ÉCONOMIE. Invités à présenter leurs propositions pour le secteur de la construction lors d'un évènement organisé par la profession, huit candidats à l'élection présidentielle se sont succédé pour livrer leur vision de la filière. Souveraineté nationale, allègement des normes, transition bas-carbone, lutte contre la fraude, territorialisation de la politique du logement... autant de sujets qui ont notamment été évoqués.
Quel avenir pour la construction en France ? Huit candidats (officiellement déclarés) à l'élection présidentielle de 2022 ont été invités à présenter leurs propositions pour le secteur lors du Sommet de la construction organisé à Paris par la Fédération française du bâtiment (FFB). De l'extrême-gauche à l'extrême-droite, les responsables politiques de tous bords ont ainsi pu livrer, en physique sur le plateau ou via des messages vidéo, leur vision de la filière et revenir sur les revendications portées par la FFB. Souveraineté nationale, allègement des normes, transition bas-carbone, lutte contre la fraude, territorialisation de la politique du logement... les sujets abordés n'ont évidemment pas manqué. Mais si certains candidats se sont contentés d'enfoncer des portes déjà ouvertes, d'autres sont allés plus loin dans leur réflexion et ont même fait preuve d'originalité dans leurs propositions.
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Batiactu vous propose de revenir sur le positionnement de chaque candidat vis-à-vis du secteur du bâtiment.
Anne Hidalgo : "On a besoin d'une maîtrise publique du foncier, d'une programmation à l'échelle des territoires"
Celle qui est toujours maire de la capitale mais qui porte aussi les couleurs du Parti socialiste pour l'élection présidentielle a affirmé qu'il fallait "construire plus" mais "de manière moins verticale", ce qui passe par "un allègement des normes", "une décentralisation du pays" et "des investissements". D'après l'édile, le Plan de relance du gouvernement de Jean Castex rate le coche en matière de logement : "France Relance doit être repris car il risque d'être une occasion manquée. Présidente, je le reprends et je mets le paquet sur la rénovation thermique des logements", a-t-elle lancé. Désireuse de se distinguer de ses concurrents écologistes, Anne Hidalgo a aussi assuré que la fin de l'artificialisation des sols ne constituait pas une solution en soi : "La question écologique est cruciale mais on ne règlera pas le problème du mal-logement en arrêtant de construire".
Pour opérer sa "décentralisation massive", la maire de Paris estime que l'échelon de la région représente "un espace très pertinent". "On a besoin d'une maîtrise publique du foncier, d'une programmation à l'échelle des territoires. Il faut densifier de façon intelligente et répondre aux besoins de la population en termes de logement", a-t-elle poursuivi, insistant à plusieurs reprises sur la notion de programmation. Sur le manque de main-d'oeuvre frappant les métiers du bâtiment, Anne Hidalgo veut "généraliser la formation en alternance pour que tous les jeunes aient accès aux compétences professionnelles", citant notamment "la maturité" et "l'ouverture d'esprit" induites par les cursus en apprentissage.
Arnaud Montebourg : simplifier les normes, bloquer les prix du foncier, mettre en place un "préfet constructeur" dans chaque département
L'ancien ministre de l'Économie et du Redressement productif pendant le quinquennat de François Hollande, lui aussi lancé dans la course à la magistrature suprême, a mis l'accent sur la réindustrialisation. Plus précisément, l'ex-locataire de Bercy a échafaudé un plan "Made in France XXL" qui a permis d'identifier 60 produits jugés critiques pour le bon fonctionnement de l'économie tricolore. Plusieurs de ces produits se destinent d'ailleurs à la construction et permettront, à terme, de remplacer des matériaux polluants par des matériaux biosourcés. "Je propose d'utiliser la commande publique, les aides d'État et les accords inter-entreprises pour grouper les commandes", a expliqué Arnaud Montebourg. Ajoutant : "Sans ces trois choses, nous ne pourrons pas relancer l'industrie". Dans son optique, les aides d'État auraient un caractère "exceptionnel" mais seraient néanmoins justifiées par le fait que seule la puissance publique dispose des financements nécessaires pour ce type de relance. "Il faut qu'on crée une nouvelle collaboration publique/privée que le droit européen interdit aujourd'hui de faire", a-t-il poursuivi. "On va être obligé de monter des boîtes ensemble, on va être obligé de construire des business plan ensemble."
Le problème majeur identifié par l'ancien ministre est "l'accumulation des normes", pour lequel il propose "un plan social au sommet de l'État" ainsi qu'un "vice-Premier ministre chargé de la simplification". Il a cependant aussi épinglé le problème de la "rente foncière", qu'il précise ne pas confondre avec la "productivité foncière" : pour lui, "on doit décourager la rente et encourager le travail en restreignant - donc en bloquant - les prix de vente du foncier". Il s'est également dit favorable à "un élargissement du droit d'expropriation, y compris dans le domaine public", tout en souhaitant la mise en place d'un "préfet constructeur" dans chaque département ainsi que la création d'une "agence d'État" acquérant des biens immobiliers à faible valeur pour ensuite les revendre à des entreprises qui se chargeraient de les rénover. Plaidant pour un "retour à la terre" basé sur "une sorte d'exode rural inversé", Arnaud Montebourg a enfin considéré que les niches fiscales "coûtent cher mais ne fonctionnent pas" et que l'État "a abandonné" l'Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine) qui doit être "reprise en main".
