ARCHITECTURE. L'agence Leclercq Associés portera, pour six années encore, les orientations stratégiques de l'extension d'Euroméditerranée, à Marseille. François Leclercq et Marie Taveau, directrice de projets, exposent, pour Batiactu, grands principes et secteurs à enjeux, et ce que changera la crise dans la façon de faire la ville.
Batiactu : Vous aviez déjà remporté, en 2009, le marché de définition des orientations stratégiques pour l'extension d'Euroméditerranée. Quelles sont celles que vous portez pour les six années à venir ?
François Leclercq : Le premier marché, que nous avons remporté dans un groupement avec Setec, l'Agence TER, Rémi Marciano et Jacques Sbriglio, portait sur la mise en place des grands fondamentaux pour ce territoire de 170 hectares, en extension de l'Opération d'intérêt national. Nous avions posé quelques bases, en train d'être réalisées, comme le parc des Aygalades. Nous avons mis au point Les Fabriques [14 ha aménagés par Linkcity et Urbanera, groupe Bouygues], et entamé les réflexions autour de l'avenir de l'autoroute A55 sur la façade littorale, et du village des Crottes. Sept ans après le début de notre mission, nous avons réactualisé ces orientations dans un plan-guide 2, avec comme question centrale celle de savoir ce qu'est la ville-nature méditerranéenne. Dans ce plan le grand parc des Aygalades montait nécessairement en compétences.
L'appel d'offres remporté en fin d'année dernière, de définition des orientations stratégiques pour les six années à venir, consiste à porter la cohérence globale du périmètre, en relation avec les coups partis (dont ceux déjà cités). Nous avons réuni une autre équipe, élargie, avec de nouveau Setec pour l'ingénierie, mais l'agence Base pour le paysage, Franck Boutté pour la partie environnementale, et Le Sens de la Ville pour l'urbanisme transitoire, entre autres. Cette cohérence s'articule autour de trois thèmes : la ville-nature méditerranéenne, de nouveau, avec la gestion de l'eau, à la fois comme risque inondation et sécheresse, et la lutte contre les îlots de chaleur urbains. Deuxième thème : la ville active, comment prolonger le cluster tertiaire d'Euroméditerranée 1, en lien aussi avec les activités arrière-portuaires, et bien sûr le port. Et puis la ville connectée, troisième thème, pour mettre en relation tous les quartiers de l'extension et avec l'ensemble de la ville, alors que ce territoire est très morcelé par les réseaux, et constitué d'isolats et de grandes emprises. Nous portons une vision globale, depuis l'urbanisme transitoire jusqu'au projet opérationnel.
Vous évoquez deux secteurs à enjeux spécifiques : le Canet et la façade littorale. Pouvez-vous expliquer de quoi il s'agit ?
Marie Taveau : Le choix est de partir des franges de l'extension pour prendre le territoire en sandwich, après s'être concentrés sur le cœur. Sur ces deux secteurs, nous avons des complémentarités d'espaces publics méditerranéens. Sur la façade littorale, il s'agit de requestionner ce que nous avions proposé, au vu des évolutions des grands protagonistes : le port a des projets de développement, la SNCF a repositionné ses fonctionnalités sur la gare d'Arenc. C'est une nouvelle feuille de route pour envisager une nouvelle façade maritime, mais aussi l'occasion de penser le paysage pour le piéton. Cela implique notamment de poursuivre et achever la réflexion sur l'avenir de la passerelle autoroutière de l'A55. Il avait été imaginé de la transformer en corniche piétonne. On pourrait aussi la ramener au niveau du sol en supprimant son caractère autoroutier. Pour l'instant les interrogations restent très larges, en lien avec la métropole. Les enjeux touchent également au faisceau ferré qui jouxte l'autoroute et bien sûr, les grandes entités du port.Sur le Canet, nous retravaillons les liens avec le nord de la ville, notamment. Augmenté du parc de Bougainville, le parc des Aygalades aura une visée métropolitaine, tout en étant pensé pour les habitants des quartiers nord.
"Il faut repenser la ville du quart d'heure, de l'hyperproximité"
Comment la pandémie de coronavirus va-t-elle, selon vous, impacter la façon de concevoir la ville à l'avenir ?
François Leclercq : Le coronavirus met à rude épreuve l'acceptabilité des villes et du logement. Tout le monde s'interroge. On voit un nombre important de tribunes, et la littérature s'active. Je ne pense pas qu'il y aura de jour d'après, de Grand soir. Mais je vois les aménageurs et maîtres d'ouvrages dire : "imaginons le logement différemment, imaginons des villes plus accueillantes par rapport aux épisodes de stress, que ce soit la maladie ou le climat". C'est positif.Il faut repenser la ville du quart d'heure, de l'hyperproximité, des services mais aussi de la nature. Ne pas être prisonnier de sa voiture, du lointain. Nous portons, en général mais aussi dans le projet marseillais, l'idée du sol commun. Le sol a une valeur essentielle. C'est à la fois l'espace public mais aussi le rez-de-chaussée des villes. Il faut des rez-de-chaussée actifs, que tout puisse s'y installer dans le temps. Il faut faire la ville plus généreuse par rapport à ce qu'il se passe au niveau du sol.
Et sur la question du logement ?
François Leclercq : On observe une tendance lourde qui est le retour à la nature. Vivre partiellement loin, dans la "métropole du lointain", aux confins de l'Ile-de-France, par exemple, dans des petites villes, des bourgs. Ceux-ci sont cohérents avec une vie métropolitaine, ils sont loin et proches en même temps. Cette tendance existe, elle peut s'amplifier avec ce que nous vivons actuellement. En même temps, avec le confinement, les normes du logement passent au crash-test. On construit trop petit pour des raisons économiques, et pour loger toujours plus de personnes, comme si on était encore à la Reconstruction. On peut espérer que cette crise provoque une prise de conscience par rapport aux insuffisances de notre fabrication standard, de la typologie des logements. Comment créer des ruptures par rapport aux habitudes que l'on traîne ?On peut espérer que ces interrogations vont perdurer, que ce ne sera pas qu'une parenthèse. Mais on peut craindre que la course au rattrapage économique du système, ne balaie cette volonté de repenser nos modes de faire.