MARCHE. Le ministre du Logement, Julien Denormandie, assure "assumer" que sa politique entraîne une baisse du marché de la maison individuelle. Détails et réactions des professionnels du bâtiment.
Le ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a assuré lors d'une interview sur BFM Business qu'il assumait le fait que sa politique fasse chuter le marché de la maison individuelle. "Dans certaines villes secondaires, on a toujours vu le même système : des maisons individuelles naissent du fait de certains dispositifs fiscaux lancés par l'État, et le centre ville périclite", a-t-il argumenté. "Tout le monde allait vers cette logique, mais cela n'est pas la société que l'on souhaite. Dans ces territoires, nous avons donc décidé d'arrêter le dispositif fiscal Pinel. La conséquence, c'est une diminution des maisons individuelles, mais si l'on veut revitaliser les centres villes, nous devons assumer qu'en périphérie le nombre de maisons neuves diminue." Une prise de position claire de la part du ministre, qui espère de sa loi Elan, promulguée en novembre 2018, un choc d'offre "le plus rapidement possible". Il a précisé d'ailleurs que jamais il n'y avait eu une loi logement dont la quasi-totalité des décrets avaient été pris aussi rapidement.
Des propos qui font réagir les professionnels concernés
Des propos qui font forcément réagir les organisations représentatives de la filière, comme la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles (FFC). "Les Français ne se sont pas tournés vers la maison individuelle en périphérie parce qu'il y avait des aides, mais parce que cela correspondait à ce qu'ils souhaitaient pour leur mode de vie", réagit pour Batiactu Damien Hereng, son président. "La réalité, c'est que les logements anciens en centre ville ne correspondent pas à leurs besoins : les pièces ne sont pas toujours bien faites, les fenêtres petites, il n'y a pas toujours de jardin, l'éclairage naturel est souvent défaillant..." Le professionnel pointe également un problème budgétaire. "La rénovation de l'ancien est une opération à budget non-maîtrisé, contrairement au neuf qui se fait à prix convenu. Les dépassements de budgets sont fréquents, ce qui réserve ce marché aux ménages les plus aisés."
Pour la FFC, le retrait des aides pour ce type de maisons individuelles revient à une "désolvabilisation" des ménages accédants. "Le Gouvernement s'arqueboute, mais il ne pourra pas durablement tourner le dos à un type d'habitat qui représente encore 45% des constructions de logements, alors qu'il ne bénéficiera bientôt plus d'aucune aide financière", assure Damien Hereng. "Pour les ménages modestes, qui plus est, faire construire sa maison est peut-être le seul moyen d'investir son argent d'une manière efficace." Pour rappel, le PTZ neuf dans les zones dites détendues (B2 et C) sera supprimé fin 2019.
"Nous sommes atterrés par ces propos"
Les discussions annoncées depuis plusieurs mois autour d'un éventuel retour de cette aide fiscale en 2020 ne montrent toujours pas le bout de leur nez ; les propos du ministre donnent encore moins d'espoir à LCA-FFB de voir cette demande devenir réalité, comme l'explique Grégory Monod, président de l'organisation, à Batiactu. "Nous sommes atterrés par ces propos", réagit-il. "Non seulement du fait des conséquences que cela aura pour la profession et en termes d'emplois. Mais nous sommes aussi préoccupés pour les ménages accédants qui souhaitent du neuf." Il critique aussi la tendance "usante" qui consiste à opposer neuf et rénovation. "La politique de rénovation de l'ancien en centre ville est une très bonne chose", précise-t-il. "Mais si nous voulons rapidement avoir du volume d'offre, la rénovation ne suffira pas. Je rappelle qu'une écrasante majorité de communes en France sont en zones B2 et C et ne disposeront donc pas d'aides dans le neuf après la fin de l'année."
Les professionnels appellent à un échange direct avec le ministre
Il rejette également l'idée selon laquelle la maison individuelle serait avant tout un moyen de bénéficier d'aides financières. "C'est un choix de vie", assure-t-il. "Tout le monde ne souhaite pas vivre en collectif. Et je rappelle que le PTZ rénovation, en 2018, a perdu 10%, ce qui prouve que le public n'y va pas. En termes de confort, il n'est pas toujours possible d'atteindre le niveau exigé aujourd'hui par nos concitoyens. Et c'est souvent onéreux..." LCA-FFB ne perd pourtant pas espoir et appelle à un échange avec le ministre du Logement.
Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, a également réagi auprès de l'AFP. "Je suis un peu étonné par les propos du ministre du Logement qui est d'habitude très à l'écoute sur l'activité de notre secteur. [...] Si on dit qu'on va remplacer la maison individuelle en zone rurale par du collectif en centre-ville, on abandonne la proie pour l'ombre: il va falloir au moins trois ans pour redensifier les centres-villes."
Le président de la Capeb salue des "propos cohérents"
Pour autant, tous les bâtisseurs ne sont pas sur cette longueur d'ondes. Ainsi, Patrick Liébus, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), salue des "propos cohérents". "Bien sûr, il n'est pas question d'empêcher les gens d'accéder à la propriété. Mais nous devons retrouver un équilibre", explique-t-il auprès de Batiactu. "La vérité est qu'il y a de très nombreuses maisons anciennes à rénover, et nos artisans sont tout à fait disposés à réaliser ce type de travaux. Au-delà de ça, nous devons parvenir à un équilibre entre neuf et rénovation. Le ministre a eu le courage d'aller au bout de ses idées." Quant à l'idée que la rénovation dans l'ancien pourrait être très onéreuse si l'on vise un standard de confort actuel, Patrick Liébus rappelle que ces travaux peuvent se faire par étape. "Tout le monde ne peut pas acheter du neuf, et il faut ouvrir la possibilité aux ménages modestes, avec des aides, d'acquérir et rénover de l'ancien. Cela permet en plus de revitaliser des centre bourgs. D'autant plus que des terrains disponibles pour construire, il n'y en a plus autant qu'avant. Dans certaines zones, je dirais même que nous sommes allés au maximum de l'urbanisation..."
C'est l'un des autres enjeux probablement sous-entendus par le ministre Denormandie, l'artificialisation des sols, domaine dans lequel les maisons individuelles sont - à tort ou à raison - souvent montrées du doigt.