 320.000 habitants, "mais on estime qu'il y a 100.000 à 200.000 personnes de plus, compte tenu de l'immigration illégale", a affirmé la source de l'AFP. Elle pense que peu d'habitants en situation irrégulière ont rejoint les centres d'hébergement avant le passage du cyclone, "sans doute de peur d'être contrôlés".
La situation sanitaire est également tendue. L'hôpital a été "très endommagé" et des centres médicaux "sont inopérants", a indiqué la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq. Du matériel et des personnels médicaux et de secours sont actuellement envoyés.
Partout sur le territoire, les autorités ont pu constater des cases détruites, des poteaux électriques à terre, des arbres arrachés et des toits en tôle envolés. De nombreuses routes sont inaccessibles, et de nombreuses communications sont coupées. Électricité de Mayotte (EDM) travaille à établir le courant, indique la préfecture.
#Chido ?? Soutien aux Mahorais et à nos camarades mobilisés à #Mayotte. Des renforts de gendarmes seront déployés sur place pour appuyer les équipes engagées. pic.twitter.com/iiDAjcgprU
- Gendarmerie nationale (@Gendarmerie) December 15, 2024
"Des travaux de réparation doivent être effectués par la société mahoraise des eaux (SMAE) pour que le réseau d'eau puisse être rétabli. D'ores et déjà, l'eau est rétablie dans différents points en Grande-Terre et Petite-Terre. Le dégagement de l'ensemble des routes est en cours et certains axes demeurent obstrués." Par ailleurs, des travaux de remise en état des routes ont démarré. La région connaît des risques d'éboulements, de chutes de blocs et mouvements de terrain.
La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) s'est dite "prête" à participer à la reconstruction de l'archipel. Elle a exprimé "sa solidarité envers la population mahoraise et plus particulièrement les entreprises artisanales du bâtiment. Les dégâts humains et matériels sont considérables, plongeant de nombreuses familles et entreprises dans une situation critique. [...] Ses forces vives basées à La Réunion sont déjà mobilisées pour venir en aide à leurs collègues Mahorais, des artisans prêts à intervenir pour construire rapidement des abris, rétablir l'électricité et recouvrir les habitations", a-t-elle ajouté.
Le syndicat professionnel travaille actuellement aux côtés des pouvoirs publics pour établir un bilan de la situation des entreprises sur place, et demande à soutenir les entreprises locales et à faciliter l'approvisionnement en matériaux nécessaires à la reconstruction. Elle "rappelle également l'existence de son fonds de solidarité, dédié à venir en aide aux artisans adhérents de Mayotte touchés par cette catastrophe" pour qu'ils puissent surmonter la crise.
"La quasi-totalité de mon activité va s'arrêter"
Julien Beller peine à joindre par téléphone la dizaine de salariés de son agence, situés à l'Ouest de Grande-Terre. Cet architecte installé entre Paris, Mayotte et Madagascar, spécialiste du logement d'urgence, a imaginé de nombreux projets de logements et de centres de mise à l'abri. "Il n'y a plus d'électricité et d'antennes téléphoniques, c'est pourquoi le contact n'a pas pu être établi", raconte-t-il à Batiactu. "Nous voulons nous assurer, a minima, qu'ils vont bien, réparer ce qui est réparable dans les logements et dégager les routes pour circuler."
L'architecte travaille actuellement sur plusieurs projets publics : une maison de la jeunesse et de la culture, un garage solidaire, des logements sociaux et l'extension de la préfecture. "Ce projet pourra résister à des cyclones. Les travaux devaient démarrer cette année mais ont été retardés. Aujourd'hui, je suppose que la quasi-totalité de mon activité d'architecte va s'arrêter. Mais je dois travailler et verser des salaires."
Solidarité avec le peuple mahorais face au cyclone #Chido.
- Marie Toussaint ?? (@marietouss1) December 16, 2024
Des centaines voire des milliers de morts. Voilà le résultat de l'abandon de Mayotte par L'État et du manque de préparation face aux catastrophes naturelles. Les inégalités climatiques tuent.pic.twitter.com/otL6GydVs2
"Je ne sais pas comment je vais payer mes collaborateurs"
Julien Beller est également propriétaire du gîte Le Relais forestier, situé sur le mont Combani, dans une forêt en partie primaire, à 350 mètres d'altitude. "La scène est apocalyptique. La forêt tropicale est rasée, tous les arbres sont tombés. On dirait presque une plaine aujourd'hui. Cela a un impact sur notre activité mais aussi la biodiversité et l'agriculture." Son gîte est en piteux état. Le toit et les panneaux solaires se sont envolés, les murs se sont effondrés. "Tout a pris l'eau. Les dégâts se chiffrent à 150.000 euros au moins", déplore Julien Beller. L'édifice se situe au bout d'une piste longue de trois kilomètres. "Il faudra une semaine pour permettre un nouvel accès. Notre chance a été que le cyclone s'est produit dans la journée. Les personnes que je connais ont eu le temps de s'abriter. Tout le monde est sain et sauf."
