Y a-t-il réellement eu 383.000 permis de construire déposés en 2015, comme l'annonce le ministère de l'Ecologie dans sa dernière conjoncture parue ce jeudi ? Bon nombre de professionnels font, depuis plusieurs mois, clairement part de leurs doutes quant à la réalité de ces chiffres. Explications.
A chaque 28e jour du mois sont publiés les sacro-saints chiffres de la construction par le ministère de l'Ecologie. Et chaque mois, les professionnels du secteur sont pendus à cette conjoncture censée donner le pouls de l'activité à venir. Depuis la crise de 2008, on ne produit plus assez de logements. La barre des 500.000 - chiffre qui correspondrait aux besoins de logements en France - n'a plus été franchie depuis cette période, et jusqu'à 2015, le volume de logements baissait chaque année un peu plus.
« Objectif 500.000 » avait même été lancé et devenait dès lors le leitmotiv du Gouvernement en matière de construction. Qui a ainsi mis en place, en février 2015, une nouvelle méthodologie de calcul à partir de la base de données - Sit@del2 - « qui rassemble les informations relatives aux autorisations de construire (permis accordés) et aux mises en chantier transmises par les services instructeurs (Etat, collectivités) », explique le ministère dans sa note mensuelle (cf. encadré).
Colère des professionnels
Or, c'est bien cette méthodologie qui est pointée du doigt aujourd'hui par certains professionnels de la construction. D'aucuns pensent que les chiffres de la construction seraient « artificiellement gonflés ». Qu'en est-il ? « Jusqu'en décembre 2014, le ministère publiait les statistiques concernant les logements autorisés et les logements commencés, en distinguant le neuf véritable ('construction neuve') et la rénovation ('construction sur bâtiment existant'). Or, depuis février dernier, ce n'est plus le cas et, de fait, la terminologie 'neuf' est devenue floue », nous explique Denys Brunel, président de la Chambre nationale des Propriétaires. Même son de cloche du côté du Synamome (regroupement de professionnels de la maîtrise d'œuvre de Conception et de Réalisation de l'Acte de bâtir), dont le président, Claude Dufour nous confie : « On ne distingue plus le neuf de la rénovation et cela pose un vrai problème. Surtout, cela ne reflète pas la réalité du terrain ».
« On rajoute de la crise à la crise ! »
Clairement, les professionnels dénoncent la tentative des pouvoirs publics de « gonfler les statistiques » pour respecter leurs engagements en matière de construction de logements. « De l'enfumage », clame Denys Brunel. « On rajoute de la crise à la crise ! », s'indigne Claude Dufour. Car, selon lui, le seul indicateur qui permet de vérifier ses dires, c'est le volume des carnets de commandes des artisans. « Demandez-leur s'ils ont du travail ? Tous ces chiffres sont superficiels, ils ne sont pas suivis dans la réalité, et les artisans sont les premiers touchés ! ». Pour le président du Synamome, environ seules 40% du total des constructions neuves annoncées chaque mois relèvent du « pur neuf ». Un chiffre plus modéré par son confrère de la Chambre nationale des Propriétaires, qui est de l'ordre de 10 à 15%, note de conjoncture de décembre 2014 à l'appui !
Le neuf aujourd'hui, c'est le neuf + la rénovation
Que cache donc la dénomination « neuf » désormais ? Il est clair que la rénovation en fait partie, mais dans quelle mesure et sous quelle forme ? Construction de piscine, de véranda, d'abri, d'extension ou création d'ouvertures supplémentaires nécessitent un permis de construire, abondant, de fait, le nombre de logements dits « autorisés ». En outre, nous détaille Claude Dufour, les mises en conformité d'un bien fournies au moment de la vente sont comptabilisées comme un nouveau permis de construire. Sans compter ceux qui sont renouvelés plusieurs fois par an, souvent après annulation. Enfin, nous confie le président du Synamome, il faut tenir compte de l'échéance de 2017 qui réforme le PLU. « Concrètement, cela va conduire à la suppression de 50% des terrains à bâtir ! Alors tant que le COS existe, les propriétaires veulent profiter de la valeur de leur terrain et déposent donc des permis puisqu'il est désormais valable trois ans ».
Ces voix convergentes se font de plus en plus entendre, mais le ministère reste sourd. Ce serait comme « casser le thermomètre pour montrer qu'on n'a pas la fièvre », conclut Denys Brunel.
Souvenez-vous. En février 2015, alors que le ministère venait d'appliquer la nouvelle formule de calcul, il avouait que quelque 346.000 logements n'avaient pas été comptabilisés depuis l'année 2000. Réalisé en concertation avec l'Insee, le calcul devait répondre aux attentes des professionnels du secteur. Ainsi, l'on passe d'une simple collecte administrative vers une collecte enrichie de données statistiques en temps réel. « Jusqu'à présent, indique le ministère, les chiffres communiqués étaient recensés auprès des services chargés d'instruire les demandes de permis de construire. Ils étaient donc publiés avec un certain délai et soumis à divers aléas de collecte. Désormais, ils sont calculés à l'aide d'un modèle statistique pour donner une information en temps réel et des résultats plus fidèles à la réalité du terrain. Appliqués rétroactivement aux chiffres datant de 2010, ils permettent donc de procéder à des ajustements et de suivre les tendances. »