RÉACTION. Le ministre de la Ville et du Logement s'est pour la première fois exprimé sur la polémique concernant les récents arbitrages étatiques en amont de la réglementation environnementale 2020. Il a souhaité calmer le jeu, lors de son discours de clôture d'EnerJ-meeting Paris 2020.
Le ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, s'est voulu rassurant au sujet de la polémique qui agite depuis plusieurs mois le secteur de la construction : les récents arbitrages favorisant l'énergie électrique dans la future réglementation environnementale 2020. Pour rappel, l'État a annoncé en janvier qu'il fixerait, pour lancer la phase de simulation avant de fixer les seuils définitifs, le coefficient d'énergie primaire de l'électricité (Cep) à 2,3 (contre 2,58), et le contenu carbone du chauffage électrique à 79g/kWh (contre 210 dans l'expérimentation E+C-).
"Le sujet n'est pas le niveau du paramètre en tant que tel"
"Cette étape où l'on choisit les indicateurs, où l'on fixe les règles du jeu, suscite des interrogations et des inquiétudes, je le vois notamment au nombre de mails que je reçois sur le sujet", a expliqué Julien Denormandie, lors de son discours de clôture à EnerJ-meeting Paris 2020. Avant d'ironiser sur le fait que cette bataille d'experts autour des deux paramètres susdits "dépassait la limite de [ses] compétences". Il s'est ensuite voulu rassurant : "Le sujet, pour moi, n'est pas le niveau du paramètre en tant que tel, mais plutôt le niveau d'exigence que l'on fixera sur la consommation d'énergie et les émissions de CO2 : voilà ce qui est important." Il précise qu'il ne faut pas voir dans le choix des deux paramètres un choix politique, car ils n'ont "pas d'autres raison d'être que de pouvoir réaliser des simulations". "Toutes ces simulations sont en consultation, notamment dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, et tout acteur souhaitant y participer est le bienvenu." Il a enfin assuré que les experts de l'administration étaient à l'écoute de "toutes les remarques et revendications" remontées par les acteurs.
Le ministre explique l'abandon du Bépos
A cette occasion, le ministre a également rebondi sur la déception causée, chez certains acteurs de l'efficacité énergétique, par l'abandon de l'objectif de bâtiment à énergie positive (Bépos). Il a justifié ce choix par un souhait de stabilité et de clarté. "La RT2012 a eu un certain nombre de conséquences sur le secteur de la construction ; la question d'introduire de nouveaux indicateurs se pose donc, et il faut toujours avoir en tête qu'un peu de stabilité ne fait pas de mal", a-t-il détaillé. Ces propos vont dans le sens d'une idée qui semble en vogue au niveau de l'administration : le secteur du bâtiment aurait fait le maximum, ou presque, en matière d'efficacité énergétique, il faudrait à présent se focaliser sur le carbone dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone 2050.
Le ministre s'est ensuite lancé dans un plaidoyer en faveur de l'auto-consommation, jugeant important que "chaque citoyen puisse lui-même être acteur de la production d'électricité". "C'est un élément essentiel : la transition écologique ne se fera pas du fait d'un accord entre les acteurs politique et économique, mais en fonction de l'adhésion démocratique." C'est d'ailleurs dans ce même objectif que le ministre avait lancé l'idée d'un label d'État prolongeant la RE2020.
Lettre ouverte au Premier ministre pour pousser la pompe à chaleur en logements collectifs
La réponse du berger à la bergère ? Alors que treize organisations professionnelles, dont plusieurs affiliées au gaz, avaient écrit au Premier ministre pour contester les récents arbitrages étatiques en faveur de l'électricité dans la RE2020, douze acteurs de la filière électrique (1) ont effectué la même démarche, nous apprend un communiqué de presse du 7 février 2020. Ces entités soutiennent le choix gouvernemental en faveur de l'électricité, énergie "quasiment décarbonée", pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone 2050. Il est ainsi proposé d'ouvrir le marché du collectif à l'énergie électrique (occupé à 75% par le gaz depuis la réglementation thermique 2012), permettant de couvrir "40 à 60% des besoins du parc de logements" par de la pompe à chaleur, "selon les développements que pourront connaître les solutions alternatives alimentées par des sources renouvelables (solaire thermique, gaz renouvelable, géothermie, bois, réseaux de chaleur, etc.)". Les convecteurs électriques ne sont pas mentionnés dans la lettre, or ce sont ces équipements qui sont à l'origine de la polémique. D'après les signataires, l'électrification en logement serait aujourd'hui "artificiellement" bloquée par les politiques en vigueur.
Le courrier revient également sur les deux points bloquants techniques : le contenu carbone du chauffage électrique et le coefficient d'énergie primaire de l'électricité.
Sur le premier sujet, les signataires du courrier assurent que "la réalité du contenu carbone à la production tel qu'estimé et publié quart d'heure par quart d'heure par RTE sur son portail ECO2mix, ne dépasse que très rarement en hiver 80 grammes". Un argument avancé récemment par EDF, contesté d'ailleurs par l'ingénieur Thierry Rieser, chef de file des contestataires. "Le niveau de 79 grammes de CO2/kWh, calculé par une méthode bien plus satisfaisante que l'ancienne [c'est-à-dire la méthode dite 'mensualisée par usage', plutôt que la méthode 'marginale', mise en avant par les opposants à l'électrification massive, NDLR]), se révèle cohérent avec les observations que l'on peut faire à la production", assurent les signataires.
Quant au Cep, "l'arbitrage consistant à baisser le coefficient de 2,58 à 2,3 est un pas dans la bonne direction, mais y voir 'une manipulation portant atteinte aux priorités annoncées par la Gouvernement' n'a aucun fondement", peut-on lire dans la lettre ouverte. "Face aux attaques injustifiées de ceux qui veulent prolonger le recours aux énergies fossiles ou qui s'opposent pour des raisons dogmatiques au développement de l'électricité, nous réaffirmons notre adhésion aux efforts du Gouvernement dans sa politique de décarbonation."
(1) Équilibre des énergies, Famille de France, Fédération des distributeurs de matériel électrique, Fédération des électriciens, Fédération française du bâtiment Grand Paris, Fédération française des entreprises de génie électrique et énergétique, Groupement interprofessionnel des fabricants d'appareils d'équipement ménager, Groupement des entreprises de la filière électronumérique française, Organization for climate & circulare economy, Promotelec, Smart building alliance, Synerciel.