On dirait de la science-fiction mais il s'agit bien d'expérimentations réelles ; des chercheurs internationaux planchent depuis plusieurs années sur le moyen de détourner le trajet rectiligne des ondes, qu'elles soient lumineuses ou autres. Ceci afin de rendre des objets virtuellement « invisibles » en les faisant contourner. Les applications pourraient être nombreuses : déploiement d'un bouclier contre les vagues et tsunamis, mise au point d'un dispositif isolant des ondes sismiques, etc.
Tout a commencé en 2006, avec la conception - et la réalisation - d'une cape d'invisibilité aux rayons micro-ondes à l'Imperial College de Londres. La quête de l'invisibilité occupe depuis de nombreux chercheurs de par le monde, dont une équipe à l'Institut Fresnel de Marseille (CNRS, Université Paul Cézanne, Ecole centrale, Université de Provence). Et si les plus audacieux imaginent de se rendre invisible à la lumière, d'autres applications pourraient être envisagées à l'avenir : protection de bâtiments contre les ondes sismiques, digue permettant de soustraire des plateformes pétrolières ou des installations sensibles (type centrale nucléaire) aux vagues des tsunamis, limitation des effets de la chaleur, etc.
Le principe semble simple, en apparence. La « cape d'invisibilité » est un réseau de plots ou de piliers structuré de façon à contrôler la propagation des certaines ondes pour les dévier d'un obstacle, à savoir le bâtiment ou la zone à protéger. Car il est possible de rendre « invisible » un objet grâce à différents matériaux disposés concentriquement autour de lui, l'ensemble constituant ce que les scientifiques nomment un « méta-matériau » (matériau possédant des propriétés qui ne sont pas retrouvés dans un matériau naturel). Une structure de 10 centimètres de diamètre (photographie) a ainsi été testée en bassin afin d'observer le comportement des vaguelettes. Résultat : elles sont renvoyées par les plots et s'annulent mutuellement, laissant un calme plat au milieu du dispositif.
Faisabilité : « De la pure géométrie »
Transposé à une échelle supérieure, en dimensionnant correctement les piliers et leur agencement, il serait donc possible de créer un bouclier contre les vagues et lames de fond. « C'est une question purement géométrique. N'importe quel matériau de construction pourra être utilisé, tant qu'il est non poreux. Car s'il l'est, le modèle mathématique change », explique Sébastien Guenneau (chargé de recherches au CNRS). « Plus il y a de piliers, mieux le dispositif fonctionnera. Seuls leur profil trapézoïdal et leur espacement importent. Ainsi, il est possible de créer des 'cathédrales des mers' au large des côtes permettant de protéger une zone du littoral, moyennant l'installation d'un millier de pylônes. Il aurait été possible de préserver la centrale de Fukushima grâce à un demi-anneau d'un kilomètre de diamètre de colonnes de béton armé, plantées dans l'océan jusqu'à 500 mètres de profondeur », poursuit le chercheur, enthousiaste. « Même pour protéger un petit port de pêche au Bangladesh, quelques centaines de poteaux de bois judicieusement placés pourraient guider les vagues avant qu'elles ne se transforment en déferlantes sur la côte. Mais il reste des travaux à mener sur les fréquences et longueurs d'ondes des vagues types de tsunami, car le dispositif n'agit pas sur toutes les vagues ».
Et si le principe fonctionne pour les micro-ondes, les ondes lumineuses visibles et les ondes « matérielles », comme les vagues, alors il sera également valable pour isoler des constructions des ondes sismiques de surface (*). Si de nombreux travaux restent encore à mener avec des géologues pour une application réelle sur le terrain, la « cape d'invisibilité » pourrait détourner les vibrations les plus dévastatrices. A plus petite échelle, la protection pourrait également annuler des phénomènes vibratoires gênants dans les industries de haute précision. « Des expérimentations sont en cours et un essai grandeur nature, avec un tremblement de terre artificiel, sera mené en juillet à Grenoble », conclut Sébastien Guenneau.
(*) Les ondes de pression et de cisaillement ne sont pas régies par les mêmes équations.