ENTRETIEN. Les architectes souhaitent-ils se positionner sur le créneau de l'accompagnateur rénov' ? Oui, répond Michel Jarleton, vice-président de l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa). Mais à la condition que les pouvoirs publics apportent une retouche jugée importante au projet de décret actuellement en consultation publique.
Pour la ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, les architectes sont des candidats naturels au rôle d'accompagnateur rénov'. Mais les architectes eux-mêmes sont-ils intéressés pour le devenir ? Les grandes lignes de ce dispositif se dessinent dans un projet de décret, mis en consultation publique jusqu'au 25 février 2022. Et pour Michel Jarleton, vice-président de l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa), le texte, en l'état, n'offre pas les conditions permettant aux architectes de s'y retrouver.
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Batiactu : Comment percevez-vous la version du projet de décret "accompagnateur rénov'" mise en consultation publique ?
Michel Jarleton : Nous nous félicitons de voir prises en compte certaines de nos demandes. Dans la version initiale, les architectes étaient bien positionnés comme pouvant être accompagnateurs, mais sans pouvoir exercer leur rôle de maîtrise d'œuvre derrière. Nous avons signalé aux pouvoirs publics que cette situation était non seulement frustrante pour nous, mais contre-productive du point de vue des ménages puisqu'elle multipliait les interlocuteurs. La maîtrise d'œuvre est le cœur de notre métier. Les textes ont été repris, et la situation a heureusement été rétablie.
"Le projet de décret actuel ne nous permet pas de mettre en œuvre cette solution"
Batiactu : Souhaitez-vous voir intégrées de nouvelles évolutions au projet de décret actuel ?
M.J. : Nous allons revenir à la charge sur un point important : la possibilité de pouvoir travailler en collaboration avec des artisans. Pourquoi ? Parce que ces opérations de réhabilitation de logements se caractérisent par des montants de travaux très faibles par rapport à ceux que nous connaissons habituellement dans le bâtiment. Il est ainsi difficile d'y trouver un équilibre économique. C'est pourquoi nous nous sommes rapproché, dans le cadre de notre programme "architectes de la rénovation", de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), afin de trouver des solutions. Ce travail a débouché sur un mode de collaboration "offre globale" architecte/artisan qui offre mutualisation des actions, réduction des coûts et gain de temps. Malheureusement, le projet de décret actuel ne nous permet pas de mettre en œuvre cette solution dans le cadre de l'accompagnateur rénov'. C'est dommage, car les ménages se sentent rassurés de n'avoir qu'un seul interlocuteur gérant l'ensemble de l'opération. Cette confiance des clients est d'autant plus importante que les travaux se font souvent en site occupé, sur une durée contrainte.
Batiactu : Une collaboration entre un architecte et un artisan mettrait en effet à mal l'idée de séparation entre prescription et réalisation des travaux, chère au gouvernement...
M.J. : Les pouvoirs publics sont en effet très prudents pour éviter tout problème d'éthique, de conflit d'intérêt, en dissociant la maîtrise d'œuvre de la réalisation des travaux. Mais c'est mal connaître les architectes ! Je rappelle que notre profession est soumise à un code de déontologie, dispose d'un ordre qui a un pouvoir disciplinaire, est soumise à un certain nombre de responsabilités bien définies... Notre logiciel interne, c'est de toujours travailler dans l'intérêt de l'usager. La volonté du gouvernement est celle de massifier les rénovations globales, et nous proposons une solution qui permettrait d'aller dans ce sens. Si la mission d'accompagnateur rénov' se limite à ce qui est inscrit dans la version actuelle du projet de décret, les architectes n'iront pas.
"Trouvons le bon équilibre pour n'avoir pas de dégâts à déplorer"
Batiactu : Les architectes sont-ils formés à des problématiques telles que le montage des dossiers d'aides ou la gestion sociale d'un foyer en précarité énergétique ?
M.J. : Nous avons effectivement besoin d'un complément de formation sur les aspects sociaux et de gestion financière des aides. Mais les architectes disposent déjà, à la différence de nombreux autres acteurs privés, comme les diagnostiqueurs immobiliers, des indispensables connaissances techniques. Et ce qui nous inquiète d'ailleurs serait la nomination d'accompagnateurs ne disposant pas de ce bagage de savoirs. Cela déboucherait, d'ici deux à trois ans, à des problèmes de non-qualité comme ceux que nous avons connu avec les offres à un euro, sans personne qui puisse en assumer les responsabilités. Trouvons ainsi le bon équilibre pour n'avoir pas de dégâts à déplorer.
Batiactu : Les architectes sont-ils prêts à orienter davantage leur activité vers la rénovation, comme nous y oblige le contexte climatique ?
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M.J. : Les très nombreuses agences d'architecture qui maillent le territoire français, de petites structures avec un ou deux salariés, ont toujours été présentes sur le marché de la rénovation du logement individuel, même si elle ne font pas que ça. Ces architectes apprécient le contact humain, ont de l'appétence à travailler directement en lien avec le client pour améliorer l'usage de son habitat. La seule difficulté, encore une fois, consiste à trouver le schéma économique qui leur permettrait de vivre de cette activité. La solution que nous avons trouvée, sur ce plan, est le travail en collaboration avec les artisans. C'est pourquoi nous espérons être entendus par les pouvoirs publics quant à l'accompagnateur rénov'.
Un projet de décret, mis en consultation publique, propose de rendre obligatoire le recours à un accompagnateur dans plusieurs cas de figure : au 1er janvier 2023, pour les travaux de rénovation globale financés avec l'aide MaPrimeRénov' sérénité ; puis, à compter du 1er septembre 2023, pour les opérations financées par l'aide MPR "rénovation globale", ainsi que pour les bouquets de travaux (deux gestes ou plus) éligibles à plus de 10.000 euros de prime.