RAPPORT. Une étude alarmante de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) vient confirmer la dangerosité et le caractère cancérigène des poussières de silice cristalline, omniprésentes dans les secteurs du BTP et de l'industrie extractive. Et formule un certain nombre de recommandations qui impacteront les manières de travailler.
C'est une confirmation : les procédés dégageant des poussières de silice cristalline sont bien cancérigènes et la réalité du risque nécessite un renforcement de la réglementation française. C'est ce que l'on peut retenir du rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publié le 22 mai 2019 - l'organisme s'était auto-saisi à ce sujet en 2015.
"Au regard des niveaux d'exposition observés actuellement en France et des excès de risques disponibles dans la littérature, l'existence d'un risque sanitaire particulièrement élevé (supérieur à 1 pour 1.000) pour la population professionnelle
exposée à la silice cristalline est confirmée", conclut l'organisme. "La valeur actuelle de la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP-8h) de 0,1 mg.m3 n'est pas suffisamment protectrice." Les procédés dégageant des poussières de silice sont classés cancérigènes par une récente directive européenne, qui sera comme de droit transposée dans la réglementation française.
La tableau des maladies professionnelles bientôt mis à jour ?
L'Anses invite donc à revoir la VLEP, sans tenir compte des différents "polymorphes" (quartz, cristobalite et tridymite). Mais aussi de réaliser un effort de sensibilisation aux risques liés à l'exposition à la silice cristalline et aux mesures de prévention auprès des professionnels. Le tableau des maladies professionnelles devrait également être mis à jour, de manière à considérer l'inhalation des poussières concernées comme potentiellement déclencheur de cancers broncho-pulmonaires. Pour rappel, la silice cristalline est aujourd'hui considérée comme agent chimique dangereux, mais non cancérigène, à l'origine de cas de silicoses.
Cet avis de l'Anses sera très probablement pris en compte par les pouvoirs publics, et se traduira dans la réglementation et les manières de travailler dans le BTP et l'industrie extractive (4.200 carrières d'extraction de minéraux et matériaux de construction sont présentes en France, d'après l'agence).
"Généraliser la mise en place de mesures de prévention telles que le travail à l'humide et/ou le captage à la source"
L'agence propose ainsi de "généraliser la mise en place de mesures de prévention telles que le travail à l'humide et/ou le captage à la source en vérifiant systématiquement au préalable leur efficacité en fonction des outils et techniques utilisées, y compris dans les chantiers mobiles". Procédés déjà connus dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics - en témoigne par exemple ce guide de la FNTP Lorraine. Mais qui ne semblent pas toujours suffisant pour respecter la réglementation, précise l'agence. "De manière générale, les niveaux d'exposition sont significativement abaissés par un travail à l'humide et/ou un captage à la source. Cependant, l'utilisation de l'une ou l'autre de ces techniques ou l'association des deux n'est pas toujours suffisante, les niveaux résiduels pouvant conduire au dépassement des VLEP actuelles." Ce qui pose d'ailleurs la question des moyens de protection des salariés à utiliser dans un cas où la VLEP serait encore abaissée, si l'on suit les prescriptions de l'Anses.
170.414 salariés du BTP seraient exposés à ce produit
Quel est le nombre exact de salariés concernés par ce risque ? D'après l'enquête nationale Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) 2017, 170.414 salariés du secteur de la construction seraient exposés à ce produit, soit 12,3% de l'ensemble des travailleurs du secteur. L'Anses, de son côté, évalue à "entre 14.600 et 22.400" le nombre d'ouvriers du BTP exposés au-delà de la VLEP de 0,1 mg.m3.
Autre moyen d'évaluer l'ampleur du phénomène, les données du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P). Il en ressort qu'entre 2001 et 2017 4.506 "problèmes de santé en relation avec le travail associé à la silice" ont été répertoriés (dont 40% de cancers broncho-pulmonaires, 26% de silicose et 8% de broncho-pneumopathie chronique obstructive. Un salarié concerné sur trois travaille dans le BTP, précise le RNV3P.
Autres recommandations de l'Anses pour la silice cristalline
- Appliquer les mesures de prévention définies par la directive 2004/37/CE concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérogènes ou mutagènes au travail.
- Faire évoluer le diagnostic et le dépistage de certaines pathologies (silicose, tuberculose, pathologies rénales…) pour des sujets exposés ou ayant été exposés professionnellement à la silice cristalline.
- Réaliser des études afin d'améliorer les connaissances sur la prévalence des expositions, sur la métrologie et sur les effets sanitaires.
- Appliquer les mesures de prévention définies par la directive 2004/37/CE concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérogènes ou mutagènes au travail.
- Faire évoluer le diagnostic et le dépistage de certaines pathologies (silicose, tuberculose, pathologies rénales…) pour des sujets exposés ou ayant été exposés professionnellement à la silice cristalline.
- Réaliser des études afin d'améliorer les connaissances sur la prévalence des expositions, sur la métrologie et sur les effets sanitaires.
Comme le rappelle l'Anses, "la silice cristalline est présente dans la plupart
des matériaux naturels d'origine minérale à des teneurs supérieures à 0,1%". "De toutes les substances minérales, la silice cristalline est celle qui est la plus fréquente dans l'ensemble de la croûte terrestre." Autrement dit, on trouve de la silice... presque partout. "Concernant les matériaux de construction, à savoir les roches ornementales et de construction et les granulats, ils contiennent tous de la silice cristalline à des teneurs variables. Ainsi, tous les secteurs utilisateurs de ces matériaux naturels et tous les secteurs intervenant sur les matériaux manufacturés à partir de ces matériaux naturels, à savoir essentiellement le bâtiment et les travaux publics, sont potentiellement concernés par une exposition à la silice cristalline. [...] Les ouvrages particulièrement concernés sont les bâtiments et les ouvrages de génie civil en béton et les routes."