Le concepteur de projets à haute valeur environnementale demande aux pouvoirs publics de rétablir l'eau, l'électricité et les routes, mais aussi de remettre en état l'aéroport, le port et l'hôpital. "Il nous faut également une présence policière pour éviter les pillages, ainsi qu'une aide financière aux entreprises. Parce que mon gîte est en pleine forêt, les assureurs ont refusé d'assurer mon bien. À Mayotte, beaucoup d'habitants ne sont pas assurés."
L'homme aimerait aussi que l'État aide les entrepreneurs à verser des salaires à leurs employés. "Je n'ai plus d'activité et donc de chiffre d'affaires. Je ne sais pas comment je vais verser les salaires. La priorité est qu'ils soient payés car eux aussi ont subi les effets de la catastrophe. L'État doit aider les entreprises sinon, beaucoup mettront la clé sous la porte."
Il appelle également à "avoir un plan logement" et à produire des habitations, dans un département rongé par le mal-logement. "Certains habitants vont reconstruire des cases en tôle avec des déchets, et cela sera encore pire qu'avant. Il faut accompagner les constructions de logements, prévoir des cheminements d'accès de secours dans ces zones. La question est de savoir comment on va reconstruire dignement Mayotte. C'est peut-être l'occasion d'impliquer la société civile dans ce projet."
"L'État accompagnera Mayotte"
Les Architectes de l'Urgence ont d'ailleurs lancé un appel aux dons dès le jour de la catastrophe pour soutenir les sinistrés. L'entité fournit "des bâches de protection et autres matériaux essentiels pour couvrir temporairement les habitations touchées", écrit-elle sur son site, et soutient "les services de secours locaux en leur fournissant des équipements supplémentaires afin de renforcer l'efficacité de leurs interventions sur le terrain".
L'entreprise française Colas, spécialisée dans les Travaux publics et filiale du groupe Bouygues, a affirmé sur les réseaux sociaux apporter également son aide. "En tant qu'acteur engagé de longue date sur le territoire, nous sommes particulièrement affectés par la situation critique actuelle. […] Nous sommes mobilisés pour fournir tout le soutien nécessaire afin de contribuer à la reconstruction de l'île."
"L'État accompagnera Mayotte" dans ce temps de la reconstruction, promet de son côté la Délégation sénatoriale aux outre-mer, dans un communiqué. "Le cyclone Chido est le révélateur terrible des manques et retards accumulés à Mayotte. Les moyens importants alloués ces dernières années ont été sans cesse débordés par la démographie non maîtrisée. L'étude sur les 'Risques naturels majeurs', conduite par la délégation après le passage d'Irma à Saint-Barthélemy et Saint-Martin en 2017, a permis de définir une approche globale de la prévention, de la gestion de l'urgence et de la résilience après un cataclysme. Dès sa formation, la délégation s'entretiendra avec le Gouvernement afin que ces préconisations soient concrètement mises en œuvre."
Demande de suppression des charges sociales
L'U2P a aussi réagi dans un communiqué, assurant apporter "son soutien à tous les artisans, commerçants de proximité et professionnels libéraux qui ont vu tout ou partie de leurs biens professionnels détruits en quelques heures. L'U2P s'attachera à accompagner ces chefs d'entreprise dans la reconstruction de leurs locaux et le remplacement des équipements détruits et à solliciter l'enclenchement de dispositifs d'aides tels que le fonds social du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants."
La CPME plaide, quant à elle, pour des mesures d'urgence. Dans un communiqué, l'organisation patronale juge "impératif" que "les pouvoirs publics déclarent rapidement non seulement l'état de catastrophe naturelle mais également un état d'urgence sanitaire et sécuritaire". "Face à l'impossibilité matérielle pour les entrepreneurs d'exercer leur activité, la CPME Mayotte, au-delà de la suspension immédiate des prélèvements sociaux et fiscaux du 15 décembre, réclame la suppression des charges sociales et fiscales jusqu'en avril 2025. De même, les entrepreneurs dans l'incapacité d'assurer le paiement des salaires, doivent pouvoir mettre leurs salariés en activité partielle."
L'organisation imagine également un fonds de soutien pour supporter les charges courantes d'électricité et de paiement des loyers. "Si ces mesures d'urgence ne sont pas mises en place très rapidement, la catastrophe humaine et matérielle se doublera d'une catastrophe économique et sociale sans précédent. C'est le message que portera la CPME lors de la réunion organisée cette après-midi avec le ministre de l'Économie, Antoine Armand."