CONDITIONS DE TRAVAIL. Un syndicaliste spécialisé dans le BTP et une inspectrice du travail ont apporté leur témoignage à un secteur encore marqué par un grand nombre d'accidents du travail. L'un des problèmes qu'ils pointent reste celui de la sous-traitance.

215 travailleurs du BTP ont perdu la vie en 2019 en exerçant leur activité professionnelle. Le secteur continue de présenter des risques pour les salariés. Chutes, froid, pluie, chaleur, exposition aux produits chimiques, port de charges lourdes, bruits, vibrations... les situations accidentogènes et critères de pénibilité sont nombreux. Les salariés ont d'ailleurs deux fois plus d'arrêts de travail que la moyenne nationale. En outre, le secteur est également confronté au recours à de nombreux sous-traitants, voire de travail au noir. Au total, le secteur compte environ un million de salariés. 356.000 sont artisans, travailleurs indépendants, ont une micro-entreprise ou sont intérimaires. "Un accident grave dans le BTP toutes les cinq minutes, ce ne sont pas que des chiffres mais des réalités humaines", s'exclame Jean-Pascal François, secrétaire fédéral CGT, construction bois et ameublement, lors d'une conférence sur les conditions de travail dans le secteur organisé par le journal l'Humanité le 14 février au Pavillon de l'Arsenal, à Paris. "Nous avons de plus en plus de difficulté à ce qu'un salarié décédé sur un chantier ne soit pas anonyme. Il a fallu que je creuse pour connaître le prénom, João, du compagnon mort sur le chantier de Saint-Denis-Pleyel."

 

 

Interrogé sur des potentielles modifications de comportement des travailleurs sur les chantiers depuis la crise du Covid-19, le syndicaliste se montre ferme. "On nous a sorti des guides de protection des salariés de la construction, mais il faut aller voir les mises en application. Les chantiers sont de plus en plus fermés, où même nous, syndicalistes, sommes refoulés." L'homme fait référence à ceux des Jeux olympiques de Paris. "Leur excuse, c'est que ce sont des chantiers hautement sécurisés où il pourrait y avoir des attentats." Il dénonce également la présence, "probable", de travailleurs détachés sur ces chantiers. "Il suffit de voir les plaques d'immatriculation des véhicules qui pénètrent sur les chantiers pour se rendre compte que ce sont des salariés détachés qui sont présents."

 

De trop nombreux niveaux de sous-traitance

 

Si le porte-parole de la CGT précise que le secteur est habitué à travailler avec des personnes "d'origines et de pays différents", il précise que la CGT cherche à ce que chacun perçoive un salaire français et travaille sous le champ de la convention collective. Il dénonce également le haut niveau de sous-traitance sur certains chantiers. "A Saint-Nazaire, on avait trouvé 11 niveaux de sous-traitance. Nous souhaitons limiter cela, pour avoir un contrôle possible sur les chantiers et renforcer la responsabilité des entreprises." Justement, les contrôles ne peuvent être fréquents, puisque l'inspection du travail manque de main d'œuvre, comme l'affirme Valérie Labatut, responsable syndicale CGT du ministère du Travail. De plus, les inspecteurs ne sont "pas spécialisés" et interviennent au sein de tous les secteurs. "Nous n'avons pas pour rôle de conseiller de façon technique les employeurs." Ils peuvent cependant faire immédiatement arrêter des travaux s'ils constatent qu'un travailleur se trouve dans une situation de danger grave pour sa vie. Cela concerne les risques de chute de hauteur, ceux d'ensevelissement et ceux d'exposition à l'amiante. "Cela ne porte pas préjudice au salarié et il ne subira aucune retenue sur salaire", détaille-t-elle. Elle rappelle que les accidents et décès concernent prioritairement les salariés précaires. "Un accident sur deux est imputable à un accident manuel. Un tiers des accidents est lié à des chutes, de hauteur ou plein pied", liste-t-elle. Un employeur peut être mis en demeure dans le cas où les équipements sanitaires ne seraient pas conformes. "Nous constatons sur certains chantiers que les travailleurs n'ont même pas de cabinet."

