RÉACTIONS. D'après certains acteurs de la rénovation énergétique, le plan de rénovation serait aujourd'hui au point mort. Contactés par Batiactu, trois promoteurs du dispositif réagissent à ces propos.

D'après le Cler, réseau pour la transition énergétique, le plan de rénovation énergétique des bâtiments est au point mort, un an après son lancement. Les professionnels du bâtiment, FFB comme Capeb, font savoir également leur scepticisme et pointent le fait que ce marché reste atone depuis des années.

 

Batiactu a ainsi sollicité trois des pilotes du plan de rénovation pour récolter leur analyse.

 

"Non, le plan de rénovation n'est pas en rade", Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable


"Il y a eu effectivement une réunion avec quelques associations, menée par le Cler. Selon eux, le plan de rénovation des bâtiments serait à l'arrêt. Nous avons eu, dans le même temps, ce nouveau décret tertiaire qui a donné lieu à certaines critiques [lire notre article ici, NDLR] : il faudrait ainsi raisonner en énergie finale et non primaire, ou instaurer des sanctions plus fortes…

 

Je propose à ces acteurs de considérer les choses en prenant un peu de hauteur : le plan de rénovation n'est pas en rade, mais se met en place brique après brique. On peut ne pas apprécier le rythme, mais force est de constater que les acteurs sont en ordre de marche. L'ensemble des dispositifs est mis en mouvement. Je vais prendre quelques exemples.

Chaudières "à prix bonifiés"

Un récent, tout d'abord : la campagne Faire vient d'obtenir les signatures de 140 engagés pour Faire [lire notre article ici, NDLR], et nous ne sommes qu'au début : je proposerai d'autres évènements de signature avant l'été, notamment en province. Autre élément : considérez l'activité débordante de l'Agence nationale pour l'habitat (Anah), avec des chiffres qui augmentent de façon spectaculaire. Le programme Habiter mieux agilité produit notamment ses fruits. Un produit d'appel a également été mis en avant, celui des chaudières à prix bonifiés, dites "à un euro" [lire notre article ici, NDLR].

 

Pour toutes ces raisons, je constate un changement de braquet sur la rénovation des bâtiments.

 

Un autre axe important est celui de l'adaptation de certains outils. Ici aussi, les chantiers ont été lancés. Nous avons entamé un programme visant à consolider le label RGE. Il faut ainsi fiabiliser le DPE, nous avons donc lancé une grande enquête, mené plusieurs réunions avec la DHUP et les acteurs. Pour l'éco-PTZ, un dialogue est ouvert avec les banques, c'est un dispositif aujourd'hui plus simple, moins contraignant pour les établissements prêteurs.

Pour le décret tertiaire, "un mécanisme de concertation inouï"

Enfin, en matière de tertiaire, nous avons réuni plus d'une centaine de personnes à La Défense pour une dernière lecture commune du décret : c'est un mécanisme de concertation inouï, dont je m'étonne qu'il ne soit pas plus souvent salué. C'est la première fois qu'à l'issue d'une lecture commune d'un décret j'entends des applaudissements nourris de la salle. Nous avons produits quelque chose qui fonctionne et va produire des effets. Il va à présent être soumis aux organismes consultatifs. Bien sûr, j'entends ceux qui disent qu'on a mis du temps à sortir ce texte, mais je mets en balance le fait qu'on le termine après des mois d'une concertation intense et transparente. Apprécions la qualité de l'échange entre les professionnels et les pouvoirs publics.

 

Je vais d'ailleurs répondre aux critiques sur le décret tertiaire : si on ne raisonne pas en énergie primaire, il ne faut pas s'en prendre au décret, mais à la loi Grenelle I sur laquelle il est assis. Les sanctions ne sont pas assez contraignantes ? Encore une fois, c'est la loi qui impose des amendes administratives, d'un niveau maximal de cinquième catégorie.

