REACTIONS. Après les arbitrages sur la future Réglementation environnementale 2020, les réactions des acteurs du bâtiment pleuvent : si l'Union française de l'électricité se félicite d'une "approche adaptée, flexible et résiliente", la Fédération française du bâtiment s'alarme d'objectifs économiques et de délais d'adaptation "irréalistes" pour les entreprises de la filière.
Ce 24 novembre 2020, le Gouvernement a rendu ses arbitrages sur la future Réglementation environnementale : dès l'été 2021, le chauffage au gaz sera donc interdit pour les maisons individuelles neuves. Le texte entérine par ailleurs "la disparition progressive des logements neufs chauffés au gaz", en fixant "un seuil maximal d'émissions de gaz à effet de serre des consommations d'énergie", d'après le dossier de presse du ministère de la Transition écologique.
"Incohérence" des choix politiques sur le gaz
Les réactions des acteurs de la construction se sont rapidement enchaînées et témoignent de prises de positions parfois très divergentes. Dans un communiqué, la Fédération française du bâtiment (FFB), même si elle reconnaît avoir été entendue sur "la nécessaire progressivité de l'exigence carbone", s'alarme néanmoins d'objectifs et de délais "irréalistes", aussi bien au niveau économique que sur "la capacité de la filière à s'adapter à ces changements radicaux".
Et, au passage, de tacler une "incohérence" des choix politiques concernant le retrait du gaz dans les futures constructions : "Alors que la RT 2012 prônait l'utilisation du gaz et que des investissements conséquents ont été faits tant pour développer le gaz vert que pour maintenir un réseau de distribution de qualité, cette source d'énergie se trouvera exclue dès 2021 des maisons individuelles neuves, puis de l'ensemble des logements neufs à compter de 2024". Une situation qui, pour l'organisation professionnelle, signe "la mort annoncée à terme" d'une filière employant des collaborateurs qualifiés et fabriquant majoritairement ses produits sur le sol de l'Hexagone.
"L'orientation politique, si elle a le mérite d'être clairement affichée, manque de réalisme. Nous n'avons pas besoin de 'jouer aux apprentis sorciers' en cette période de grave crise économique d'une intensité jamais connue, dont les premiers effets seront ressentis dans le BTP l'année prochaine. C'est vouloir mettre de la complexité lors d'une année de reprise économique, en méconnaissant les délais nécessaires pour adapter les filières. Ce sont des dizaines de milliers d'emplois mis en danger inutilement, dans l'industrie et le BTP." - Olivier Salleron, président de la FFB
Des estimations "largement sous-évalués" sur les surcoûts de construction
La question des matériaux bio-sourcés, et particulièrement de la place importante qu'est appelé à occuper le bois, soulève d'autres inquiétudes. La RE 2020 prévoit effectivement que les constructions bois deviennent la norme pour les maisons individuelles à l'horizon 2030, et que le matériau sylvestre soit largement utilisé pour les structures des logements collectifs. Bien que favorable à une hausse de l'utilisation des produits bio-sourcés, la FFB souligne que "cette trajectoire sous-estime les nécessaires adaptations des différentes filières", pointant "[les] parts de marchés actuelles et [le] manque de visibilité sur les capacités de production françaises".
"Le gouvernement fait fi des gaz renouvelables pour les logements neufs", Patrick Corbin (Association française du gaz)
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"Nous sommes déçus de l'intention politique exprimée ce matin : la RE2020 prévoit la sortie du gaz dans le logement neuf ; dès l'entrée en vigueur des décrets en 2021 pour les maisons individuelles et à partir de 2024 pour les logements collectifs", commente Patrick Corbin, président de l'Association française du gaz (AFG), dans un communiqué de presse du 24 novembre 2020. "Alors que le réseau de gaz naturel sera de plus en plus renouvelable à horizon 2050, le gouvernement fait fi des gaz renouvelables pour les logements neufs." L'Association assure enfin que la question de la pointe électrique devra être reposée : "En effet, bien que ces logements gagneront en efficacité énergétique, ils augmenteront la charge de la pointe, passant de 200.000 à 400.000 nouveaux logements à l'électricité chaque année."
