ENTRETIEN. Plusieurs acteurs de la construction ont fait part de leurs doutes quant à la méthode de l'analyse du cycle de vie des bâtiments. Mais, pour les membres de l'association Bâtiment bas carbone (BBCA), il faut aller de l'avant et capitaliser sur les nombreux travaux crédibles déjà effectués. Explications avec Hélène Genin, déléguée générale de l'organisation.

Alors que certains acteurs de la construction s'inquiètent de la crédibilité des analyses de cycle de vie (ACV) qui seront imposées par la réglementation environnementale 2020, et demandent un report de son entrée en vigueur, l'association Bâtiment bas carbone (BBCA) a souhaité réagir auprès de Batiactu. Pour Hélène Genin, déléguée générale, il faut profiter de la dynamique actuelle et instaurer au plus tôt un cadre réglementaire pour aller vers la massification. Entretien.

 

Batiactu : Certains acteurs de la construction, et non des moindres, ont récemment formulé des doutes sur la méthode de l'analyse du cycle de vie dans le cadre de l'expérimentation E+C-. Quelle est votre réaction ?

 

Hélène Genin : L'association BBCA a été créée en 2015 autour d'une soixantaine de membres, avant la Cop 21, et notre premier référentiel pour la construction neuve bas carbone date de 2016, réalisé avec des bureaux d'études, avec la caution scientifique du CSTB. L'expérimentation E+C-, lancée en 2017, s'en est d'ailleurs inspiré. Cette initiative gouvernementale a permis une prise de conscience générale, et prépare la massification des bâtiments bas carbone.

 

En somme, cela fait quatre ans que nous travaillons à la question du carbone et de l'analyse du cycle de vie, et les membres de BBCA sont tout à fait en mesure de répondre à une future réglementation à ce sujet, même si des points sont à améliorer. Un mouvement collectif s'est engagé, profitons-en et ne retardons pas la mise en œuvre des textes. Le Giec nous a avertis : chaque degré compte, et de fait chaque année compte aussi ! Je rappelle que le logement représente 27% des émissions de gaz à effet de serre en France, et si l'on rajoute le tertiaire on approche probablement des 40%.

 

Hélène Genin, déléguée générale de BBCA
Hélène Genin, déléguée générale de BBCA © BBCA

 

Batiactu : Quels seraient les points d'amélioration à envisager ?

 

H.G. : La méthode va évoluer en permanence, et c'est bien normal, à mesure que nos connaissances en matière d'analyse du cycle de vie s'affineront. Mais cette perfectibilité est-elle une raison pour ne rien faire ? Les grands sujets liés à l'ACV ont déjà été identifiés : utilisation des matériaux, conception bioclimatique, stockage du carbone, réemploi... Nous en savons déjà beaucoup.

 

Sur les points d'évolution, nous estimons qu'un seuil intermédiaire entre C1 et C2 serait bienvenu ; et nous nous questionnons sur le bien-fondé des niveaux énergie 3 et énergie 4. L'énergie est-elle vraiment la priorité ? Je rappelle qu'un bâtiment à énergie positive peut tout à fait être un bâtiment énergivore. Et certains acteurs font une confusion, en estimant qu'un bâtiment qui consomme moins est nécessairement un bâtiment bas carbone, ce qui n'est pas toujours le cas. Le secteur a réalisé de gros progrès en énergie, faisons attention à ne pas augmenter encore les exigences, exiger des équipements supplémentaires pour être Bépos, au point de grever le bilan carbone.

 

 

Batiactu : L'incomplétude de la base Inies est également pointée par de nombreux professionnels comme un frein au déploiement de la future réglementation...

 

H.G. : Les pouvoirs publics ont fait le choix, en 2017, de purger la base Inies. Pour encourager les industriels à l'alimenter, ils ont décidé d'instaurer des fiches par défaut au bilan carbone défavorable. Mais c'est un choix politique qui ne doit pas nous empêcher de réduire l'empreinte carbone des bâtiments au plus tôt. Nous pouvons également espérer que l'ensemble des industriels comprendront leur intérêt à produire leurs FDES. Et il appartient aujourd'hui à l'État de faire évoluer ou non sa manière : reste-t-on sur du pénalisant ou change-t-on de méthode ?

 

Par ailleurs, où se trouve le carbone dans le bâtiment ? Deux lots pèsent lourd dans la balance : les fondations et la superstructure qui constituent environ la moitié du total. Or, dans ces domaines, les fiches sont majoritairement présentes, il y a de la matière avec laquelle travailler sur de bonnes bases. Certes, nous manquons encore de fiches sur certains matériaux émergents, comme les biosourcés. Mais le retour de nos adhérents, c'est qu'il y a de quoi aller dans le bon sens. Pour rappel, 40 bâtiments disposent de notre label BBCA et 100 demandes sont en attente.