 

"Nous avons besoin d'un pilotage politique clair de ce plan"

 

Pour autant, oui, je reconnais tout le plan ne s'est pas encore déployé. Il reste des choses à mettre en place, mais cela ne remet pas en cause la réalité de ce qui a été fait. Nous avons tout d'abord besoin d'un pilotage politique clair de ce plan. Emmanuelle Wargon était évoquée, mais elle a été absorbée par le grand débat. Je demande à ce qu'elle accompagne le mouvement, que cela soit un élément structurant de son action durant le quinquennat. Nous devons aussi mettre en place un service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Est-ce que l'on passe par du public, ou un accompagnement public et privé ? Ces questions émergent et doivent être tranchées. Il faut sortir de l'ambiguïté actuelle.

 

Un "loupé" sur le CITE

 

Enfin, il faut mettre en place le dernier dispositif de financement qui n'est pas encore calé : le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Nous savons qu'à partir de 2020, le CITE sera transformé en prime versée aux ménages modestes. Qu'en sera-t-il pour les autres ménages, plus aisés ? Je déplore que cela n'ait pas été déjà tranché, c'est un loupé, un élément de désordre dans la finition du plan.

 

En ce qui concerne le rythme de déploiement, il faut savoir que je donnerai toujours la priorité à la concertation et non sur la décision. L'expérience prouve que concerter prend du temps, et il ne serait pas sérieux de bâcler cet aspect des choses."

 

 

"Il faut trouver un système qui efface la problématique du reste à charge

Marjolaine Meynier-Millefert, députée et copilote du plan de rénovation énergétique du bâtiment

Batiactu : Plusieurs acteurs du secteur ont dénoncé un Plan de rénovation énergétique "au point mort". Quel est votre point de vue sur le sujet ?
Marjolaine Meynier-Millefert : Il y a eu un concours de circonstances qui a forcé le Gouvernement à suivre d'autres dossiers, en raison du mouvement des Gilets jaunes, et Emmanuelle Wargon [secrétaire d'État à la Transition écologique et solidaire] a été accaparée par l'organisation du Grand débat national. Elle s'est ainsi retrouvée aux premières loges pour entendre les attentes des citoyens en matière de rénovation énergétique. J'attends maintenant la suite des annonces, en espérant qu'on pourra pleinement se saisir de ces sujets sur lesquels le Gouvernement est attentif.

Batiactu : Où en est-on sur les différents dispositifs d'aide à la rénovation énergétique ?

Marjolaine Meynier-Millefert : Concernant les pistes de réflexion, je pense que le CITE [Crédit d'impôt pour la transition énergétique] ne doit pas être transformé en prime pour tout le monde. Ce serait dommage de le supprimer ; il faut le maintenir pour ceux qui ont davantage de moyens. D'une manière générale, nous devons arrêter de penser que la rénovation énergétique peut s'appliquer de la même manière à tous les publics. Au contraire, il faut que nous soyons en mesure de proposer un modèle correspondant à chaque public, de manière à tendre vers une rénovation globale. Le principe du bouquet de travaux n'était pas satisfaisant, car il pouvait freiner les envies de travaux des particuliers. C'est pourquoi le CITE doit être un système progressif.

 

De plus, on ne fera pas de rénovation énergétique globale si on ne se dirige pas vers des offres financées et accompagnées à 100%. Car il existe un réel besoin d'accompagnement : les particuliers doivent être renvoyés vers la plateforme Faire et vers les offres combinées. Je crois que l'on doit travailler sur les premiers déciles [des salaires et revenus] pour offrir un accompagnement total aux dispositifs de transition énergétique. Plus largement, il nous faut trouver un système qui permette d'effacer la problématique du reste à charge. Pour les ménages aisés, des solutions de financement doivent être trouvées. Et pour les ménages très aisés, l'accompagnement doit se faire au moyen du CITE.

Batiactu : Les échanges issus du Grand débat national ont-ils permis de faire émerger d'autres solutions ?

Marjolaine Meynier-Millefert : D'autres pistes ont été avancées, par exemple le Service public d'efficacité énergétique. Il y a la volonté de le mettre en place, mais reste à savoir comment l'installer, sachant que les régions se sont déjà emparées du sujet en se l'appropriant chacune à sa façon. C'est pour cela qu'il faut de l'adaptation et de la souplesse ; il ne peut pas y avoir de réponses standardisées. Avec des systèmes complémentaires comme le chèque énergie et le passeport efficacité énergétique, l'objectif est de concilier une logique par élément et une logique globale. Enfin, on réfléchit également à un système d'autocontrôle qui permettrait aux particuliers de vérifier les travaux effectués par les professionnels à réception. L'idée est ici d'améliorer les connaissances techniques du grand public, de vulgariser les éléments techniques de la rénovation énergétique pour que les particuliers connaissent le b-a-ba.