 

La difficulté pour les inspecteurs reste de savoir à qui il faut s'adresser. "Si une entreprise générale est en charge de tous les lots d'un chantier, même si elle sous-traite, nous aurons toujours un contact principal, ce qui nous facilite la vie. En revanche, si un appel d'offres désigne plusieurs entreprises pour des lots séparés, trouver le bon interlocuteur sera plus compliqué." Valérie Labatut a déjà constaté que des ouvriers ne connaissaient pas le nom de l'entreprise qui les embauchait, tant les couches de sous-traitance sont nombreuses.

 

Un manque criant d'inspecteurs

 

L'autre difficulté, c'est d'arriver, en qualité de syndicaliste, à parler aux travailleurs qui ne se rendent jamais au siège social de l'entreprise. "Quand on a une entreprise de 1.000 salariés avec 1.000 sites, c'est compliqué de les approcher", admet Jean-Pascal François. Il n'hésite cependant pas s'attaquer à de grandes entreprises lorsque celles-ci commettraient des fautes, "comme Vinci, au Qatar", qui a été visé par plusieurs plaintes. Le pays est en pleine transformation. De nombreux travaux de construction visent à bâtir toutes les infrastructures nécessaires à la Coupe du monde de football. 1.600 personnes travaillant sur des chantiers auraient perdu la vie, selon l'association Human Rights Watch.

 

Des bulletins de paie "à zéro euro"

 

 

Contrôler des sites exige de la main d'œuvre. "Celle-ci a été décimée au sein de l'inspection du travail ces dernières années. Nous avons perdu 20% de nos effectifs", chiffre Valérie Labatut. Selon elle, l'ensemble du territoire national ne compte qu'environ 1.800 inspecteurs, pour environ 27 millions de salariés. "Soit un inspecteur pour 10.000 salariés. En Corse, le taux de vacance atteint les 41%." Le manque de moyens de l'inspection du travail est "flagrant" aux yeux de Jean-Pascal François. Pour lui, le secteur doit revoir les salaires des ouvriers. "On dit que 60.000 apprentis se forment chaque année dans le BTP, mais 7 apprentis sur 10 quittent le métier au bout de cinq ans. Si le salaire moyen est de 2.000 euros, on compte souvent les primes. Or, ce n'est pas un élément de salaire", lâche-t-il. Le nombre de salariés partant à la retraite l'interpelle. "Ils me disent qu'ils n'auront que 1.000 euros mensuels, alors ils finissent par retravailler en intérim." Il demande ainsi une revalorisation des salaires, de 300 euros brut mensuel. Un moyen de conserver plus de jeunes dans ces métiers.

 

De son côté, Valérie Labatut regrette que le secteur soit "un grand pourvoyeur d'emplois précaires", qui compte de "nombreux CDD et intérimaires". La sous-traitance et l'intérim ont des conséquences sur les conditions d'emploi et sur les inégalités entre salariés, souligne-t-elle. "Des inégalités de rémunération existent. On voit aussi que des minimas ne sont pas versés aux salariés de sous-traitants ou aux intérimaires, comme l'indemnité de trajet pour rembourser les frais des ouvriers qui se déplacent d'un chantier à l'autre." Pire, Jean-Pascal François voit parfois des ouvriers qui travaillent les week-ends. Il est alors impossible aux inspecteurs de contrôler ces interventions et travaux. "J'ai même vu des gens qui ont des fiches de paie à zéro euro. Un Roumain embauché par une entreprise italienne et qui travaillait à Dunkerque n'avait pas d'argent sur son bulletin de salaire. Il avait été malade quelques jours et son patron lui prélevait des sous pour la location d'un bungalow dans lequel il dormait."

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