BILAN. Un an après l'effondrement mortel de deux immeubles dans la rue d'Aubagne à Marseille, quel chemin a été parcouru pour en déterminer les causes et quels moyens ont été mis en oeuvre, localement, et à l'échelle nationale, pour que ce drame ne se reproduise plus ?
Le 5 novembre 2019 marquera jour pour jour le premier anniversaire funeste des effondrements de la rue d'Aubagne. Trois immeubles du centre-ville de la cité phocéenne avaient entraîné dans leur chute la mort de huit personnes, jetant une lumière crue sur le fléau de l'habitat indigne et de sa gestion par les autorités locales, mais aussi sur une politique publique tombée dans le piège de sa propre complexité.
Depuis un an, l'enquête sur les causes de ces effondrements suit son cours, tandis que la municipalité marseillaise essuie régulièrement les critiques sur sa gestion du fléau a posteriori, mais aussi de l'urgence, alors que des centaines de personnes sont encore hébergées à l'hôtel et que des collectifs et associations alertent contre des faits de "relogement indigne". A l'échelle nationale, la prise de conscience politique s'est heurtée à une pieuvre administrative, s'emmêlant les tentacules dans des polices multiples ayant pour effet de retarder les procédures.
17 millions pour l'Etat, 14 pour la mairie
Interrogé ce lundi sur Europe 1, le ministre du Logement Julien Denormandie a affirmé qu'il fallait désormais "enclencher la reconstruction". D'ici la fin de l'année, l'Etat aura mobilisé 17 millions d'euros pour la rénovation de Marseille. Peu après le drame de la rue d'Aubagne, le ministre Denormandie avait annoncé une enveloppe globale de 240 millions d'euros sur dix ans. Côté mairie, l'édile Jean-Claude Gaudin a indiqué au cours d'un point presse que la Ville de Marseille avait versé 14 millions d'euros jusqu'alors.
Le relogement en chiffres
Durant les semaines qui ont suivi le drame de la rue d'Aubagne, la mairie de Marseille dit avoir reçu "2.400 signalements", qui ont nécessité l'évacuation de "370 immeubles" frappés d'un arrêté de péril grave et imminent. Dans un communiqué paru ce lundi, le ministère -qui planche plutôt sur 359 immeubles évacués- affirme que la moitié d'entre eux a pu être réintégrée. "1.479 personnes ont été relogées, par des bailleurs sociaux, dans le parc privé ou des locaux vacants de l'Etat", tandis que "400" personnes sont toujours hébergées dans des structures hôtelières. Interrogé par Batiactu, le directeur de l'agence Paca de la Fondation Abbé Pierre avait appelé à regarder les chiffres des réintégrations avec prudence : "même si le danger est levé (grâce à des travaux de sécurisation), les immeubles restent dans un état déplorable"
Une instruction longue malgré de premières analyses techniques
Si certains ont déjà la tête à l'avenir du centre-ville marseillais, la justice est focalisée sur la période postérieure au drame de la rue d'Aubagne. Dans le cadre d'une information judiciaire pour homicide involontaire, les juges d'instruction ont nommé deux experts, un architecte et un ingénieur, basés à Paris, afin de déterminer les responsabilités dans ces effondrements et dont le rapport est attendu pour mars prochain. Pour rappel, le 63 rue d'Aubagne était sous propriété du bailleur social Marseille Habitat et le 65 sous le régime de la copropriété privée et régulièrement visé par des arrêtés de péril.
Sur le plan technique, un rapport d'expertise réalisé à la demande de la municipalité marseillaise avait listé l'ensemble des procédures mises en places dès les premiers effondrements, jusqu'à la surveillance des édifices voisins. Si son objectif n'était pas de déterminer les sources de l'éboulement, ce rapport a néanmoins levé le voile sur d'importants désordres dans les sols, les réseaux et certaines façades. Ainsi, les investigations géotechniques avaient révélé dans la rue d'Aubagne des sols à "consistance sableuse et argileuse", propices au phénomène de retrait-gonflement lors d'une alternance entre périodes de sécheresse puis de fortes pluies. Il avait également été constaté que les immeubles successifs étaient tous interdépendants du fait d'un "unique mur porteur situé entre deux bâtiments (qui) pore les planchers des bâtiments". Enfin les diagnostics réseaux avaient montré de nombreuses "cassures" dans les antennes de raccordement des eaux usées et pluviales contribuant à "des infiltrations d'eaux régulières et continues dans le sol".
Deux propositions de loi, et un rapport parlementaire
Dans les sphères décisionnelles, le drame de la rue d'Aubagne a donné du grain à moudre aux acteurs gravitant autour de l'habitat, proposant chacun leur lot de mesures pour résorber l'habitat indigne, de la Fondation Abbé Pierre à la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim). Le gouvernement a fait le choix de missionner dès le mois de décembre le député (Larem) du Val d'Oise Guillaume Vuilletet, en vue d'émettre des propositions pour "une plus grande rationalisation des outils et une plus grande efficacité de l'action publique" contre le fléau de l'habitat indigne.
Rendu au Premier ministre Edouard Philippe le 8 octobre dernier, le rapport invitant à passer "de l'indignité à l'habitabilité du logement" a été quelque peu devancé au Parlement par le sénateur (LR) Bruno Gilles et le député (PCF) Stéphane Peu, tous deux à l'origine d'une proposition de loi. Le premier, candidat à la mairie de Marseille, est parvenu à faire adopter son texte législatif, qui a reçu "un avis de sagesse" du gouvernement, en attendant qu'il soit abondé par des préconisations tirées du rapport Vuilletet. La proposition de loi de Bruno Gilles prévoyai en mesure phare, la création d'une "police spéciale" du logement, procédure unique en remplacement des 13 polices existantes, à disposition du maire, du président de l'intercommunalité et du préfet.
A l'Assemblée nationale, le député (PCF) de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu, est également à l'origine d'une proposition de loi qui donnerait les clés pour résorber 60.000 logements indignes chaque année sur une décennie. Le texte se focalise plus particulièrement sur la clarification du jeu d'acteurs contre l'habitat indigne, en attribuant à l'Etat un rôle de "garant".
Le Logement et la Justice appelés à faire front commun
En attendant la traduction de ces préconisations dans la loi, l'Etat fait avec les procédures existantes, en tentant de donner davantage d'harmonie dans la lutte contre l'habitat indigne, entre élus, agents de l'Etat et magistrats notamment. Signée en janvier dernier par la garde des Sceaux Nicole Belloubet et le ministre du Logement Julien Denormandie, la circulaire de lutte contre l'habitat indigne insiste sur l'opérationnalité des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI) devant établir un plan d'action pluriannuel permettant un suivi des actions menées par les collectivités et l'Etat, et leurs suites judiciaires. Dans six départements prioritaires comme les Bouches-du-Rhône, la Seine-Saint-Denis ou le Nord, des instances spécifiques nommées "groupes locaux de traitement de la délinquance dédiés à la lutte contre l'habitat indigne" sont mises en place, sous le pilotage des procureurs.