 

Batiactu : Qu'est-ce que le secteur de la transition énergétique peut attendre de ces prochains mois ?
Marjolaine Meynier-Millefert : Le Gouvernement doit aller encore plus loin. Mais je crois qu'Emmanuelle Wargon veut travailler sur ces sujets de manière plus volontariste : elle souhaite relancer le Plan de rénovation énergétique du bâtiment en instituant un suivi plus régulier, et en faisant en sorte que chaque point bénéficie d'un pilotage particulier et que chaque solution soit étudiée. De fait, le comité de pilotage du Plan de rénovation devrait prochainement se réunir. Et on attend évidemment la prise de parole présidentielle du 25 avril pour guetter des annonces complémentaires.

 

Il ne peut pas y avoir de réponse simple à la rénovation énergétique, étant donné qu'il y a beaucoup de publics différents avec des besoins différents, et qu'il existe beaucoup de territoires différents avec des synergies différentes. Nous devons accompagner ces synergies pour leur donner plus de lisibilité, afin de les rendre plus visibles du public, et plus de coordination, pour que les acteurs du secteur s'y retrouvent."

 

"Ce plan a connu une marque d'attente due au grand débat", Alain Maugard, copilote du plan de rénovation énergétique des bâtiments


"Ce plan a connu une marque d'attente due au grand débat. De nouveaux arbitrages sont en cours : surtout dans le cas du Crédit d'impôt transition énergétique (CITE). Tout le crédit d'impôt doit-il basculer en prime, distribuée par l'Anah ? Faut-il cibler uniquement les ménages modestes pour la prime, et maintenir une partie en crédit d'impôt pour les ménages aisés ?

 

Le choix qualitatif, c'est bien sûr de cibler les passoires énergétiques occupées par des ménages modestes. Mais si les classes moyennes ne sont pas incitées, nous resterons loin du compte. Il faudrait donc continuer le CITE en crédit d'impôt. Mais sans le maintenir à un taux de 30%, bien sûr. Car, évidemment, il y a du gaspillage. Il faut plafonner cette aide comme nous l'avons fait avec les fenêtres, avec par exemple une unité de surface. On fera ainsi des économies, tout en maintenant les objectifs quantitatifs.

 

"Les travaux sont achevés pour le RGE, ne manque plus qu'un arbitrage"

 

L'autre idée qui pourrait être intéressante est celle de proposer un audit énergétique gratuit à ceux qui font un premier geste de rénovation énergétique, par exemple dans le cas de travaux embarqués. Ils disposeraient ainsi d'un carnet de travaux qui les amènerait progressivement jusqu'au BBC rénovation. Cela me paraît un élément important si l'on souhaite atteindre les 500.000 rénovations importantes annuelles.

 

Mais dire que tous les sujets sont au point mort me paraît très excessif : le décret tertiaire est passé devant le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), les travaux sont entamés sur la fiabilisation du DPE, les travaux sont achevés pour le RGE, ne manque plus qu'un arbitrage...

 

De nombreux éléments d'actualité plaident en tout cas pour un renforcement de cette dimension. Les gilets jaunes ont remis au premier rang la problématique du pouvoir d'achat. C'est un objectif que peut permettre la rénovation, notamment parce que les prix de l'énergie augmentent tendanciellement. Et contrairement au co-voiturage, solution proposée quand le prix de l'essence augmente, la rénovation énergétique n'impose aucune modification du mode de vie.

 

"Il ne faut pas, dans le système d'aides à venir, donner trop la priorité aux systèmes actifs par rapport aux systèmes passifs"

 

Toutefois, je poserai une question : il ne faut pas, dans le système d'aides à venir, donner trop la priorité aux systèmes actifs par rapport aux systèmes passifs. Il y a un risque de déséquilibre aujourd'hui en faveur de l'actif. Nous sommes nombreux à penser que le bâti est le plus important, que l'enveloppe soit performante. Attention à ne pas privilégier une politique de "coups" sur les systèmes actifs."

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