INTERVIEW. Importance des territoires, engagement des professionnels, ses priorités : le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, fait un point étape pour Batiactu, sur le plan de rénovation lancé conjointement avec Nicolas Hulot, à l'occasion d'un déplacement en Isère consacré à ce thème, ce lundi 15 janvier.
Table-ronde, visite d'un chantier de rénovation énergétique, encouragement des innovations : le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard est en Isère ce lundi 15 janvier 2018 dans le cadre de la concertation nationale sur le projet de plan de rénovation énergétique des bâtiments, lancée en novembre dernier conjointement avec le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. Objectif premier de ce plan : la lutte contre la précarité énergétique. À cette occasion, le ministre a répondu aux questions de Batiactu pour un point d'étape.
Batiactu : Depuis l'annonce de la feuille de route rénovation, deux co-pilotes ont été nommés et une grande concertation a été lancée... où en est-on ? Quel premier bilan faites-vous de ces initiatives ?
Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires : Nous avons effectivement nommé deux co-pilotes pour cette concertation, car il faut là-aussi moderniser notre approche de la concertation. La question de la rénovation énergétique était trop centralisée et traitée de manière technique. Nous avons donc missionné Mme Marjolaine Meynier-Millefert, députée de l'Isère et membre du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique et, Alain Maugard, président de Qualibat, pour conduire la concertation et coordonner la mise en œuvre du plan au niveau national et au sein des territoires. Ils œuvreront en étroite relation avec Thierry Repentin, qui préside le Conseil supérieur de la construction.
Ce plan comprend des dispositions portant sur des dispositifs nationaux (la transformation du crédit d'impôts pour la transition énergétique notamment), mais doit avant tout accélérer l'initiative des territoires. Un certain nombre d'auditions sont prévues sous l'égide des deux missionnés au niveau national et local et, j'ai demandé à l'ensemble des préfets de départements de conduire une concertation au niveau local, afin que le plan réponde aux problèmes de terrain et valorisent les solutions locales. Le déplacement du jour [déplacement en Isère du 15 janvier 2018, ndlr] s'inscrit dans ce cadre pour écouter les initiatives locales des collectivités territoriales, des professionnels et des associations de la lutte contre la précarité énergétique et de la protection de l'environnement.
"Trois tendances s'affichent clairement : simplicité des dispositifs, confiance aux territoires et accompagnement des professionnels." Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires.
Batiactu : Pour mener à bien ce plan, vous appelez à la mobilisation des acteurs et des territoires, ce que vous rappelez à l'occasion du déplacement que vous effectuez ce lundi : quelles sont les grandes tendances que vous pouvez déjà observer, quant aux premiers retours des professionnels et des territoires qui contribuent à cette concertation ?
Jacques Mézard : Trois tendances s'affichent clairement : simplicité des dispositifs, confiance aux territoires et accompagnement des professionnels. Les territoires attendent que nous simplifions les dispositifs d'aides fiscales ou financières et que nous mettions de la cohérence et de la simplicité entre le crédit d'impôts pour la transition énergétique, l'éco-prêt à taux zéro, le dispositif des certificats d'économie d'énergie. J'attends aussi que les territoires s'inscrivent dans ce travail de simplification, car il nous faut collectivement avoir une approche orientée vers l'usager final : que veut l'usager final et comment collectivement simplifier sa compréhension du sujet pour l'inciter à engager des travaux ? Ce sont deux questions-clés qui doivent guider notre action. Les professionnels sont volontaires car la transition énergétique, c'est un marché et une opportunité pour l'économie locale. Ils souhaitent un accompagnement pour mieux s'approprier les évolutions technologiques et c'est légitime. Nous y répondrons.
"(…) J'ai demandé que l'ensemble des dispositifs d'aides aux ménages précaires soient simplifiés et accélérés : il faut privilégier les solutions efficaces, abordables et démultipliables pour rapidement générer des économies d'énergie : la priorité est sociale et à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages en précarité énergétique."
Batiactu : Quelles initiatives vous ont particulièrement interpellé ? Quelles sont les recettes vues sur le terrain qui vous semblent réalisables pour permettre une massification de la rénovation et notamment lutter contre la précarité énergétique des Français ?
Jacques Mézard : La lutte contre la précarité énergétique est ma première priorité pour le plan. Nous avons sécurisé la trajectoire financière de l'Anah pour le quinquennat (1,2 Md€ sur le quinquennat) mais par-delà, j'ai demandé que l'ensemble des dispositifs d'aides aux ménages précaires soient simplifiés et accélérés : il faut privilégier les solutions efficaces, abordables et 'démultipliables' pour rapidement générer des économies d'énergie : la priorité est sociale et à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages en précarité énergétique.
Nous nous sommes aussi fixé l'objectif de permettre la rénovation de toutes les passoires thermiques du parc social en cinq ans et mobilisons 3 Md€ d'éco-prêt sur le quinquennat pour ce faire, à destination du monde HLM.
"Je pense qu'il faut généraliser tout ce qui facilite les guichets uniques de conseils et d'aides financières."
Les collectivités territoriales font preuve de dynamisme et de volontarisme pour mettre en œuvre le plan. Certaines organisent des dispositifs d'information des ménages et d'animation de l'écosystème des acteurs en fédérant les professionnels, les syndics de copropriétés, les acteurs du réseau bancaire. Elles définissent encore un régime d'aides locales, selon leur politique propre. Je pense qu'il faut généraliser tout ce qui facilite les guichets uniques de conseils et d'aides financières. Les schémas d'instruction en silo selon des barèmes et des critères parallèles et différents sont à proscrire car les ménages attendent de la simplicité. Les réseaux d'agences immobilières se sont engagés à un travail de pédagogie pour accélérer la sensibilisation à la rénovation énergétique au sein des copropriétés et c'est là un vecteur essentiel que je vais accélérer également. Les professionnels nous font beaucoup remonter leurs initiatives en termes de montée en compétence et je souhaite que nous les y aidions, notamment pour faciliter l'appropriation des innovations.
