ENTRETIEN. Rapporteure pour avis des crédits Logement à la commission des affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi Sassone revient pour Batiactu sur les apports du Sénat au projet de loi de finances 2020 et fait part de ses inquiétudes sur la politique d'accès au logement et d'habitat.
Dominique Estrosi Sassone: La voix du Sénat, et pas uniquement pour le logement, est celle du pragmatisme. Coller au plus près des réalités du territoire, faire en sorte que les territoires dans leur diversité puissent trouver des outils qui répondent au mieux à leurs besoins nous guide dans ce que l'on essaie de faire. Ce constat est encore plus prégnant dans la politique du logement. Si l'on plaque des politiques publiques sans se soucier des réalités constatées sur le territoire, on fait fausse route. Au-delà du cadre légal, on prône beaucoup les spécificités territoriales, la différenciation et l'adaptabilité dans nos votes.
L'exemple frappant est celui du prêt à taux zéro dans le neuf (PTZ), on peut considérer que l'outil n'a de sens que dans les territoires tendus, mais cela consiste également à abandonner certains territoires au risque d'amplifier les problématiques de fracture territoriale, numérique, de désertification médicale. Cela fait partie des outils dont on sait qu'ils sont un levier important pour accéder à la propriété, alors de quel droit assignerait-on certains ménages à résidence parce qu'ils n'auraient pas la possibilité de choisir entre une résidence neuve ou ancienne ? La crise des gilets jaunes a montré à quoi de telles disparités peuvent conduire.
B: En parlant de ménages modestes, les APL vont subir d'importants changements en 2020 avec la contemporanéité des aides et leur intégration au revenu universel d'activité. Craignez-vous un impact sur leur financement ?
D.E-S: J'ai dénoncé dans mon rapport la nouvelle baisse des APL dans le budget, et nous partageons une même inquiétude sur tous les bancs de l'hémicycle, avec le rapporteur spécial Philippe Dallier mais aussi des sénatrices expertes du logement comme Marie-Noëlle Lienemann ou Annie Guillemet. Sur le fond, l'idée des APL en temps réel est une réforme de bon sens pour une plus grande justice, équité et actualité. Nous avions d'ailleurs mis en garde le gouvernement, qui souhaitait mettre en place la contemporanéité en 2019 et qui l'a reportée, en sachant que les établissements n'arriveraient pas à se mettre en ordre de marche aussi rapidement.Nous savons aussi que c'est une réforme techniquement difficile, et nous serons vigilants sur sa mise en application car nous savons que nous ne sommes pas à l'abri de ratés. Nos craintes sont également persistantes sur le fait qu'on ne dispose d'aucune simulation et d'aucune étude d'impact afin de savoir qui sont les personnes qui verront leurs APL baisser ou qui n'y auront tout simplement pas le droit, amenant une perte du pouvoir d'achat. Nous serons très vigilants sur ce point également, notamment le cas des étudiants qui trouvent un emploi mais pas que. Il est également sous-entendu que le calcul des revenus éligibles se fera sur la base de la croissance, un paramètre qui me paraît quelque peu volatil et qui laisse craindre un effet yoyo.
Sur la question du revenu universel d'activité, je suis opposée à ce que les aides au logement soient fusionnées dedans. Le ministre du Logement m'a indiqué que cela se présenterait sous la forme d'un supplément logement, mais il nous faut la garantie que ce supplément n'ira pas se fondre dans les autres allocations. Cela serait un nouveau coup dur après tout ce qui a déjà été mis en œuvre.
Il est également sous-entendu que le calcul des revenus éligibles (aux APL) se fera sur la base de la croissance, un paramètre qui me paraît quelque peu volatil et qui laisse craindre un effet yoyo.
B: Alors qu'il devait être supprimé, le PTZ neuf en zones B2 et C a été prorogé par l'Assemblée nationale. C'est un échec pour le gouvernement qui brandissait l'argument de l'étalement urbain ?
