RETOUR D'EXPÉRIENCE. Les professionnels de la construction sont-ils bien préparés à l'émergence du matériau bois dans les bâtiments ? D'après une étude menée par l'Agence qualité construction (AQC) dans le cadre du programme Pacte, de larges progrès restent à réaliser.
Le terme "disruptif" est le plus souvent attribué, depuis maintenant de nombreuses années, à des start-up. Mais Luc Charmasson, président du comité stratégique de la filière bois, n'hésite pas à l'employer pour qualifier la construction bois aujourd'hui. Car, même si de nombreuses avancées ont été réalisées depuis cinq ans, notamment dans le champ réglementaire où la prise en compte du bois n'était pas au niveau, il y a encore de larges marges de progrès pour y familiariser l'ensemble des acteurs. C'est, en résumé, ce que l'on peut tirer du dernier retour d'expérience de l'Agence qualité construction (AQC) portant sur la "construction bois de plus de 8 mètres de hauteur", effectué dans le cadre du programme Pacte, dont le bilan vient d'être donné ce 11 février 2020 lors d'une conférence de presse.
Une réflexion menée, comme l'a rappelé Philippe Estingoy, directeur général de l'AQC, pour aider la filière à progresser en se basant sur des retours d'expérience. Pour ce faire, les auteurs de l'étude ont visité 25 opérations bois et rencontré 80 acteurs impliqués dans leur construction. Le modèle-type des immeubles visités est de l'habitation en troisième famille, soit en-dessous de vingt-huit mètres. C'est d'ailleurs sur ce marché que devrait de développer prioritairement la filière, et non pas comme prévu sur celui de la maison individuelle. "Avant la crise des années 90, nous croyions que nous allions commencer par nous développer sur la maison", explique ainsi Luc Charmasson. "Mais les grands CMistes qui avaient des moyens, des bureaux d'études intégrés, ont été balayés par les difficultés économiques. Aujourd'hui, il est plus logique que nous croissions sur du collectif et du tertiaire, car sur ce type de projets nous avons l'ingénierie à nos côtés." Le spécialiste n'hésite pas à parler d'un "échec" du bois sur le marché de la maison individuelle.
Pour "construire bois", il faut "réfléchir bois"
Pourquoi la construction bois pourrait donc, en 2020, être encore qualifiée de "disruptive" ? Parce qu'elle secoue les habitudes liées aux matériaux traditionnels. Comme l'expliquait récemment sur Batiactu Jacques Bouillot d'Eiffage construction, construire en bois implique de "réfléchir spécialement 'en bois' dès le début de la conception", a affirmé Luc Charmasson. Trop d'acteurs semblant visiblement attaquer un projet bois comme s'il s'agissait d'un projet béton. L'effort de formation à réaliser semble donc considérable et concerne l'ensemble des couches professionnelles du secteur : architectes, ingénieurs, entreprises du gros et second œuvre...
Car c'est bien l'intégration, le plus en amont possible, de savoirs spécialement tournés vers le matériau biosourcé, qui signe le succès - ou non - d'une opération bois. "Certaines de ces compétences arrivent trop tard, alors que la conception des bâtiments est déjà achevée", note l'AQC. Pour autant, si cette phase de conception peut être plus exigeante, plus longue, que lors d'un programme classique, l'effort est contrebalancé par le fait qu'un chantier en construction bois avance nettement plus vite qu'un chantier béton.
Des problèmes techniques persistants
Bien que, d'après l'AQC, les "sujets techniques sont en train d'être levés", force est de constater qu'ils restent quand même présents sur les chantiers bois : épaisseur des complexes de plancher, maîtrise des déformations dans le temps, interactions entre structure et façade, maîtrise des caractéristiques vibratoires et acoustiques du bois... Les sujets avancés par l'agence dans son fascicule sont nombreux.
La question de l'organisation du chantier
L'AQC a aussi insisté sur l'importance à soigner les interfaces entre les différents corps de métier ; entreprises générales et du second œuvre étant tellement habituées au béton. "On ne perce pas du bois comme on perce du béton", rappelle Luc Charmasson. Il faudrait donc "adapter l'organisation aux chantiers bois, par exemple par la mise en place de réunions d'interface", conseille l'AQC. Des conseils de bon sens qui sont d'ailleurs valables pour n'importe quelle opération, en bois ou non.
Un secteur où l'innovation est encore fréquente
Le bois construction étant en plein développement, les demandes d'avis technique ou d'avis de chantier sont fréquentes : ces délais et coûts supplémentaires doivent être pris en compte dans le calendrier de l'opération. "Il est très important de réduire au maximum le nombre des procédures de ce type et faire appel aux techniques courantes si l'on souhaite éviter ces décalages", suggère l'AQC. L'assureur doit également être informé en temps réel des méthodes employées : "La construction bois de belle hauteur [c'est-à-dire au-delà de huit mètres, NDLR] peut nécessiter le recours à des techniques non courantes, entraînant potentiellement une surprime d'assurance dommage-ouvrage ou décennale", peut-on lire dans le document. "En cas d'absence de déclaration et d'accord préalable avec l'assureur, les constructeurs courent le risque de voir leur garantie réduite voire refusée en cas de sinistre."
Un domaine réservé pour l'instant aux structures les plus importantes
Au vu du fait que les coûts d'études, de conception, voire d'assurance, sont aujourd'hui élevés en matière de construction bois, ce secteur est pour l'instant surtout tiré par les groupes les plus importants, disposant du plus de moyens. Une fois ces barrières techniques évacuées, et les procédures passées en technique courante, ce savoir-faire pourra s'infuser au sein du tissu de PME. Du moins c'est ce sur quoi comptent les professionnels de la filière bois aujourd'hui.
Gérer la sécurité incendie
L'Agence rappelle enfin à quel point la prise en compte de la performance d'une construction bois au feu est primordiale. Elle invite ainsi les acteurs à s'adjoindre les services d'un ingénieur spécialisé en la matière. Le rapport précise de plus qu'un soin tout particulier doit être apporté pour assurer la performance coupe-feu d'une paroi, soin auquel "les entreprises sont parfois peu habituées". Par ailleurs, la question de la présence de bois visible en façade doit être tranchée tôt dans le projet, pour ne pas créer de la frustration chez l'architecte qui découvrirait trop tard qu'en raison des règles incendie cela n'est pas possible.