Grâce aux dons de nombreux mécènes, le projet de monastère cistercien de l'architecte John Pawson - qui utilise judicieusement le verre - a pu voir le jour en Tchéquie.

Dans l'histoire cistercienne, le verre et, particulièrement, les vitraux tiennent une place importante. Il a toujours servi à écrire l'histoire biblique, à filtrer la lumière tout en protégeant de l'extérieur. Pourtant, dans les cloîtres cisterciens, le verre n'a jamais eu sa place au profit d'une galerie à colonnes encadrant une cour ou un jardin carré. Ici, à Novo Dvùr, le verre vient bousculer 900 ans d'histoire en créant un cloître suspendu dénué de rythme spatial.

Voûte suspendue et rideau de verre

Lieu de passage couvert mais ouvert vers l'extérieur, le cloître ménage un pré carré aux moines. Coupés du monde séculier, les moines établissent, par ce lieu, un contact particulier avec la nature. Se détacher du monde, créer un espace spirituel, de pauvreté (l'horizon est tourné vers l'intérieur, vers une quête de soi et d'une harmonie avec la nature. La promenade méditative, même si elle existe, n'est pas l'activité principale du cloître. Il sert, avant toute chose, d'élément de circulation. "Nous passons sept heures par jour à prier, explique le supérieur, Père Samuel, et pourtant nous avons une activité industrielle normale. Comme les journées n'ont que 24 heures, nous devons faire les choses plus rapidement et plus efficacement. Le cloître carré en est la juste représentation puisqu'il sert à desservir l'ensemble des espaces de la manière la plus efficace possible."
Dans la tradition romane, comme à Sénanque, le cloître est rythmé par des arcades en pierre qui jouent avec la lumière. Ici, le cloître est une simple voûte en berceau plein cintre suspendu. Le rythme spatial est aboli au profit du rythme temporel de la lumière. "Nous n'avons pas pu poser de dallage de pierre, faute d'argent, raconte Pierre Saalburg, chef du projet à John Pawson Office. Nous avons ainsi retenu une solution de dalle autonivelante de couleur beige laiteuse qui s'harmonise bien avec le lait de chaux des murs et de la voûte. Cela donne une ambiance sans contraste, quasi irréel. Le haut et le bas n'existent plus au profit d'un espace abiotique baigné d'une lumière diaphane."

Reflets contre rythme

Pour se préserver du climat continental très rude de ces plateaux de la région des Sudètes, les architectes ont concédé la mise en place de doubles-vitrages venant refermer la galerie. Prise en feuillure haute et basse seulement, les verres sont calepinés tous les 3,5 m avec des joints néoprènes. "Bien sûr, nous voulions obtenir de plus grandes surfaces vitrées, rapporte Pierre Saalburg. Mais, encore une fois, la question de coût nous a arrêtés. Comme pour les joints de fractionnement de la chape au sol, ces jonctions sont trop infimes pour venir créer un rythme spatial." La perte de ce repère spatial tangible et construit dans la pierre se retrouve pourtant grâce à l'éclairement. "Nous nous sommes aperçus que la perception du cloître était très variable suivant les moments de la journée, explique le Père Samuel. La nuit, le vitrage nous renvoie notre propre reflet et le jour, il nous offre le panorama de la cour. Entre les deux, à l'aube et au crépuscule, les rapports s'inversent et se côtoient en mélangeant les perceptions."
Cet effet se retrouve aussi à certains angles du cloître qui reçoivent des cadres vitrés. Entorse au modèle cistercien de référence, ces baies s'ouvrent vers l'extérieur sur un paysage aussi abstrait que la galerie : collines ondulées et bois serpentant de vallées en vallées.

Des verrières pour faire respirer la nef

À l'intérieur de l'église, le vitrage joue de nouveau un rôle majeur en remplaçant le rythme et l'élancement des baies. Habituellement, la nef romane est rythmée par les pleins des trumeaux et les vides des baies. Les vitraux, quant à eux, jouent le rôle de filtre de la lumière en racontant l'histoire biblique. En tout cas, la lumière n'est jamais directe, elle est toujours intériorisée. Dans la nef de Novo Dvùr, l'architecte John Pawson a traduit ce phénomène en impliquant une lumière indirecte. Rabattue par de vastes canons, la lumière est contenue dans de vastes bas-côtés qui redonnent une ampleur à la nef que l'étroitesse de ses fondations ne lui accordait pas (9 mètres de large environ).
Ces puits de lumière sont couverts de verrières qui favorisent l'étanchéité du lieu ainsi que son isolation. Par temps nuageux, la nef respire au gré des mouvements de lumière comme le signe d'une résonance extérieure. Dans le choeur de l'église, on trouve une petite ouverture, au sud, dans laquelle la lumière pénètre directement. La trace est portée sur le mur du fond. Au fur et à mesure que la journée se déroule, la tache solaire s'étale en montant sur le mur et éclaire, par diffusion, l'ensemble de l'église. On le voit, dans cette construction, même si le verre est mis en oeuvre dans un dénuement technique, il n'en joue pas moins un rôle fondamental. Sans lui, point de puits de jour, ni de cloître vivable. Parfois, l'avancée technique ne se situe pas dans la technicité même, mais dans sa simple application à un contexte particulier qui lui accorde un sens plus noble.

Emmanuel Vicarini / Crédit des photos : John Pawson Office


D'une ferme baroque à un monastère minimaliste

Le futur monastère de Novo Dvùr (Cour-neuve) prend appui sur un ancien corps de ferme baroque. Le projet oscille entre démolition, réhabilitation et construction neuve. Disposée autour d'une cour, la ferme convenait bien à l'organisation d'un monastère et le lieu correspondait à l'esprit cistercien. " Le paysage de Bohême ressemble un peu au Cantal avec ses grandes prairies pauvres et ses bois de sapin, explique le Père Samuel. La pluie bat les troncs nus, la neige pelliculaire recouvre l'herbe drue et les grandes lignes boisées ondulent autour des prairies. " À terme, l'aile ouest sera restaurée dans son intégralité, l'aile nord recevra l'église neuve, les ailes sud et est ne conserveront que les fondations. Enfin, ce vaste mélange d'époques et de types de constructions (neuve, réhabilitation et restauration) s'harmonise grâce à un projet extérieur très brutal de l'architecture neuve. Le parti se tient par sa franchise, sans chercher à colmater ou effacer les traces de jonction. La nef se présente comme une sorte de profil de château d'eau ramassé en béton brut, sans ouverture. À l'intérieur, le minimalisme équilibre les lieux. Les volumes sont épurés, les intérieurs unifiés par un lait de chaux. Le cloître tient une position particulière puisqu'il est à la fois extérieur et intérieur. De dehors, il ceinture, sur trois côtés, la cour en rassemblant les bâtiments. De l'intérieur, il offre une continuité de passage.

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