D.E-S: Et nous recommandons bien à nos collègues de préserver ce vote de l'Assemblée nationale. Le gouvernement s'est fait dépasser au sein même de sa majorité, certains députés ont dû voir sur le terrain que les dispositifs sans le PTZ n'étaient pas du tout suffisants. Le gouvernement estimait qu'il ne fallait prolonger ce dispositif que dans les territoires où des besoins étaient clairement identifiés, et ça leur revient finalement comme un boomerang. Cela montre qu'il faut quand même écouter les territoires qui ne veulent pas d'un développement à deux vitesses.B: Cette prolongation ne risque-t-elle pas de retarder un peu plus la massification de la rénovation dans l'ancien ?
D.E-S: Nous sommes tous convaincus qu'on ne peut pas conduire ce dispositif ad vitam aeternam, tout comme nous savons qu'on ne peut pas les arrêter brutalement. Cela nécessite une certaine souplesse dans la transition, et de ne pas prendre les choses à l'envers comme le fait le gouvernement. On le sait, la première problématique vient des zonages qui sont aujourd'hui inadaptés. Profitons de cette prolongation pour réfléchir à la remise à plat de cette politique de zonage, sans porter de coup brutal à l'offre, la demande, l'emploi…à une politique du logement qui s'inscrit dans le temps long et sur laquelle on a le sentiment de n'avoir aucune visibilité et lisibilité.
"Le focus doit vraiment être mis sur l'habitat ancien"
B: Les dispositifs de rénovation et d'investissement locatif dans l'ancien peinent à remplir cette phase de transition ?
D.E-S: Aujourd'hui, le focus doit vraiment être mis sur l'habitat ancien, surtout lorsqu'il bénéficie d'aides. C'est la première condition pour redynamiser un cœur de ville à l'échelle de la commune, y compris dans les grandes villes. Dans le centre ancien de Nice, l'association entre un programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) et d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat et renouvellement urbain (Opah-RU) ont eu un effet boule de neige positif. Le Denormandie dans l'ancien est aussi une bonne mesure, dont acte, mais il ne s'applique qu'aux 222 centres-villes du programme Action cœur de ville (ndlr- il a été élargi aux communes lauréates). Nous sommes bien conscients que le contexte budgétaire est difficile mais il faudrait presque regarder chaque territoire à la loupe, avec ce sentiment qu'on a une accumulation de dispositifs qui s'enchevêtrent et qui ne rendent pas les résultats espérés.B: Quels seront d'après vous les points de blocage en commission mixte paritaire sur la politique du logement ?
D.E-S: L'élargissement du crédit d'impôt à la transition énergétique aux 9e et 10e déciles risque de ne pas passer. Je demanderai pour ma part le rétablissement de l'APL Accession, mais nous doutons de son retour. Elle a été rétablie en Outre-mer mais nous ignorons encore l'impact du revenu universel d'activité sur son efficacité.Il faut néanmoins noter que malgré quelques petits désaccords, la commission a rendu un avis positif sur le projet de loi de finances de 2020 alors que nous l'avions rejeté les deux années précédentes. Il était difficile de s'y opposer car le gouvernement respecte ses engagements sur la clause de revoyure même si on peut dénoncer les impacts persistants de la réduction du loyer de solidarité (RLS) sur la santé des bailleurs sociaux, ou l'absence de visibilité après 2022. On peut aussi dénoncer le fait que les chiffres de la construction continuent de baisser, et je ne suis pas sûre que l'on parviendra à atteindre l'objectif de 110.000 logements neufs par an. Nous avons également une grande incertitude sur le prochain budget de l'Anah et sa capacité à continuer de financer ses dispositifs et la campagne de chaudières à un euro. Nous sommes persuadés que l'on pourrait assurer ces programmes en déplafonnant les quotas carbone, nous disposons actuellement de 420 millions d'euros mais nous pourrions aller jusqu'à 500 millions.