DÉBAT. A l'instar de la France, l'avenir du logement social suscite aussi des inquiétudes à l'échelle européenne, notamment dans les grandes métropoles. A six mois de l'échéance électorale européenne, des acteurs institutionnels et associatifs appellent à placer le logement en tête des priorités.
Lors d'une table-ronde consacrée à l'avenir du logement social en Europe, des associatifs, professionnels et élus ont distribué les bons et mauvais points des politiques d'habitat dans leurs pays respectifs, dont la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Néanmoins, la crainte d'assister à une pénurie de logements reste unanimement partagée.
"L'accès à un logement abordable et de qualité est la préoccupation principale car le coût de ce logement est devenu une contrainte quotidienne insupportable", synthétise Cédric Van Styvandeal, président de la fédération européenne des bailleurs sociaux, Housing Europe.
Relatant pêle-mêle les inquiétudes de la Banque mondiale, de la Commission européenne ou d'Alain Dinin (PDG de Nexity) sur l'envolée des prix immobiliers, Cédric Van Styvandeal chiffre à "300 milliards d'euros, le plan d'investissement dont nous manquons pour traiter véritablement la question du logement abordable".
"Que chaque pays développe sa propre politique de l'habitat"
Et d'appeler les parlementaires sortants et candidats européens à faire du logement une priorité de la prochaine législature. "Mais si l'on veut que l'Europe s'occupe du logement, il faut également garder une certaine flexibilité pour que chaque pays développe sa propre politique de l'habitat", ajoute le patron des bailleurs sociaux européens pour qui l'Union européenne aurait un rôle de soutien financier et d'observateur d'objectifs chiffrés.
Comment se positionne alors la France par rapport à ses voisins européens en matière de logement social ? Pour la chargée d'études de la Fondation Abbé Pierre Sarah Coupechoux, l'Hexagone est l'un des états-membres "dont le parc social est le plus important à l'échelle européenne", en logeant "près d'un ménage sur six".
Si cette politique "a pu amortir partiellement les effets de la crise immobilière de 2008", elle se trouve aujourd'hui "mise en difficulté par la hausse des prix du foncier, la paupérisation des ménages ou le désinvestissement progressif de l'Etat". Dans l'actualité, ce troisième point s'illustre par les réformes entamées dès le début du quinquennat Macron en direction des bailleurs sociaux.
TVA à la construction et rénovation presque doublée, baisse de 5 euros sur les APL et nouveaux prélèvements : les bailleurs sociaux français craignent que ces "ponctions" n'impactent durablement leur capacité à construire de nouveaux logements et à rénover le parc existant. En 2018, le ministère de la Cohésion des territoires a constaté une baisse de la production de logements sociaux, comme l'a confirmé le ministre du Logement Julien Denormandie le 1er février dernier.
500.000 logements démolis après la réunification allemande
A l'échelle européenne, et à titre comparatif, "1,5 citoyen allemand sur 10 consacre 40% de son budget à son logement, une proportion qui tombe à 1 sur 20 en France, il ne faut pas s'en féliciter mais en prendre note", affirme Cédric Van Styvendael. Mais ces proratas pourraient s'inverser un jour au profit de l'Allemagne.
Dans un pays où le paysage locatif a été modelé par la Seconde guerre mondiale et l'urgence du relogement, "la construction de logements sociaux pouvait être réalisée par des coopératives, des municipalités ou des entreprises privées", rappelle Özgur Öner, directeur de l'association des bailleurs sociaux et promoteurs immobiliers allemands.
Mais à la réunification allemande, près de "500.000 appartements ont été démolis, et les bailleurs sociaux n'ont pas jugé nécessaire d'augmenter leur offre", relate-t-il. Face une pénurie de logements grandissante dans les métropoles, le gouvernement fédéral tente de limiter les dégâts en accordant des allocations pour les locataires du parc privé ou en encadrant les loyers en zone tendu. "Ces mesures étant insuffisantes, le gouvernement fédéral a décidé d'accorder une priorité particulière au logement abordable, et modifié la Constitution pour impliquer directement les Etats fédérés", témoigne le directeur de l'association allemande des bailleurs sociaux et promoteurs immobiliers.
Depuis, l'Allemagne se fixe un objectif de construction de 80.000 logements sociaux par an, avec une enveloppe ad hoc d'1,5 milliard d'euros en 2019, et d'1 milliard en 2020 et 2021. En allouant ces subventions aux "landers", le gouvernement s'engage par ailleurs "à céder des terrains aux communes à des prix réguliers, et à accélérer la planification des délivrances de permis de construire".
Le "mauvais exemple" britannique
"Si les expériences des pays peuvent constituer des exemples, alors le Royaume-Uni en est un mauvais", ironise Ruth Owen, responsable de plaidoyer à la Feantsa, fédération européenne d'organisations luttant contre le sans-abrisme.
Au cours des années 80, sous le gouvernement Thatcher, le Royaume-Uni assiste à une vague de "privatisation forcée" du secteur HLM, proposant à de nombreux locataires de racheter leur logement. Une réalité exacerbée à Londres, "ville la plus déréglementée au monde", où "la grande partie de ces propriétaires sont des investisseurs, qui louent ces biens aux offices HLM aux prix du marché privé", illustre James Murry, adjoint londonien au logement auprès du maire Sadiq Khan.
"Certains bailleurs sociaux s'éloignent de leur première mission d'intérêt général pour se tourner vers une offre plus commerciale, voire arrêter de gérer du logement social", regrette de son côté Ruth Owen.
La problématique est devenue difficilement résorbable à l'unique échelle municipale. En attendant un plan d'amplitude nationale, l'équipe municipale a lancé le programme "Building council home for Londoners", un plan doté de 4,8 milliards de livres (5,4 milliards d'euros) visant à construire 116.000 logements sociaux à l'horizon 2022.