 

Batiactu : Certains acteurs, dont Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable, a évoqué récemment une entrée en vigueur progressive de la RE2020, par classe d'actif. Cette solution vous conviendrait-elle ?

 

H.G. : Nous sommes favorables à l'idée, dans un premier temps, de réserver la RE2020 à certains chantiers importants ou situés en milieu urbain dense. Mais, plus que tout, nous souhaitons conserver un calendrier d'entrée en vigueur qui donne un engagement, un objectif, afin de tirer la filière vers le haut. Mobilisons les acteurs en communiquant sur les retours d'expérience, les réalisations, les avancées. La dynamique est réelle : de plus en plus de territoires demandent du bas carbone. Les JO 2024 seront une forme de démonstrateur dans ce domaine. Nous avons besoin d'un texte sur lequel nous appuyer !

 

Batiactu : Les entreprises et promoteurs craignent le surcoût qui serait entraîné par cette RE2020. Est-ce un critère pris en compte par le label BBCA ?

 

H.G. : Non, nous ne tenons pas compte de ce critère. Mais d'après les remontées de professionnels engagés dans la démarche, le passage au bas carbone est financièrement neutre. Pourquoi ? Car la construction bas carbone permet d'avoir davantage recours à la préfabrication, à réduire les quantitatifs, limiter les déchets, raccourcir les délais de chantier... Autant d'éléments qui compensent le fait que certains matériaux peuvent coûter plus cher. Bien sûr, pour un acteur qui ne se serait pas engagé en amont sur ce sujet, la marche sera plus haute au moment de l'entrée en vigueur.

 

Batiactu : Une autre crainte est celle de la complexité des calculs. La RT2012 est déjà lourde de ce point de vue, et des bureaux d'études appellent à ne pas trop charger la barque avec un nouveau moteur dédié au carbone...

 

H.G. : Les acteurs ont effectivement dû se mettre au niveau lors du passage à la RT2012. De la même manière, il faudra monter en compétences sur la partie carbone avec la RE2020. Il existe d'ailleurs déjà des formations à l'analyse du cycle de vie qui constitue effectivement un calcul en plus. Mais n'exagérons pas sa complexité : il prend, d'une certaine manière, la forme d'un grand tableau Excel.

 

Batiactu : De quelle manière évoluent les labels BBCA ?

 

H.G. : Nous en sommes, pour le neuf, à la troisième itération du label, qui évolue chaque année par le travail de notre commission technique qui adapte ses conclusions aux retours d'expérience. Aujourd'hui, nous proposons trois niveaux, 1,15 tonne/m² pour le premier niveau, puis 1 tonne pour le deuxième et enfin 0,85 tonne pour le niveau d'excellence - pour rappel, le niveau C1 de l'expérimentation E+C- se situe à 1,5 tonne et le C2 à 1 tonne. Quatre critères nous intéressent pour évaluer les bâtiments : la construction, l'exploitation sur cinquante ans, le stockage carbone et plusieurs points d'innovation (économie circulaire, réemploi, transformabilité du bâtiment, présence d'espaces mutualisés, émission de carbone de la future déconstruction...). L'an dernier a également vu le lancement de notre label BBCA rénovation, qui fonctionne sur les mêmes critères. Nous avons également cadré le label à l'échelle du quartier, et cela fonctionne également.

 

Batiactu : Après le neuf en bas carbone, le grand chantier sera bien évidemment celui de la rénovation... Quels sont les chantiers réglementaires en cours à ce sujet ?

 

H.G. : Nous devons tout d'abord nous occuper du neuf ! Aucun chantier réglementaire n'est pour l'instant ouvert pour la rénovation bas carbone, mais nous informons tout de même l'État de l'avancée de nos travaux. Il se montre très à l'écoute. Nous invitons également sur ce champs à ne pas se focaliser uniquement sur l'énergie. Les matériaux peuvent représenter entre 10 et 40% dans le poids carbone d'une rénovation, selon son ampleur. Nous disposons déjà de retours d'expérience en rénovation, avec notamment plusieurs bailleurs sociaux. Nous souhaitons ouvrir la voie sur ce thème comme nous l'avons fait pour le neuf. L'association BBCA reste en effet une fenêtre ouverte sur ceux qui créent la prochaine génération de bâtiments.

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