Dix ans après le début de l'affaire, la tour construite par Raymond Lopez, symbole de l'architecture fonctionnaliste, ne connaît toujours pas son sort.

A l'aube des Trente Glorieuses, la Caisse des allocations familiales de Paris passe commande d'un bâtiment pour regrouper ses services. L'architecte Raymond Lopez est choisi en 1953 pour ériger un ensemble constitué d'une tour (de huit étages) et de deux plus petits immeubles. Cet architecte, qui a eu une influence considérable sur l'architecture parisienne dans les années 50, strict fonctionnaliste, prend le parti de réaliser le premier mur rideau à structure aluminium suspendue de l'après-guerre.

Aujourd'hui, la polémique qui entoure le devenir de la tour est représentative du manque d'intérêt du public pour l'architecture contemporaine, son esthétique ou sa valeur de mémoire. Tout a commencé en 1991.

Cette année-là, la CAF est devenue départementale. Cette diminution de la fréquentation se conjugue avec la modernisation des services, et la baisse du nombre d'employés, qui passe de 5.000 agents à 650. Le bâtiment, aujourd'hui encore, n'est pas complètement utilisé et de nombreux espaces sont vides.

Depuis 1993, la CAF envisage diverses possibilités pour réaménager cette tour, voire sa destruction pure et simple. Problème, en 1995, le plan Juppé pour lutter contre la dette de la sécurité sociale interdit toute opération immobilière de la part des organismes de Sécurité sociale. Ce répit permet aux défenseurs de la tour, dont les architectes Paul Chemetov, Bernard Reichen et Philippe Robert, de s'organiser et de préparer son classement à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Officielle en 1998, cette inscription contre les projets de la CAF, qui n'entend pas en rester là. Elle porte l'affaire devant le tribunal administratif de Paris, qui lui donne raison le 30 juin 1999, déniant au bâtiment un intérêt historique et artistique.

Nouvelle confrontation avec la décision de la Cour d'appel administrative, saisie par les défenseurs de la tour, qui brise le premier jugement, estimant que " ce bâtiment constitue un exemple unique d'édifice entièrement monté à sec par le recours à des structures métalliques et doté de façades-rideaux en verre totalement indépendante de la structure métallique ".

Décision anti-réhabilitation

Le Conseil d'Etat revient sur ce dernier jugement le 29 juillet 2002. Pour lui, la conservation du bâtiment est impossible, sa mise au norme remettant en cause son originalité. Autrement dit, soit elle est trop dangereuse et doit être détruite, soit elle est remise aux normes et ne présente plus les intérêts pour lesquels elle a été classé et est protégée.

Dernier rebondissement en date, l'architecte des Bâtiments de France émet un avis défavorable sur le permis de démolir. La Ville de Paris doit désormais trancher : la destruction ou la réhabilitation.

Si la deuxième solution était choisie, elle verrait le couronnement du combat des trois architectes déjà nommés, et particulièrement des deux derniers (Reichen et Robert), qui ont présenté un " plan de sauvetage " du bâtiment. Avec eux, seul le bâtiment donnant sur la rue Vialat serait détruit. L'aspect originel de cette " boîte de verre " serait conservé, le mur rideau d'origine serait gardé, mais un matériau contemporain se substituerait à l'Héliotrex, avec un doublage par une paroi en verre.

Surtout, le dispositif d'origine des planchers en porte à faux de 5,5m libres de tout poteau sera conservé. L'ossature métallique, la plus grande de ce type de l'après guerre, est composée de deux rangées centrales de poteaux et de planchers métalliques sur " poutre Cantilever ", dégageant ainsi des " plateaux libres " pour l'aménagement des espace de bureaux.

Si la Ville de Paris suit la décision du Conseil d'Etat, et que cette dernière fait jurisprudence, il est à craindre que tous les bâtiments du XXème siècle soient condamnés par avance à la destruction et que les opérations de réhabilitation, entreprises autant pour le Louvre que pour des usines (Menier à Noisiel) ou des entrepôts (Lainé à Bordeaux), ne deviennent trop rares.

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