RAPPORT. Le géant de l'assurance et de la réassurance Swiss Re vient de publier son rapport Sonar, qui repère les risques émergents qui doivent être pris en compte par les assureurs. Deux sujets se dégagent en ce qui concerne la construction : l'amiante, qualifié de "cauchemar de l'industrie", et la sécurisation de façades d'immeubles existants à la suite de l'incendie de la tour Grenfell.
Le géant de la réassurance Swiss Re vient de publier son rapport Sonar, dont la raison d'être est d'identifier, à l'échelle mondiale, les risques émergents pour les années à venir. Deux d'entre eux concernent directement le secteur de la construction, il s'agit de l'amiante (un sujet déjà connu mais qui a la triste particularité d'être un risque qui s'étale sur le long terme), et du potentiel remplacement de bardages d'isolation thermique par l'extérieur (ITE) considérés comme 'dangereux', à la suite de l'incendie de la tour Grenfell, à Londres.
Pour ce qui est du premier de ces sujets, Swiss Re n'hésite pas à qualifier l'amiante de "cauchemar" ("nemesis"), de l'industrie de l'assurance. Pour une raison simple : le risque est difficile à quantifier à l'avance, puisque l'apparition des maladies liées à l'exposition à l'amiante se fait jusqu'à 40-50 ans après cette exposition. Les enjeux de santé sont dramatiques, et les enjeux financiers sont considérables : aux États-Unis, explique Swiss Re, les pertes récentes dues à l'amiante se chiffrent à 100 milliards de dollars (85 milliards d'euros). Et les politiques mises en place ici ou là laissent à penser que le pire est à craindre : "En 2013, des millions de tonnes d'amiante étaient encore utilisées en Russie, Inde, Chine, Indonésie, Brésil. [...] Il y a tout juste trois ans, un rapport des Nations Unies montrait qu'un tiers des 900 millions de salariés vivant en Europe et en Asie centrale étaient potentiellement exposés à l'amiante au travail et de par leur environnement."
Amiante : 15.000 décès ces trois dernières années
Sur les trois dernières années, à l'échelle mondiale, 15.000 décès sont liés à l'amiante, d'après le rapport. "Ce chiffre ne tient compte que des personnes qui ont été exposées à l'amiante il y a 40 ou 50 ans. Les personnes qui inhalent en ce moment même de fibres n'y sont pas comptabilisées. Les dizaines de milliers de personnes qui respirent aujourd'hui de l'amiante pourraient développer un cancer et demander une couverture assurantielle dans les 40, 50 années à venir." Une solution privilégiée serait d'accélérer les procédures de bannissement de ce matériau dans le maximum de pays - l'amiante est encore autorisée aux États-Unis, en Chine et en Russie, notamment. "Nous devons tenir compte des personnes qui sont passivement exposées à des fibres d'amiante dans l'air. Ces fibres peuvent être émises accidentellement, par exemple, [...] lors de travaux de construction."
Autre risque émergent, et celui-ci à la différence de l'amiante est relativement nouveau : l'intervention sur des façades jugées dangereuses par rapport au risque incendie, après le traumatisme mondial causé par l'incendie de la tour Grenfell à Londres, en juin 2017. Ce drame, pour Swiss Re, "n'est que le dernier exemple d'un risque qui avait émergé bien plus tôt et qui est inhérent dans de nombreux bâtiments construits de par le monde". Le réassureur fait ici référence à trois feux de ce type ayant eu lieu aux Émirats-Arabes-Unis. "Ces trois évènements avaient des ingrédients en commun : l'existence d'une lame d'air entre le bardage extérieur et les murs du bâtiments, qui a crée un effet cheminée augmentant l'intensité du feu et facilitant sa propagation rapide ; et le manque de tests en ce qui concerne la combinaison de certains types de matériaux."
Un danger de "premier ordre" qui pèse sur des "dizaines de milliers de bâtiments dans le monde"
Les bâtiments concernés dans le monde par ce type de façades se comptent par "dizaines de milliers". A Dubaï, il y en aurait 30.000, et d'autres pays ont pratiqué des audits. "Cela représente un danger de premier ordre pour l'industrie de l'assurance : assurance des propriétés, des contractants, des architectes et ingénieurs qui recommandent/utilisent ces matériaux, entreprises de pose, produits..." Là aussi, le risque est difficile à quantifier car les tests de résistance au feu ne sont pas les mêmes partout, et parce qu'ils ont leurs limites. "Un matériau qui a passé les tests incendie avec succès, à petite échelle, peut tout de même brûler en conditions réelles", résume Swiss Re.
Des centaines de millions d'euros en jeu
L'assureur envisage la nécessité, selon les politiques mises en place localement, de devoir intervenir sur certaines façades pour les sécuriser par rapport au risque feu - comme cela a été fait par Lille Métropole habitat, gestionnaire de la tour Mermoz, frappée par un sinistre en 2012, pour un coût de plus de 1,5 million d'euros.
Pour rappel, au Royaume-Uni, le Gouvernement financera lui-même à hauteur de 450 millions d'euros le remplacement de bardage de 184 logements sociaux. Et en Australie, des milliers de bâtiments subissent des audits. En France, les pouvoirs publics travaillent le sujet, sans pour autant communiquer, un an après la parution d'un rapport du CSTB qui pointait le risque pour les immeubles de quatrième famille qui se comptent par milliers.
Mi-mai, un député des Républicains proposait, par amendement à la loi Elan, d'interdire la pose de portes et fenêtres en PVC en 2022. Ces mesures ont été rejetées en commission des affaires économiques. Pour autant, l'industrie plastique semble faire l'objet de plus en plus de réflexions, et fait partie des points de vigilance évoqués par Swiss Re dans son rapport Sonar. En cause, les effets possibles sur la santé humaine de nanoparticules de plastique. "L'américain moyen transporte dans son sang une multitude de résidus de plastique", nous informe Swiss Re. Pour l'instant, la dangerosité de ces éléments pour l'homme n'a pas été prouvée. "Les recherches sont en cours, mais certains signes pourraient indiquer que des effets négatifs sur la santé à long terme sont à envisager. Certains de ces signes sont basés sur l'observation d'animaux, comme des poissons. Mais que se passerait-il s'il s'avérait que ces nanoparticules, qui passent la barrière physiologique du cerveau des poissons, faisait de même dans le cerveau des humains ? En dernière analyse, même une interdiction du plastique est concevable."