POLEMIQUE. La clause "Molière" est sous le feu des critiques. Pourtant, en marchés publics, de nombreux autres outils sont utilisés pour favoriser de manière détournée les entreprises et l'emploi locaux. Laurent Frölich, avocat spécialiste en droit public, nous les décrit.

La clause Molière fait l'objet, depuis plusieurs jours, de critiques virulentes. Pour rappel, cette disposition, qui concerne les marchés publics, contraint les salariés des entreprises de BTP à parler français sur les chantiers, ou à avoir recours à un interprète. Présentée comme une disposition visant à assurer la sécurité sur les chantiers, elle est en fait un moyen de lutter contre le détachement de salariés européens en France.

 

Depuis le début de la semaine, il ne passe pas une heure sans qu'un responsable politique ou syndical dise tout le mal qu'il pense de cet outil, déjà en vigueur dans certaines régions de France.

 

La clause Molière, l'arbre qui cache la forêt

 

Dernière charge en date, celle de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. "C'est scandaleux, c'est insupportable, ça me met hors de moi, c'est des relents de préférence nationale, on veut faire croire qu'on veut lutter contre le dumping social et on tape sur les salariés avec des fondements qui sont xénophobes", a-t-il tonné sur Europe 1.

 

Certaines de ces critiques, pour l'avocat Laurent Frölich, spécialisé en droit public contacté par Batiactu, sont toutefois la marque d'une certaine "hypocrisie". Pourquoi ? Car de nombreux maîtres d'ouvrage publics ont régulièrement recours, en toute légalité, à de nombreux outils autres que la clause Molière, mais dont l'objectif est le même : favoriser les entreprises locales.

 

La clause Molière a beaucoup de petites sœurs dont personne ne parle

 

"Le grand classique, dans le cadre de prestations de fournitures et de services, c'est d'exiger dans l'appel d'offres un délai de réactivité très court dans les prestations de SAV ou d'entretien, nous explique Laurent Frölich. Ou encore, de très courts délais de livraison. Cela exclut de facto toute entreprise basée trop loin du lieu de la prestation." Cette clause peut être adoptée, par exemple, dans le cadre d'un marché lié à l'installation ou la maintenance électrique.

 

Autre technique de ce genre employée par le pouvoir adjudicateur : le critère d'émissions de CO2. "On peut attendre du prestataire de limiter ses émissions de CO2 lors, par exemple, de livraisons de marchandises", explique le spécialiste en droit public. Le résultat est le même : un avantage est donné à l'entreprise basée sur place. Dans le même ordre d'idée, mais cela concerne moins le secteur de la construction, on peut favoriser les circuits cours (dans le cadre de la livraison de produits alimentaires frais, par exemple). Nombreuses sont donc les "clause Molière"-bis qui ne font que rarement l'objet de critiques de la part d'un ministre ou d'un responsable syndical.

 

Demander à l'entreprise une connaissance de la localité

 

Et la liste des techniques employées ne s'arrête pas là. Dans une prestation de construction, le maître d'ouvrage peut ainsi exiger une certaine qualité de bois en tant que matériau de construction. Et on peut tout à fait imaginer que le type de bois demandé, comme par hasard, soit fabriqué ou disponible dans la région de l'opération.

 

"Il est également possible d'exiger, dans le cadre d'une prestation intellectuelle (d'ingénierie, par exemple), à ce que l'entreprise démontre qu'elle connaît bien l'environnement local de l'opération, nous informe Laurent Frölich. J'ai vu passer un cas tel que celui-ci pour un marché de signalétique." Dans le même ordre d'idées, certains maîtres d'ouvrage exigent des candidats, avant même qu'ils puissent répondre à l'appel d'offres, qu'ils effectuent une visite sur site, voire qu'ils rédigent un mémoire technique de plusieurs pages pour prouver qu'ils ont bien compris les particularités du marché. "Dans ce dernier cas, le pouvoir adjudicateur en demande un peu trop, car le cahier des charges est censé contenir ces éléments, affirme l'avocat. Mais c'est un moyen de plus de favoriser une entreprise qui a le temps et la possibilité de se déplacer, donc qui n'est pas trop loin du site."

 

"Parmi les moyens qui existent pour favoriser les entreprises locales, la clause Molière, en terme d'hypocrisie, franchement, ce n'est pas ce qu'il y a de pire", conclut Laurent Frölich. Mais dans ce débat, comme dans beaucoup d'autres en période électorale, le politique prend le pas sur tout le reste.

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