FRAUDE. L'Acoss, la Caisse nationale du réseau des Urssaf, a dévoilé ce jeudi 24 mai son bilan 2017 de la lutte contre le travail dissimulé : avec 87% des actions ciblées de lutte contre ces pratiques illégales qui ont abouti à un redressement, ce sont 541 millions d'euros qui ont été mis en recouvrement par le réseau des organismes sociaux l'année dernière.

En 2017, ce sont donc 541 millions d'euros de redressement mis en recouvrement qui ont été totalisés par l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), la Caisse nationale du réseau des Urssaf (Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales) dans le domaine du travail illégal. Depuis 2013, le total des redressements s'élève à 2,3 milliards d'euros, ce qui représente un bond de 70%. Par redressement, on entend ici le paiement des cotisations éludées, auquel s'ajoutent les sanctions propres à la fraude. Le réseau des Urssaf et CGSS (Caisses générales de sécurité sociale) a réalisé 57.734 actions de lutte contre le travail dissimulé - dont 87% ont abouti à un redressement - et 51.539 actions de prévention. Fait notable, les 100 plus gros redressements ont représenté 38% du total de ces redressements. Le BTP se retrouve incontestablement en première ligne de ce combat : les actions ciblées du régime général ont porté sur ce secteur d'activité à hauteur de 30%, tandis que les actions de prévention ont permis de le couvrir à hauteur de 19%. Dans ce domaine, les contrôles des organismes de sécurité sociale se concrétisent par des visites effectuées directement sur les chantiers. Fait notable : parmi les entreprises fraudeuses, on trouve un grand nombre de TPE/PME.

 

Des actions préventives et répressives

 

Pour rappel, le travail dissimulé se définit comme la dissimulation intentionnelle d'activité ou d'emploi salarié et occupe une place importante dans la lutte contre la fraude sociale en général. Les objectifs poursuivis par les corps de contrôle sont de combattre l'absence de déclaration et de s'assurer de la véracité, ainsi que de l'exhaustivité, des informations déclarées. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l'Acoss : "Notre but est de s'assurer que l'ensemble des droits sociaux des salariés sont préservés. Mais nous jouons aussi un rôle dans l'économie, en contribuant à une concurrence saine et loyale entre les entreprises, et en sécurisant le financement de notre système de protection sociale. Et pour ce faire, nos actions reposent à la fois sur du préventif et du répressif". Les actions de contrôle se décomposent en trois catégories, à savoir les actions de prévention programmées et destinées à sensibiliser le plus grand nombre d'acteurs économiques ; les actions ciblées fondées sur une sélection d'entreprises présentant un risque de dissimulation d'activité ou d'emploi salarié, et enfin les contrôles aléatoires dont la finalité est d'évaluer la fraude. "C'est une obligation de vigilance et de diligence : vigilance en amont d'éventuelles pratiques frauduleuses, et diligence des entreprises en aval, une fois la constatation de la fraude avérée par nos services", précise Yann-Gaël Amghar. "Le réseau des Urssaf mobilise 1.550 inspecteurs du recouvrement, qui sont de plus en plus spécialisés", ajoute pour sa part Emmanuel Dellacherie, directeur de la réglementation, du contrôle et du recouvrement à l'Acoss. "Cette spécialisation croissante s'explique par notre volonté de professionnaliser davantage nos équipes, afin de lutter encore mieux contre ces pratiques."

 

Travail détaché : 40,5 M€ de redressements

 

Au sein du combat contre le travail dissimulé, le travail détaché occupe une place non-négligeable : en 2017, 63 actions ont été menées par les organismes de sécurité sociale contre la fraude aux détachements, pour aboutir à un total de 40,5 millions d'euros de redressements. Rappelons que le détachement consiste à appliquer à un salarié d'une entreprise étrangère venant temporairement réaliser des missions en France le droit du travail de son pays d'origine. De plus, ce salarié demeure dans le système de sécurité sociale de ce même pays d'origine, auprès duquel son entreprise doit verser ses cotisations. "Nous avons une réelle volonté de progression dans ce domaine, mais pour cela nous devons nouer de nouveaux partenariats, notamment inter-étatiques, pour assurer des échanges de données et d'outils", souligne Yann-Gaël Amghar. "Pour être pleinement efficaces, il faut donc renforcer les relations bilatérales avec les Etats-membres de l'Union Européenne. C'est dans cette logique que nous avons conclu des conventions de sécurité sociale avec la Belgique mais aussi avec le Luxembourg et le Portugal."

 

Le data, un enjeu pour améliorer le ciblage des risques

 

La Sécurité sociale ne compte pas s'arrêter là. Parmi les enjeux à venir dans la lutte contre la fraude sociale, l'amélioration du ciblage des risques doit permettre d'accroître l'efficacité des actions de prévention. Ainsi, un plan expérimental de datamining (exploration de données, c'est-à-dire une méthodologie automatique ou semi-automatique utilisant des algorithmes afin d'établir des modèles, sur la base d'une grande quantité de données) a été lancé en 2017 : "Un modèle statistique spécifique a été établi sur la base d'un modèle prédictif du risque de travail dissimulé dans les entreprises", détaille Alain Gubian, directeur de la statistique, des études et de la prévision à l'Acoss. "Ce procédé attribuait notamment un score à chaque entreprise, autrement dit une probabilité de générer une infraction de travail dissimulé." Le réseau des Urssaf envisage en outre de mettre au point d'autres outils technologiques, en exploitant par exemple les données individuelles fournies par la Déclaration Sociale Nominative (DSN). Sur le plan juridique, cet accès aux fichiers de l'administration fiscale sera autorisé par le projet de loi de lutte contre la fraude, qui sera prochainement examiné au Sénat. Enfin, la Sécurité sociale recourra également à la procédure de saisie conservatoire, récemment rénovée, pour augmenter le nombre de recouvrements. Dans le même état d'esprit, le développement de la solidarité financière des donneurs d'ordre permet, dans certaines situations, aux organismes de recouvrement d'agir contre un débiteur secondaire dit solidaire (le donneur d'ordre) pour recouvrer les sommes dues par le débiteur principal.

 

Complexité des investigations

 

Ces différentes mesures devraient renforcer l'efficacité des contrôles de la Sécurité sociale, en s'attaquant à plusieurs phénomènes comme la difficulté à traiter certains cas ou encore l'insolvabilité de certaines entreprises. "Nous devons faire face à de plus en plus de dossiers complexes demandant beaucoup d'investigations, et débordant d'une année sur l'autre", insiste Yann-Gaël Amghar. "C'est pourquoi des contrôles que nous avons réalisés en 2017 ne verront leurs recouvrements effectués qu'en 2018. Et s'agissant du détachement, nous sommes parfois confrontés à des montages élaborés, plus difficiles à détecter et à établir. D'où ces à-coups d'une année sur l'autre. Et pour les plus gros dossiers, les contestations juridictionnelles sont évidemment fréquentes." En parallèle, un grand nombre d'entreprises organisent leur insolvabilité : une fois montées, les structures fraudent, avant d'être contrôlées et sanctionnées, suite à quoi elles mettent la clé sous la porte avant de rouvrir ailleurs et plus tard, sous une forme différente. "Ce phénomène des entreprises éphémères est problématique", confirme Yann-Gaël Amghar. "Dans de telles conditions, les possibilités de recouvrement sont malheureusement faibles. Par conséquent, nous misons sur nos nouveaux outils pour améliorer cette situation."

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