CULTURE. L'exposition grand public "Aerodream", à Paris, retrace l'effervescence des travaux d'artistes et d'architectes autour du gonflable. Une collection riche et haute en couleurs qui informe et amuse les visiteurs sur ces objets dont la vocation reste multiple.
Des œuvres grandioses et loufoques, vectrices d'une idéologie critique de l'industrialisation ou bien représentatives d'une action politique, poétique et urbaine… L'objet gonflable est analysé sous tous les angles, à travers l'exposition "Aerodream : architecture, design et structures gonflables". Organisée à la Cité de l'architecture et du patrimoine, dans le XVIème arrondissement de Paris, jusqu'au 14 février prochain, l'exposition, réjouissante, se veut être le reflet d'une époque, à la fois industrielle et en proie à l'imagination et la rêverie. Elle se concentre surtout sur les années 1960 et 1970, où l'on voit émerger la conception d'objets ludiques, des événements contestataires et des projets architecturaux et urbains étonnants. Bien qu'alimentée par quelques projets contemporains, l'exposition se concentre sur ces années propices à l'expérimentation du gonflable, entre mobilier, habitat et happenings politiques. Structures, photographies, vidéos, maquettes et dessins, le gonflable se décline en 250 œuvres dans la salle d'exposition temporaire et les galeries permanentes du musée.
Des œuvres monumentales parmi la collection
Constituée de grands boudins, qui se gonflent et se dégonflent au gré de la ventilation d'une machine, l'installation "Grande oggetto pneumatico" du collectif d'artistes italien Gruppo T donne ainsi l'impression que des doigts géants se meuvent dans le couloir qui mène à l'exposition. "L'œuvre vient occuper l'espace que le public occupe et prend différentes formes, provoquant des réactions diverses de la part du public", explique lors de la visite de l'exposition Valentina Moimas, co-commissaire d'"Aerodream" et conservatrice au service "Architecture" au Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle (MNAM-CCI) Centre Pompidou. "Cette exposition est le fruit d'un travail de conservation sans pareil", confie-t-elle. Le gonflable n'est, en effet, pas une pièce d'art comme les autres. "Sa durée de vie est très courte, il se conserve mal et il est donc difficile d'avoir des pièces de l'époque."
L'exposition commence sur une introduction au gonflable, en illustrant l'histoire politique, sociologique et culturelle de l'objet, et la façon dont les architectes et artistes modernes et contemporains s'en sont emparés. D'abord utilisé comme objet pour tromper les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, le gonflable sert ensuite à imaginer la conquête spatiale. L'intérêt pour l'univers du gonflable s'étend dans le monde, non sans attirer des critiques. A l'image de celles formulées par le Canadien Iain Baxter, critiquant des "œuvres portables, qui peuvent être dégonflées et emmenées partout", rappelle Frédéric Migayrou, co-commissaire d'"Aerodream", directeur adjoint du MNAM-CCI Centre Pompidou et conservateur en chef du département design et prospective industrielle.
Après-guerre, c'est l'apogée du mouvement moderne et du gonflable, par la suite boudé dans les années 1970. L'architecte américain Frank Lloyd Wright occupe dans les années 1950 une fonction de prescripteur, en concevant "Airhouse" (1956), des espaces de vie innovants et abordables, sous forme de coupoles hémisphériques en nylon revêtu de vinyle très léger et résistant. "L'architecte Richard Fuller imagine, lui, des dômes sans fondation, des enveloppes d'une structure gonflable qui isolent Manhattan de la pollution et de ses tourments", poursuit Frédéric Migayrou.
Le gonflable pour interroger l'habitat
Puis, c'est au tour de la culture hippie de s'emparer de cet univers, avec l'idée d'itinérance et de nomadisme dans cet objet qui peut s'emmener partout et qui n'a pas besoin de fondation. Des architectes se questionnent alors sur la fonctionnalité des formes traditionnelles de l'habitat, de l'organisation de l'espace et des territoires. Le gonflable représente également "la culture de la marchandise". L'Exposition universelle d'Osaka, en 1970, symbolise l'apothéose de l'industrialisation et des nouvelles technologies par l'univers du gonflable mais aussi le déclin de celui-ci. "En 1974, le gonflable disparaît presque complètement. Bien qu'il porte une valeur moderniste, il est dénoncé pendant la crise du pétrole." Avec son image pop et coloré, il porte le symbole d'un capitalisme éclatant, une idée rejetée par le mouvement hippie. Le gonflable devient une utopie critique pour beaucoup de créateurs. Ceux-ci repensent les modes de vie en fonction de la mobilité et de la flexibilité, s'opposant aux structures urbaines déjà présentes dans le paysage.
Loin de seulement servir comme structures géantes, le gonflable se transforme avec la production de combinaisons, de jouets ou de mobiliers gonflables. C'est le cas de "Chauffeuse Apollo", un fauteuil bleu en PVC imaginé par le créateur de mobilier Quasar en 1968. Plus surprenant, l'exposition montre le projet de l'architecte Hans Hollein, qui, en 1969, propose de dématérialiser l'architecture en créant un bureau mobile gonflable facile à emporter. Une vidéo projetée au sein du musée montre l'architecte, occupé dans cet espace muni d'un téléphone et d'une machine à écrire. Une installation déroutante et saugrenue, qui interroge sur la délocalisation du bureau classique en tant que tel vers un espace de travail ambulant, en pleine ère covidienne.
Palais de Chaillot - 1, place du Trocadéro, Paris 16
Et en marge de l'exposition…
La Cité de l'architecture et du patrimoine invite le mercredi 27 octobre, à 19h00, le philosophe Peter Sloterdijk et l'artiste Tomás Saraceno à une conversation sur l'architecture et son devenir.