CARBONE. Des stratégies d'efficacité plus ambitieuses permettraient de faire chuter de 35% les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au cycle de vie des bâtiments résidentiels à l'horizon 2050, selon un rapport du Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE). Plus largement, les gouvernements sont encouragés à contrôler davantage les politiques publiques en la matière.
On le sait, le secteur de la construction peut (et doit) faire mieux pour réduire son impact environnemental. Cette affirmation vient encore d'être étayée ce 11 décembre 2019 par la publication, dans le cadre de la Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique (COP25), qui se tient actuellement à Madrid (Espagne), d'un rapport sur l'efficacité des ressources face au changement climatique. Le document se penche en fait sur les stratégies d'amélioration à mettre en oeuvre dans l'utilisation des matières premières dans différents secteurs d'activité - dont le bâtiment et les transports - afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). De l'extraction à l'emploi en passant par le conditionnement de ces matériaux, les pays du monde doivent encore fournir de nombreux efforts d'après le Programme des Nations-Unies pour l'Environnement (PNUE), qui souligne au passage qu'il ne suffira pas de miser sur l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Autrement, "il sera presque impossible et beaucoup plus onéreux de maintenir le réchauffement climatique en-deçà de 1,5°C", objectif proclamé par l'Accord de Paris.
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Des stratégies plus efficaces feraient chuter de 80% à 100% les émissions de GES lors du cycle de vie des constructions résidentielles en 2050 dans les pays du G7
La production mondiale des matières premières a vu ses émissions de GES passer de 15% (soit 5 gigatonnes sur un total mondial de 35 Gt) en 1995 à 23% (soit 11,5 Gt sur un total de 49 Gt) en 2015, ce qui équivaut à celles de l'agriculture, de l'exploitation forestière et du changement d'affectation des sols. Dans le détail, 80% des émissions issues de la production de ressources proviendraient en fait de l'utilisation de celles-ci dans la construction et les produits manufacturés : le fer, l'acier, l'aluminium et les autres métaux pèsent pour 4,8 Gt ; le ciment, la chaux, le plâtre et les autres minéraux non-métalliques 4,4 Gt ; les plastiques et le caoutchouc 1,5 Gt ; et la production de bois 0,9 Gt. La baisse des émissions de GES liées aux matériaux employés dans le bâtiment permettrait d'atteindre une réduction de 25 Gt des émissions d'équivalent dioxyde de carbone (CO2e) cumulées au cours du cycle de vie des constructions sur la période 2016-2060 dans les pays du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis d'Amérique, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Union européenne).
Des stratégies d'utilisation plus efficaces, y compris dans l'utilisation de matériaux recyclés, pourraient même faire chuter de 80% à 100% les émissions de GES lors du cycle de vie des constructions résidentielles en 2050 dans ces mêmes pays. Une baisse du même niveau est tout à fait atteignable en Chine, et une diminution comprise entre 50% et 70% est envisageable en Inde à cette même échéance. Plus précisément, les émissions du cycle des matériaux représentaient 250 millions de tonnes tandis que celles de la consommation d'énergie lors de l'usage pesaient 1,2 milliard de tonnes en 2016. En 2050, sans nouvelle stratégie, les émissions des matériaux représenteraient encore 140 Mt alors qu'elles pourraient être baissées de 130 Mt avec l'instauration d'une stratégie efficiente. A la même date, les émissions liées à la consommation d'énergie lors de l'usage pèseraient encore 590 Mt sans stratégie ; un chiffre qui tomberait à 460 Mt (soit une baisse de 120 Mt) avec stratégie.
Un recyclage accru des matériaux de construction serait en mesure de faire baisser de 14% à 18% les émissions de GES à l'horizon 2050
Mais comment faire pour y arriver ? Selon le rapport du PNUE, "plusieurs stratégies recèlent un fort potentiel pour réduire les émissions, y compris l'utilisation plus intensive de l'espace (jusqu'à 70% de réduction en 2050 dans les pays du G7) ; la conception économe en matériaux (entre 8% et 10% en 2050 dans les pays du G7) ; et l'utilisation de bois récolté de façon durable (entre 1% et 8% en 2050 dans les pays du G7)". De même, un recyclage accru des matériaux de construction serait en mesure de faire baisser de 14% à 18% les émissions de GES à ce même horizon, et toujours dans le cercle des pays du G7. "Dans l'ensemble, l'application de ces stratégies dans les pays du G7 pourrait permettre une réduction cumulée de 5 à 7 Gt de CO2e pour la période 2016-2050", note également le rapport. "Les stratégies d'efficacité dans l'utilisation des matières peuvent aussi influencer d'autres étapes du cycle de vie des bâtiments résidentiels, débouchant sur une réduction synergique de la consommation d'énergie. Du point de vue du cycle de vie complet du bâtiment, ces stratégies pourraient faire baisser de 35% à 40% les émissions liées à la construction, à l'utilisation et à la déconstruction (démantèlement) des habitations dans les pays du G7 en 2050." Dans les vastes pays actuellement en plein développement économique, à savoir la Chine et l'Inde, la réduction serait comprise entre 50% et 70%.
Rendre plus efficient l'emploi des matières premières implique cependant des interventions de la puissance publique. En effet, celle-ci établit les normes et réglementations relatives aux modes de construction, qui elles-mêmes déterminent notamment les quantités de ressources et d'énergies nécessaires tant pour la construction que pour l'exploitation, sans oublier la durabilité et les possibilités de réutilisation/recyclage des matières premières. Pour les Nations-Unies, "les politiques transversales comprennent notamment la révision des normes et codes de construction ; l'utilisation de systèmes gouvernementaux de certification des bâtiments ; l'immatriculation des véhicules et la taxe embouteillage ; la passation de marchés publics écologiques ; et la taxe sur les matériaux neufs". Mais pour encourager davantage l'efficacité des ressources, les modes de vie doivent eux aussi être mis à contribution : "Des instruments politiques tels que les taxes, le zonage et la réglementation de l'occupation des sols peuvent certes jouer un rôle, mais au même titre que les préférences et les comportements des consommateurs". Tout en cherchant à limiter l'effet rebond sur la consommation, "à l'aide d'instruments politiques qui élèvent directement ou indirectement les coûts de production ou les prix à la consommation, par exemple des taxes ou des dispositifs de plafonnement et d'échange".
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Rendre les évaluations des politiques publiques plus fréquentes et plus fiables
Par ailleurs, le rapport du PNUE recommande d'intégrer l'efficacité des matières premières dans les Contributions déterminées au niveau national (CDN), qui correspondent aux objectifs que chaque signataire de l'Accord de Paris s'est fixé. Le Japon, l'Inde, la Chine et la Turquie sont pour l'heure les seuls pays à mentionner dans leurs CDN respectives "des instruments annexes relatifs à l'optimisation et à la gestion des ressources, à l'efficacité dans l'utilisation des matières, à l'économie circulaire ou à la consommation". Il faudrait donc que les gouvernements renforcent l'évaluation de leurs politiques publiques en la matière, de manière plus fréquente et plus fiable, en tenant compte dorénavant du cycle de vie des ressources, ce qui permettrait de mettre en valeur "les vases communicants et les synergies" qui peuvent exister à toutes les étapes du processus, et ce quel que soit le secteur d'activité. Les gains de productivité seraient ainsi plus facilement mesurables, et la gestion de la fin de vie des ressources serait plus aisée. Au lieu de se focaliser uniquement sur la baisse du taux de mise en décharge, les politiques seraient plus pertinentes si elles s'intéressaient directement à la baisse des émissions de GES.