DÉGRADATIONS. Des agences immobilières taguées ou plastiquées, des cadenas de résidences touristiques coupés... Face à une envolée "inquiétante" des prix de l'immobilier au Pays Basque, la colère gronde et les actes de vandalisme se multiplient. Des associations demandent des mesures pour éviter que toute une partie de la population ne soit exclue du marché local.

"Euskal Herria ez da salgai" ou "Le Pays Basque n'est pas à vendre" : ces inscriptions fleurissent sur les devantures des agences immobilières et les façades des maisons à vendre de la côte basque où les prix au mètre carré s'envolent, poussés par le marché des résidences secondaires et des nouveaux arrivants.

 

"Ca se crispe énormément, on le sait tous, la mèche est allumée", souffle le membre, anonyme, d'un collectif de militants de la côte basque qui lutte pour que l'immobilier reste accessible. Si 59% des habitants du Pays basque sont encore propriétaires de leur logement, "il y a des jeunes qui rentrent dans la vie active et qui sont désespérés. Et le désespoir, quand il est mobilisateur, il peut devenir dangereux", ajoute le militant de ce groupe pacifique baptisé Bam (Baiona Angelu Miarritze - Bayonne Anglet Biarritz), le triangle urbain où l'immobilier explose.

 

Les agences immobilières en première ligne

 

Les agences immobilières sont les premières cibles de cette colère. Les tags qui les recouvrent de plus en plus régulièrement font revivre le souvenir des années 2007-2008, lors desquelles le mouvement Irrintzi avait revendiqué plusieurs sabotages et plastiquages d'enseignes immobilières ou de résidences secondaires. "Ce n'est pas la première fois que nos agences immobilières ou des maisons sont ciblées", acquiesce Marie-Pierre Burre-Cassou, maire de Guéthary, village de 1300 habitants, "avec plus de 50% de résidences secondaires" et un prix moyen de vente à 7.400 euros le mètre carré.

 

"Ici, on n'a plus aucun cadre, il n'y a même plus de prix du marché", souffle l'édile, s'avouant "démunie face à cette crise". Son homologue à Biarritz, Maider Arosteguy, se dit "particulièrement pessimiste sur ce qui peut arriver". "Le risque, c'est que toute une partie de la jeunesse du Pays basque va se radicaliser".

 

"La bonne époque d'ETA"

 

Mi-mai, à Biarritz, des voitures immatriculées hors du département étaient vandalisées. Un peu plus tôt, en mars à Urrugne, une banderole arborant le message "Parisiens, rentrez chez vous, vous êtes le virus du Pays basque" avait enflammé l'opinion. "On en vient à lire des commentaires, sur les réseaux sociaux, on où regrette 'la bonne époque d'ETA'", l'organisation séparatiste basque qui a multiplié les actions violentes des deux côtés de la frontière pendant plus d'un demi-siècle avant de se dissoudre en 2018. "il y a quelque chose de très inquiétant là-dedans", réagit Jean-Daniel Elichiry.

 

Ce militant associatif, membre actif de la plateforme Bake Bidea qui milite pour une résolution du conflit basque, est préoccupé. Pour lui, la crise du logement est un "symptôme" des inégalités croissantes. "Si on s'en tient aux symptômes seulement, alors oui on crée du logement pour faire baisser la fièvre, mais il faut apporter d'autres réponses et veiller à ne pas désespérer les jeunes".

 

Le parc de résidences secondaires a augmenté de près de 20%

 

Selon la Communauté d'agglomération du Pays Basque, composée de 158 communes, il existe aujourd'hui 54.000 logements vides, soit 12.000 logements vacants et 42.000 résidences secondaires, au Pays Basque. Entre 2007 et 2017, une augmentation de plus de 19% du parc de résidences secondaires a été observée. Pendant ce temps, le nombre de logements vacants a quasiment doublé. Le tout, essentiellement sur "un basculement d'usage de la résidence principale", souligne Denis Caniaux, président de l'agence d'urbanisme Atlantique et Pyrénées (Audap).

 

Face à un gain démographique annuel d'environ 3.000 personnes, "le marché est insuffisant", tout comme la construction immobilière neuve, analyse Denis Caniaux. D'autant que les modes de vie ont évolué, avec davantage de personnes seules. "Quand en 1968 il fallait 300 logements pour 1.000 habitants, aujourd'hui il en faut 500". La colère vise aussi le marché locatif, rongé par la saisonnalité. Les baux de septembre à juin, pour profiter de la haute fréquentation touristique estivale, sont pléthore. La plateforme Airbnb est plus particulièrement dans le viseur des militants.

 

Stratégie de la meuleuse

 

C'est le cas d'Éric Bonnamy, ancien élu biarrot de 46 ans, qui s'est filmé découpant des boîtes à clés à la meuleuse, dans une rue de Biarritz. Il veut dénoncer la "spéculation locative" et dire en vouloir "à ceux qui veulent gagner toujours plus d'argent en très peu de temps". "Je n'appelle pas à la violence, mais si une meuleuse peut faire trembler quelques propriétaires, ça me va".

 

La pression immobilière, jusque-là concentrée sur la Côte basque, a ces dernières années gagné la bande rétro-littorale voire l'intérieur des terres. Dans un territoire où le salaire moyen mensuel est de 2.000 euros net selon l'Insee, le fossé du pouvoir d'achat se creuse avec les nouveaux arrivants, le plus souvent des cadres supérieurs à revenus élevés. "C'est une population qui a les moyens de payer cash et qui fait disparaître le moindre logement", avance Maider Arosteguy.

 

Pour le jeune militant du groupe BAM, cette "envie que ressorte la violence" est trop négligée par les politiques, qui "balaient un peu ça d'un revers de la main en disant qu'ils sont aussi piégés que nous, mais ce n'est pas vrai". "On se couche trop devant le saint capital et là on est arrivés à un point où il faut dire stop".

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