J'ai annoncé la reconduite du programme Feebat de formation aux économies d'énergie dans le bâtiment et nous sommes en train de concerter les modalités techniques.
Feebat, Pacte, PTNB et PRDA, reconduits, revus et réorientés "pour répondre aux nouvelles priorités"
Batiactu : Pour mener à bien la transition écologique et permettre des constructions et rénovations durables qui répondent aux besoins des Français, comme le confort de leur habitat, la recherche et le développement sont nécessaires : comment comptez-vous encourager les expérimentations et les innovations dans le bâtiment ?
Jacques Mézard : Le territoire de l'Isère illustre parfaitement le besoin d'innovation et les percolations nécessaires entre recherche, développement, expérimentations et appropriations par le marché. Je souhaite que nous soutenions ce type d'initiatives. J'ai noté les projets d'extension du campus de la construction durable en nord-Isère et suivrai son développement car il fait figure d'exemple.
Par-delà les programmes existants de soutien à l'innovation opérés par exemple par l'Ademe, j'ai demandé que les trois programmes de soutien à l'innovation et initiés par ma prédécesseure soient revus et réorientés pour répondre aux nouvelles priorités : le plan d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (Pacte), le plan transition numérique pour le bâtiment (PTNB) et le plan recherche et développement amiante (PRDA) seront reconduits et nous en définissons les modalités avec la filière pour accélérer l'émergence de solutions innovantes.
Enfin, nous souhaitons lever les freins réglementaires au développement de solutions innovantes dans la construction en réécrivant le code de la construction afin de ne fixer que des objectifs de résultats et libérer les capacités de faire les plus innovantes. L'industrie française, notamment les TPE-PME innovantes, constituent un vivier d'inventivité et de créativité en termes de matériaux innovants et solutions technologiques qu'il nous faut rendre abordables aux Français avec l'essor du numérique ou encore de la domotique.
"Il faut promouvoir la rénovation énergétique abordable pour tous"
Batiactu : Comment convaincre les Français de s'engager dans les démarches de rénovation énergétique ?
Jacques Mézard : Près d'un Français sur cinq estime avoir froid en hiver. Les Français sont donc d'ores et déjà convaincus que les perspectives sur le prix de l'énergie les invitent à faire des économies d'énergie et donc à rénover leur patrimoine. La rénovation énergétique des logements sera aussi un facteur de valorisation du patrimoine : les dynamiques sont différentes selon les secteurs résidentiels, tertiaires et, selon les secteurs géographiques, mais c'est une réalité palpable sur le terrain.
Je pense que l'entraînement des ménages reposera sur la simplification des messages et des dispositifs d'incitation et une approche de guichet unique croisant les initiatives de l'Etat et des collectivités au niveau local : il faut sur ce point développer des solutions adaptées aux territoires et non plaquer une solution nationale dans tous les territoires. Enfin, il faut promouvoir la rénovation énergétique abordable pour tous. La rénovation énergétique ne peut renvoyer qu'à un modèle de travaux à 30.000€ avec des temps de retour sur investissement incertain. Il faut aussi promouvoir les gestes simples, la régulation de l'énergie par la domotique et les équipements intelligents. La rénovation énergétique doit se faire par étapes et à l'occasion de travaux d'agrandissement ou d'aménagement d'un bien. La rénovation se développera lorsqu'elle constituera une composante évidente de tous travaux d'aménagement d'un logement.
CITE : "Les discussions devront être transparentes et associer l'expression de toutes les parties prenantes."
Batiactu : Pour lutter contre la précarité énergétique, la question des financements de la rénovation se pose : les professionnels du bâtiment comptent notamment sur le maintien des incitations fiscales. Le PLF ayant été voté, plusieurs mesures sont ainsi déjà actées, comme le CITE. Dans le cadre de celui-ci, les mesures en faveur du remplacement des fenêtres et chaudières seront interrompues à la mi-année, avant d'être transformées en prime en 2019. Certains, comme la Capeb, par la voix de son président lors de ses vœux, appellent à un prolongement du dispositif jusqu'à la fin de l'année. Les choses peuvent-elles encore changer ?
Jacques Mézard : Le PLF est voté et nous devons collectivement être attentifs à la trajectoire financière des finances publiques. J'ai entendu les propositions des professionnels et nous les examinerons dans le cadre des travaux portant sur la transformation du CITE en prime. Les discussions devront être transparentes et associer l'expression de toutes les parties prenantes.
Batiactu : Vous menez de front deux concertations - avec la conférence de consensus sur le logement et la concertation sur la rénovation - quel est votre sentiment général sur ces deux initiatives ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Jacques Mézard : La question du logement est au cœur du pacte social de notre pays et un déterminant essentiel du développement de nos territoires. C'est une préoccupation essentielle pour les Français. C'est pourquoi le président du Sénat a proposé que se tienne une conférence de consensus sur le logement et le président de la République comme le Premier ministre, l'ont acceptée. Les débats de la conférence de consensus se clôtureront fin janvier et nous examinerons les propositions remontées par la plateforme de contributions dédiée. Certaines portent effectivement sur les questions de transition énergétique et nous les examinerons de manière coordonnée en février.
Je suis attaché à cette méthode de concertation par l'identification des problèmes du quotidien car les solutions efficaces et opérantes pour le terrain doivent être co-construites avec les acteurs que sont les collectivités territoriales, les professionnels, les experts et le monde associatif.