EXPERTISE. Tornade, givre, vent de sable… les pires conditions imaginables sont appliquées à des modèles réduits de pont pour étudier le comportement des futurs ouvrages et assurer leur intégrité. Olivier Flamand, adjoint au chef de pôle Recherche & Expertise - Vent, aéraulique & confort du CSTB Nantes, nous dévoile les missions dévolues à cette équipe.
Les techniques d'étude des ponts sont bien connues aujourd'hui. Plusieurs laboratoires de par le monde s'y consacrent mais les installations du Centre scientifique et technique du bâtiment à Nantes, disposent d'atouts uniques. "Nous avons des souffleries de tailles différentes dont la Jules Verne qui est de très grandes dimensions, et qui a de plus l'avantage d'être climatique. Elle est capable de produire un vent de 80 mètres/seconde (288 km/h ndlr) et d'accueillir des maquettes pas trop réduites, à l'échelle 1/10e", nous précise Olivier Flamand, adjoint au chef de pôle Recherche & Expertise Vent, aéraulique et confort au CSTB de Nantes. Une particularité qui permet à cette installation de coller davantage à la réalité des phénomènes physiques.
"A une échelle inférieure, comme 1/100e par exemple, pour étudier correctement les phénomènes d'écoulement, il faudrait multiplier par 100 la vitesse du vent et atteindre près de 30.000 km/h, ce qui est physiquement impossible", poursuit le spécialiste. "Ici, nous sommes donc dix fois plus près de la réalité que ne le sont les essais classiques". De gros éléments peuvent être testés dans cette soufflerie, notamment des maquettes de tabliers de 5 ou 6 mètres de long sur 3 mètres de large. Des modèles qui dépassent les 300 kilos. "Nous utilisons principalement du bois et de l'aluminium ou de l'acier pour des renforts. Ainsi que certains petits détails en polyamide imprimés en 3D, comme les garde-corps, mais pas d'éléments structurels", nous détaille-t-il.
Physique versus numérique : le match
L'expert nous révèle la conduite d'un tel projet d'étude : "Ce sont les architectes-ingénieurs, les bureaux d'études et les entreprises de travaux qui viennent nous solliciter, pour vérifier que le design de leur pont tiendra face au vent. Les besoins en résistance sont très poussés. Nous nous chargeons de produire la maquette puisque nous maîtrisons certains aspects techniques". Car les maquettes ne reproduisent pas forcément exactement le futur segment de pont mais constituent plutôt une représentation aérodynamiquement cohérente. "Certaines formes sont changées, les arrondis deviennent plats par exemple, pour éviter que les zones de décollement du flux d'air ne se promènent et qu'elles restent précisément localisées", précise Olivier Flamand.
Mais, à l'heure du numérique et des simulations par ordinateur, quel est encore l'intérêt de réaliser ces études physiques ? Le chef adjoint du département Vent, aéraulique et confort, nous dévoile : "Les deux sont complémentaires. L'essai physique se fait avec du 'vrai air' sur un 'vrai matériau'. Les modèles numériques ne sont pas parfaits". Le spécialiste évoque la réalisation de maillages sur les maquettes virtuelles, avec le choix de certains points précis, les "nœuds", qui conduit à une "discrétisation" des résultats. "Les petites mailles sont l'unité de base. Mais que se passe-t-il à l'intérieur d'une maille ? On accumule ensuite des erreurs de calcul à cause d'arrondis", explique l'ingénieur. "Les essais physiques ont aussi leur limite : les capteurs viennent perturber la mesure par exemple. Mais, en revanche, ils permettent de mieux prendre en compte les cas avec interactions qui donnent du fil à retordre au calcul numérique", assure-t-il. Les effets de topographie et d'urbanisation, avec les effets de sillage induits par d'autres ouvrages et bâtiments, sont donc plus faciles à étudier en soufflerie.
Un travail indispensable pour la sécurité
Une campagne de mesures nécessite plusieurs semaines de travail, entre la réception des données fournies par les concepteurs du pont et la restitution de résultats. "Nous avons travaillé sur des études exploratoires pour un futur pont en 6 semaines. Typiquement, le délai est compris entre 4 et 8 semaines entre l'obtention des plans et le rendu de rapport", nous précise Olivier Flamand, qui annonce en réaliser entre deux et trois par an pour des ponts, en plus d'une douzaine pour des bâtiments. La quantité de données recueillies serait, selon l'expert du CSTB, assez facile à étudier, puisqu'elles se limitent au phénomène de stabilité de l'ouvrage : flexion, torsion et pression. "Mais cette grosse soufflerie est climatique, ce qui permet de modifier les conditions des essais en termes de température ou d'hygrométrie, afin de tester des éléments de pont face au gel notamment. Nous pouvons étudier les effets d'un vent de sable en termes de pénétration et d'accumulation, avec des granulométries différentes, comme prochainement pour un ouvrage au Maroc", énumère-t-il. Si les conditions de vent et les formes de ponts sont différentes, la quantité de travail effectuée par le CSTB reste remarquablement stable : comptez entre 25 et 30 k€ pour une étude avec maquette sectionnelle du tablier.
L'expert révèle : "Les formes économiques de ponts se révèlent parfois non stables. Nous savons construire des ponts très résistants, mais cela coûte très cher. C'est le cas en Asie (Japon, Corée, Chine) où ils doivent résister à des typhons. C'est peut-être moins le cas en Pologne ou au Mexique, où les vents sont moins importants". Le CSTB a donc accompagné de nombreuses entreprises françaises, dont l'expertise est reconnue à l'international dans la conception-réalisation de ponts. "Outre l'excellence de l'ingénierie, il y a aussi des méthodes que les clients étrangers viennent chercher", ajoute Olivier Flamand, qui cite des entreprises comme VFL (groupe Bouygues) ou Freyssinet (Vinci). Quant au travail sur l'existant, le spécialiste livre cette anecdote sur le pont de Tancarville (Seine-Maritime) : "Lors du changement de ses câbles à la fin des années 1990, une maquette a été passée en soufflerie, ce qui n'avait pas été fait au moment de sa conception, en 1955. Nous nous sommes rendu compte qu'en cas de vent extrême, le pont deviendrait instable. Des modifications ont été jugées nécessaires et ont conduit à l'installation d'amortisseurs". Ouf, les ponts sont plus sûrs grâce à Jules Verne.
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