COLÈRE. Fait rare, des entrepreneurs de travaux publics du Jura ont manifesté le 16 avril dernier pour demander l'annulation de la suppression du gazole non-routier (GNR), une mesure fiscale très décriée qui risque, selon les représentants de la filière, de pénaliser lourdement les finances des entreprises artisanales.

"Il est quand même ahurissant que nous soyons obligés de manifester pour demander l'application de la loi !", a ironisé un adhérent de la Chambre nationale de l'artisanat des travaux publics et du paysage (CNATP) lors d'une manifestation le 16 avril dernier dans le Jura. Une fois n'est pas coutume, les entreprises locales de TP sont effectivement descendues dans la rue pour demander l'annulation de la suppression du gazole non-routier (GNR) au 1er juillet 2021. La raison ? Selon les professionnels, la loi ne serait "pas respectée" dans la mesure où le Parlement a voté l'instauration d'un gazole coloré et "l'établissement d'une liste d'engins pour lesquels ce gazole coloré est obligatoire quel que soit le statut de son utilisateur". Sauf que le Gouvernement n'aurait toujours pas publié les décrets nécessaires à l'application du texte.

 

 

Concurrence déloyale et inquiétudes sur la sécurité

 

En attendant, la CNATP estime qu'une concurrence déloyale s'installe insidieusement, dans la mesure où les entreprises de travaux agricoles, positionnées sur les mêmes marchés que celles de travaux publics, pourraient bénéficier d'une fiscalité plus avantageuse par le biais d'un gazole rosé à 0,75 centimes d'euros hors taxe le litre, alors que le secteur des TP doit payer 1,20 euro hors taxe le litre de gazole blanc. "Tout le monde sait que l'obligation de mettre du gazole blanc quand ils travailleront sur les chantiers de TP ne sera ni applicable ni contrôlable", argue la Chambre nationale. "Nous demandons, si la suppression du GNR est actée au 1er juillet 2021, l'obligation pour les entreprises de travaux publics agricoles de travailler avec les mêmes règles que nous sur les chantiers de TP."

 

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Des images de la manifestation organisée par la CNATP Jura le 16 avril 2021 contre la suppression du GNR. © CNATP

 

L'autre argument avancé par l'organisation membre de l'U2P (Union des entreprises de proximité) concerne la dimension environnementale de la mesure. Alors que l'exécutif la présente comme écologique, les travaux publics rétorquent qu'elle ne peut être considérée comme telle tant qu'elle ne s'appliquera pas à l'ensemble des secteurs d'activité. En lieu et place d'une disparition localisée, ils demandent donc "une augmentation modérée du GNR pour tous". Les inquiétudes portent en outre sur la sécurité des chantiers et des engins, avec la crainte que les réservoirs de matériels pleins de gazole standard ne se transforment en "stations-services nocturnes en libre-service".

 

Les TP ne veulent pas être des "sacrifiés fiscaux"

 

Autant de considérations qui motivent la CNATP à "exiger le maintien d'un gazole coloré", tout en réclamant des contrôles de la loi en bonne et due forme. Les artisans réclament par ailleurs la présentation d'une liste de machines "où il ne sera possible de mettre qu'une seule couleur de gazole, comme c'est le cas pour les voitures". La colère est donc assurément palpable, a fortiori dans un contexte économique et social marqué par la crise du Covid. "Alors que des milliards d'euros sont distribués à tout le monde, notamment tous ceux qui ne peuvent pas travailler, le Gouvernement vient taxer les petites entreprises de travaux publics de plusieurs centaines de millions d'euros pendant que les grandes entreprises ne seront pas impactées puisque sur les marchés publics, une revalorisation est prévue. Ce sont les petits qui payent pour les gros !", fulminent les professionnels.

 

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Des images de la manifestation organisée par la CNATP Jura le 16 avril 2021 contre la suppression du GNR. © CNATP

 

Refusant d'être des "sacrifiés fiscaux", ils attirent en outre l'attention des pouvoirs publics sur la pénurie de matières premières qui guette le secteur de la construction : ces hausses de prix ne pouvant par définition pas être répercutés sur les devis clients signés par le passé, la marge des entreprises s'en trouverait de fait déjà réduite. Ce qui justifierait donc un "report" de la suppression du GNR afin d'éviter "de nombreuses mises en péril".

 

Une contestation qui ne date pas d'hier

 

 

Pour rappel, la mesure a été introduite dans les projets de lois de Finances 2019 et 2020 mais a été contestée dès le départ par les professionnels, qui admettent que la transition énergétique est "légitime" mais assurent qu'il n'existe pas "d'alternatives à court terme". Souvent présenté comme une niche fiscale, le GNR ferait davantage office d'"outil de travail" pour le secteur, qui met en avant ses créations d'emplois et ses embauches d'apprentis. À l'origine, la suppression du carburant devait être étalée dans le temps, avec une suppression de l'exonération de TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) de 45% au 1er juillet 2020, de 75% au 1er janvier 2021 et de 100% au 1er janvier 2022. Des délais jugés impossibles à tenir par la filière, laquelle épinglait également des mesures de compensation insuffisantes, à l'image des dispositions relatives aux marchés publics et des promesses de contrôles.

 

Enfin, le dispositif de suramortissement pour l'acquisition d'engins de chantiers utilisant un carburant alternatif au GNR, institué pour accompagner les entreprises dans cette transition, a été jugé "fantaisiste" en l'absence "de réelles solutions alternatives". En décembre 2019, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a fini par prendre une série d'engagements pour garantir "l'équité fiscale" entre les TP et le monde agricole. Pour l'heure, une partie seulement de ces points serait respectée selon la CNATP, qui assure rester "vigilante" sur l'application théorique, au 1er juillet prochain, de l'ensemble des mesures.

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