La France a affiché sa fermeté quant à la révision de la directive sur le travail détaché. « Si on ne nous entend pas, il faudra dire que la France n'applique plus cette directive », a déclaré Manuel Valls ce dimanche sur TF1, estimant que « ça ne peut plus durer ». D'aucuns estiment qu'il y a méprise sur le texte…
En première ligne pour réviser la directive européenne de 1996 sur le détachement, le gouvernement français vient, par la voix du Premier ministre, de réaffirmer sa position claire et ferme sur le fait « qu'il faut changer, qu'il doit y avoir une égalité de traitement, par le haut, pour lutter contre le dumping social (…) ». Et Manuel Valls, invité dans l'émission 'Vie politique' sur TF1 ce dimanche, d'asséner : « Si on ne nous entend pas, il faudra dire que la France n'applique plus cette directive ». « Le dumping social est insupportable », a encore martelé le chef du gouvernement, qui, après le Brexit, estimait que le départ de la Grande-Bretagne de l'Union européenne permettrait de « clarifier » les débats et « refonder » une Europe plus sociale.
Aux côtés d'autres membres de l'UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Suède et Pays-Bas), la France tente depuis plusieurs mois de convaincre qu'il faut réviser la directive. Un projet législatif a été présenté en ce sens, en mars dernier, par la Commission, prévoyant notamment de limiter à deux ans les missions des travailleurs détachés et d'aligner les régimes des travailleurs détachés sur ceux des travailleurs locaux. Mais là où le bât blesse, selon Manuel Valls, c'est sur l'assujettissement au système de Sécurité sociale, qui continuera d'être celui du pays d'origine. Inconcevable pour la France, pour qui « le renforcement des règles européennes est un impératif absolu ».
Incompréhension de texte ?
Or, explique dans un communiqué Elisabeth Morin-Chartier, députée européenne PPE (conservatrice) et rapporteur du projet de révision de la directive, "le Premier ministre se méprend, la question des cotisations sociales n'est absolument pas abordée par la directive sur les travailleurs détachés mais par le règlement sur la sécurité sociale". Avant d'ajouter : "L'objectif est d'aller vers un mieux-disant social en tenant compte des différences de situations économiques et sociales dans les États membres de l'UE."
De son côté, le syndicat FO, cité par l'AFP, s'étonne également dans un communiqué que "le Premier ministre s'émeuve de ce que la Commission n'ait pour l'heure pas touché à une disposition qui facilite le dumping social : la possibilité pour l'employeur de continuer à payer les cotisations prévues par le pays d'origine du travailleur détaché, et non celles du pays d'accueil". Car, explique le syndicat, "cette disposition ne dépend pas de la directive détachement", mais d'un règlement de 2004 "visant à la coordination des régimes de sécurité sociale, dont le gouvernement n'a jamais demandé la révision".
Réponse au « carton jaune » des 11 pays attendue très bientôt
Reste que le projet de révision de la directive suscite bien des remous dans d'autres pays d'Europe qui pratiquent le détachement de salariés, amenant 11 pays, notamment de l'Est - Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie - et le Danemark à utiliser, en mai dernier, la procédure du « carton jaune » contre des règles qu'ils jugent trop contraignantes. Prévue depuis 2009, la procédure permet ainsi à un tiers des Parlements nationaux de tirer la sonnette d'alarme sur un projet de la Commission. Résultat, le processus législatif de la réforme est à ce jour bloqué. Trois solutions : retrait du projet ; modification du projet ; maintien du projet et poursuite du processus. Dans tous les cas, elle devra motiver sa décision.
Toutefois, la France, si elle décidait de ne plus appliquer la directive européenne, n'est pas dépourvue d'outils pour lutter contre le dumping social. Au contraire, avec la loi Savary, elle est même allée plus loin et dispose d'un arsenal législatif inégalé en Europe pour s'attaquer au problème de la fraude au détachement. Un petit coup de pression du gouvernement avant la réponse au « carton jaune » de la Commission qui doit tomber dans les prochains jours ?
Selon les statistiques de l'Union, le nombre de travailleurs détachés a augmenté de près de 45 % entre 2010 et 2014. On dénombrait 1,9 million de détachements dans l'Union en 2014, contre 1,3 million en 2010 et 1,7 million en 2013. Un détachement dure en moyenne quatre mois. En tout, les travailleurs détachés ne représentent que 0,7 % du nombre total d'emplois dans l'Union. Certains secteurs et certains États membres présentent toutefois une forte concentration de détachements. Le secteur de la construction regroupe à lui seul 43,7 % du nombre total de détachements.
L'Allemagne, la France et la Belgique sont les trois États membres qui attirent le plus de travailleurs détachés, puisqu'ils reçoivent à eux tous environ 50 % de l'ensemble des travailleurs accueillis dans le cadre d'un détachement. Parallèlement, la Pologne, l'Allemagne et la France sont les trois États membres qui détachent le plus de travailleurs.
Source : Commission européenne