Fabien Roussel : "C'est toute la France qui est une zone tendue aujourd'hui"
Le candidat du Parti communiste français (PCF) veut "pouvoir permettre à chacun de se loger, en appartement comme en maison". Une ambition qui nécessite d'actionner plusieurs leviers, à commence par "un investissement de 10 milliards d'euros sur cinq ans pour engager un plan de rénovation énergétique des maisons, des immeubles et du parc social". Ensuite, il s'agit de "redonner des moyens aux bailleurs sociaux" dont les ressources auraient été mises à mal par la réforme des aides au logement. En outre, le PCF veut aller encore plus loin sur le plan de la fiscalité : "Il faut augmenter le nombre de personnes éligibles au PTZ (Prêt à taux zéro) et permettre aux élus ruraux d'adapter les règles du foncier", a déclaré Fabien Roussel. Qui dit "oui pour réviser le zonage du PTZ" et "oui pour revenir sur le ZAN (Zéro artificialisation nette)" au vu des besoins constructifs, "même en milieu rural" : "C'est toute la France qui est une zone tendue aujourd'hui", a-t-il complété.
Le candidat communiste veut par ailleurs donner davantage de moyens aux communes et juge les aides actuelles comme Ma prime rénov' insuffisantes, d'où son appel à les augmenter. Sa prise de parole lui a aussi permis de dénoncer "l'uberisation des métiers du bâtiment", un phénomène "pas acceptable" dans la mesure où il débouche sur une forme de "concurrence déloyale". Dans le même temps, il a indiqué vouloir "réformer les règles des appels d'offres pour pouvoir développer les circuits courts, protéger les marchés, faire en sorte que l'argent public bénéficie à des entreprises locales et que le bâtiment offre des perspectives d'emploi aux jeunes". "On a besoin d'une dépense publique utile pour bâtir, on a besoin d'une grande politique publique en matière de logement", a-t-il lancé. Enfin, le dernier chantier à ouvrir à ses yeux sera celui de la "relocalisation des productions de matières premières" pour "retrouver une souveraineté et éviter les pénuries" que la filière peut connaître actuellement.
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Yannick Jadot : investir 10 milliards d'euros par an pour le logement et développer une "industrie des biomatériaux"
"Le bâtiment est l'un des secteurs au coeur de la transition écologique", a affirmé d'emblée le candidat écologiste. Partant de là, celui-ci prévoit "un investissement de 10 milliards d'euros par an pour le logement", une enveloppe "essentiellement" fléchée vers la rénovation avec "une prise en charge des travaux de rénovation pour les familles". L'idée générale étant de relancer le logement, notamment social, le député européen d'Europe-Écologie-Les Verts veut mettre en place "le vrai service public de la rénovation énergétique", reprochant à l'actuel de n'être pas "facilitateur" ni "accélérateur". Sans entrer davantage dans le détail, Yannick Jadot a reconnu qu'il état envisageable d'avoir "des logiques de densification de l'espace et de relocalisation d'activités économiques" pour "appuyer la construction". Et d'avancer un chiffre : "On remettra 150.000 logements sociaux en chantier par an".
Le parlementaire s'est aussi dit pour "dézoner le PTZ, le favoriser" et pour instaurer "un embargo européen sur les exportations de bois", jugeant au passage les exports massifs de grumes vers la Chine "scandaleux". "C'est un enjeu de souveraineté. Il n'y a plus de politique industrielle en France et il n'y en a jamais eu en Europe", a-t-il relevé. "Il faut protéger nos forêts et développer les biomatériaux, comme le parpaing de lin, le béton de chanvre, les laitiers sidérurgiques... Bref, il nous faut construire une industrie des biomatériaux", a conclu Yannick Jadot.
Marine Le Pen : PTZ "nataliste", lutte contre les fraudes et augmentation de la prime d'activité
C'est dans un message vidéo pré-enregistré que la présidente du Rassemblement national s'est exprimé sur les enjeux du bâtiment. Selon elle, l'arrêt de l'immigration clandestine, la préférence nationale pour l'accès au logement social et le rétablissement de la sécurité publique sont des prérequis pour relancer la construction. La candidate d'extrême-droite est également favorable à un PTZ "nataliste" axée sur les familles nombreuses, et juge par ailleurs que la réglementation européenne est "trop contraignante" pour les très petites, petites et moyennes entreprises du secteur, allant même jusqu'à parler de "folie normative". Marine Le Pen souhaite également lutter contre les fraudes pour éviter la concurrence déloyale en embauchant des contrôleurs, augmenter la prime d'activité pour les secteurs en tension (dont le bâtiment) et la baisser pour ceux qui ne le sont pas, et accentuer les efforts sur la formation professionnelle.