Les griefs ne s'arrêtent pas là pour la fédération, qui regrette en outre "qu'aucune information ne soit donnée quant aux seuils applicables aux bâtiments tertiaires visés également par la réglementation dès l'été prochain". L'organisation déplore enfin "l'absence de présentation d'une étude technico-économique globale", et, sur l'épineux dossier des coûts de construction, "ne partage pas les 3 à 4% de surcoûts immédiats annoncés", des estimations "largement sous-évalués" selon elle. De telles dispositions feraient d'ailleurs courir un "risque d'éviction" pour les ménages les plus modestes. Ce sur quoi la FFB demande donc au Gouvernement de reprendre dès que possible les discussions autour de la RE 2020, notamment pour étudier plus précisément les répercussions économiques à court comme à moyen terme des arbitrages présentés ce jour.
Les constructeurs bois se déclarent "en ordre de bataille" pour conquérir le marché du neuf
L'Union des industriels de la construction bois (UICB) a réagi aux annonces du Gouvernement sur la RE2020, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue ce 24 novembre 2020. Sans surprise, les professionnels de la filière se félicitent de la plupart des annonces favorisant le recours aux biosourcés, comme le choix de l'analyse du cycle de vie dynamique - "c'est nous qui l'avions portée", assure Frédéric Carteret, président de l'UICB. Quant à l'idée de conquérir le marché de la maison individuelle d'ici à 2030, le secteur se dit "en ordre de marche" (aujourd'hui, le bois construit 25 à 30.000 maisons individuelles par an, sur 130.000 en tout). "Nous sommes en mesure de répondre à cette demande de manière rapide, même si nous sommes une filière jeune, atomisée. Nous allons avancer et nous réinventer", a expliqué Frédéric Carteret, qui a rappelé, par ailleurs, que cela ne serait pas seulement les constructeurs bois qui allaient se mobiliser pour cette révolution, mais l'ensemble des constructeurs, des TPE aux majors. Le BTP dans son ensemble pourrait ainsi se "reprogrammer" autour des biosourcés.
Seule ombre au tableau : l'UICB attend du Gouvernement qu'il communique le niveau exact du seuil carbone sur les produits et matériaux de construction, toujours inconnu à ce jour. L'organisation prône, dès juillet 2021, 400 kgC02/m² en collectif, 350 en maison et 600 en enseignement.
"Tout cela va nécessiter qu'on fasse de l'efficacité énergétique dans le bâtiment"
Un discours sensiblement différent du côté de l'Union française de l'électricité (UFE), qui salue de son côté une nouvelle réglementation fraîchement sortie d'une longue phase de concertation, durant laquelle groupes de travail et réunions se sont enchaînées sur des mois. "Ce n'est pas une décision purement technocratique qui tombe comme ça ! La RE 2020 est attendue pour l'orientation qu'elle va donner, après les objectifs de la SNBC (Stratégie nationale bas-carbone) et l'inclusion du critère carbone, qui est un signe important", affirme Mathias Laffont, directeur économie, mobilité et bâtiment de l'organisation, contacté par Batiactu. "Le texte confirme le principe de sobriété énergétique, qui vient en soutien de la décarbonation et qui constitue l'un de ses leviers."
Les professionnels de l'électricité, qui considèrent que la France ne pouvait pas se permettre de passer à côté d'un texte de ce calibre au vu des enjeux environnementaux de l'époque, louent "une approche adaptée, flexible et résiliente, qui procède par étapes", et qui acte "des différenciations entre maisons individuelles et logements collectifs, entre la phase de construction et celle d'exploitation". Et si, en devenant potentiellement toute-puissante au sein de la RE 2020, l'électricité pourrait augmenter sa production en amont, nul doute pour les entreprises de la filière que le secteur suivra et sera en mesure d'assumer ces nouveaux usages. "On ne se dirige pas vers un scénario tout électrique, mais vers un scénario tout décarboné", nuance Mathias Laffont.
Le Pôle habitat de la FFB évoque un surcoût de 10 à 15% en maison neuve dès 2021