Xavier Bertrand : "Il faut doubler le nombre de logements bénéficiant d'aides à la rénovation en doublant les montants concernés"
Le président de la région Hauts-de-France a lui aussi pris la parole par le biais d'une courte vidéo diffusée lors de l'évènement de la FFB. Rappelant son projet de "République des territoires", l'ancien ministre du Travail sous le mandat de Nicolas Sarkozy compte relancer les chantiers "partout en France en incitant les maires à construire". Pour cela, il propose de revoir à la hausse la Dotation globale de fonctionnement (DGF), qui constitue les financements apportés par l'État au budget des collectivités territoriales. "Je reviendrai sur le ZAN", a souligné celui qui s'apprête à reprendre sa carte au sein des Républicains (LR) après avoir quitté le parti fin 2017. "Il faut doubler le nombre de logements bénéficiant d'aides à la rénovation en doublant les montants concernés", a-t-il encore déclaré, considérant que Ma prime rénov' va "dans le bon sens" mais qu'il faut "augmenter son montant".
Parmi les autres propositions de l'ex-maire de Saint-Quentin, dans l'Aisne, figurent la baisse de 35 milliards d'euros des impôts de production, la création d'une "sorte de Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency, agence du ministère américain de la Défense en charge de la Recherche & Développement des nouvelles technologies militaires) à la française", l'utilisation de la commande publique "pour privilégier les entreprises locales" et l'accroissement des contrôles pour lutter contre les fraudes.
Michel Barnier : "Amplifier substantiellement les aides à la rénovation énergétique"
C'est également sous format vidéo que le négociateur en chef de l'Union européenne dans le dossier du Brexit a apporté sa contribution au Sommet de la construction. L'ancien député compte "amplifier substantiellement les aides à la rénovation énergétique" en les accentuant auprès des ménages modestes. Une décision qui s'inscrirait dans "un plan beaucoup plus large qui remettrait en chantier un nombre important de logements" à l'échelle nationale. Michel Barnier a en outre indiqué, sans plus de précision, vouloir "un débat parlementaire sur la simplification des normes urbanistiques" et "augmenter fortement l'apprentissage".
Valérie Pécresse : "Lutter contre l'enfer bureaucratique" pour "construire plus, mieux et plus vite"
C'est la présidente de la région Île-de-France qui a conclu le bal des candidats à la présidentielle 2022. "Il faudra construire plus, mieux et plus vite", a asséné l'ancienne ministre de l'Enseignement supérieur de Nicolas Sarkozy. Déplorant le temps passé à obtenir des autorisations diverses et à surmonter de nombreux recours, elle a affirmé vouloir "lutter contre l'enfer bureaucratique". Ce qui passerait concrètement par l'instauration d'un "comité de la hache" auprès du Premier ministre, dont la mission consisterait à "diviser par deux le nombre de normes". "Si on pouvait compacter toutes les enquêtes, on gagnerait énormément de temps", a avancé Valérie Pécresse. S'agissant des recours "abusifs", elle s'est interrogée : "Peut-on mutualiser les systèmes assurantiels pour en réduire les coûts et les rendre plus accessibles ?" Quoi qu'il en soit, elle propose "un plan Orsec" (plan d'urgence de gestion de crise organisant les secours pour assurer la protection de la population) de la justice pour faire fondre le nombre de recours. Celle qui, comme Xavier Bertrand, va de nouveau adhérer à LR pour pouvoir participer au congrès qui désignera le candidat officiel de la droite, a posé une question encore plus large : "Quelle France voulons-nous ? Moi, je veux un parcours résidentiel permettant d'être propriétaire à tous les âges de la vie. L'accès à la propriété est une aspiration légitime pour des millions de Français."
C'est pourquoi la présidente de la région capitale veut miser sur le PTZ mais en le "redéfinissant", en le "recalibrant" en fonction "du territoire, du prix du mètre carré, des revenus des ménages..." Valérie Pécresse s'est également dit favorable à la "régionalisation" des compétences relatives à la politique du logement et à une "stratégie de préservation" des ressources naturelles et des surfaces. "Il faut détruire les ghettos urbains en 10 ans", a-t-elle encore revendiqué. "Je propose un plafond anti-ghetto avec pas plus de 30% de logements sociaux dans les communes, car nous avons besoin d'un équilibre résidentiel dans les quartiers." L'ex-députée a par ailleurs mentionné "un droit au logement des travailleurs", une réflexion sur les reconversions de friches et d'espaces de bureaux en logements et vice-versa, ainsi que la volonté d'"éradiquer" les passoires thermiques. Sur ce point, elle suggère de fusionner les Livrets de développement durable (LDD) avec les Livrets A pour obtenir "des financements fléchés avec des critères pour améliorer la transition écologique et faire des prêts à la rénovation énergétique". Des clauses pour favoriser les entreprises locales pourraient être intégrées à la commande publique, quand les cotisations patronales pourraient être totalement défiscalisées pour toute TPE embauchant un apprenti.