CHIFFRES. Une nouvelle enquête publiée récemment révèle qu'une majorité des managers de sociétés de construction considèrent que les capacités de production n'ont pas retrouvé leur niveau normal. La crise de pénuries des matières premières et les hausses des prix qui ont découlé de ce phénomène forcent les professionnels à développer de nouvelles stratégies commerciales.
Comment les professionnels de la construction envisagent-ils l'avenir face à la crise de pénuries des matières premières et la hausse des prix ? C'est ce qu'a voulu connaître le cabinet de conseil international Simon-Kucher & Partners qui, depuis son bureau français, a interrogé 48 managers du secteur de la construction et de la technologie du bâtiment dans l'Hexagone pour une enquête*, dévoilée ce 14 septembre. La crise de la Covid-19 a entraîné une pénurie exceptionnelle de nombreux matériaux, notamment le bois, l'acier, le fer ou encore les matières essentielles à la fabrication de mélanges chimiques mais aussi une envolée des prix. "L'acier de construction a d'abord augmenté de 40% à 50% entre novembre et avril, et en mai, la croissance était de 75%", chiffre un sondé. "Pour le bois, nous avons eu une augmentation de 50% jusqu'en avril, en mai elles étaient de 130% par rapport à novembre de l'année précédente."
29% pensent que la crise est permanente
Si les industriels interrogés viennent de segments hétérogènes, ils ont pour point commun d'affirmer que cette crise n'est pas un effet de spéculation. Face à cette montée fulgurante des prix, la moitié des interrogés considère que la hausse des coûts est temporaire et devrait se résorber dans les 6 à 12 prochains mois. 29% pensent, eux, que la hausse des coûts est permanente, c'est-à-dire que les prix resteront relativement stables dans les mois ou années à venir. Une personne sur cinq dit même que la hausse des coûts va se poursuivre dans le futur. Ils ne sont finalement que 4% à considérer que cette crise est temporaire et qu'elle se résorbera dans les 3 à 6 prochains mois.
L'étude met en relief quelques témoignages anonymes, dont un manager qui a indiqué que certains clients avaient augmenté les prix. Un autre a avoué qu'il est "difficile et pénible de planifier des projets en raison des hausses de prix". Pour la moitié des répondants, leur entreprise a répercuté cette hausse dans ses prix. L'autre moitié divulgue ne pas l'avoir encore fait et admet mettre à mal ses marges. "Ce qui nous a le plus surpris dans les réponses de cette enquête, c'est de voir que seulement la moitié des industriels sondés avaient appliqué une hausse des prix", témoigne Franck Brault, associé senior au sein de Simon-Kucher & Partners France, contacté par Batiactu. "Nous pensions qu'il y aurait des réactions plus rapides de leur part face à ce phénomène. Nous avions mené la même étude en Allemagne en juillet et ils étaient 75% à avoir appliqué cette augmentation." Cela peut s'expliquer par le fait que certaines entreprises n'osent pas dénoncer des contrats et conditions de prix, selon le porte-parole.
Un argumentaire solide pour faire face à la hausse
La difficulté des clients des industriels à répercuter la hausse sur leur prix de vente constitue le principal défi pour 50% des entreprises interrogées. 42% ont répondu que le marché n'est pas habitué à des hausses de prix répétés et à court-terme. 25% déclarent que les commerciaux craignent une baisse de l'activité. La concurrence est trop forte dans l'environnement du marché actuel, selon 21% des sondés. De plus, 15% n'hésitent pas à dire qu'ils n'ont pas suffisamment de visibilité sur les impacts de la hausse des coûts sur leurs produits et leurs marges.
Pour les managers, un argumentaire solide, une différenciation de la hausse de prix et de nouveaux mécanismes sont les actions privilégiées pour répercuter les évolutions des coûts. Ils sont une majorité (67%) à déclarer que préparer une argumentation solide sur l'augmentation subie des coûts de production est une mesure adaptée et efficace pour faire accepter une hausse des prix. 46% affirment qu'une autre bonne solution serait de différencier la hausse des prix en fonction de l'augmentation des coûts sur des produits spécifiques. 33% proposent plutôt de réduire la durée de validité des prix proposés aux clients.
27% préfèrent impliquer le top management [les fonctions à haut niveau de responsabilité et de décision dans l'entreprise, ndlr] dans la formulation des objectifs, la préparation et la formulation de la hausse des prix. Un manager sur quatre pense plutôt à inclure une clause d'indexation des prix dans les contrats pour les augmentations extraordinaires des coûts de matières premières. Enfin, d'autres (21%) appellent à instaurer des surcharges en plus du prix du produit.
Une crise au niveau mondial
Du côté des managers interrogés, la forte croissance de certains secteurs est la cause principale de la hausse des coûts. En effet, ils sont 65% à estimer que la forte croissance de certains secteurs augmente la demande de matières premières au niveau mondial. 52% pensent qu'en raison de la pandémie, les capacités de production n'ont pas retrouvé leur niveau normal.
Pour d'autres (50%), les fournisseurs de matières premières utilisent leur position de force pour augmenter les prix. 31% considèrent que les confinements successifs et les mesures d'hygiène plus strictes perturbent les processus logistiques et les activités commerciales. Le haut degré d'incertitude sur les livraisons favorise la constitution de stocks excessifs et une trop forte demande, pensent près d'un tiers des interrogés. Enfin, 21% jugent que la spéculation le long de la chaîne de valeur entraîne une hausse des prix. Leur propre équipe commerciale freine les ajustements de prix par crainte de perdre des opportunités, c'est ce qu'imaginent un quart d'entre eux. En outre, la moitié des interrogés pensent que les fournisseurs tirent parti de la situation actuelle.
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Une crise qui en rappelle d'autres…
Face à cette hausse, plusieurs attitudes peuvent être adoptées, conseille Franck Brault. L'associé senior croit que les sociétés devraient développer un travail de préparation et de formation de vente, pour apprendre à gérer l'incertitude des coûts, des marges et l'indisponibilité des produits. Cette crise lui rappelle celle vécue au début des années 2.000, qui concernait également la hausse des matières premières. "Des enseignes de négoce avaient dû faire sept fois face à une augmentation. C'est terrible pour tout le monde : les négoces, les artisans, la direction commerciale, les constructeurs…".
Il recommande ainsi aux entreprises de mener un travail de sécurisation des achats et de contractualisation de leur propre prix de vente. "Elles peuvent également regarder de façon précise les clauses d'indexation et insérer des conditions de révision de prix, dans le cas de marchés privés", avise-t-il. "En revanche, c'est beaucoup plus compliqué pour les marchés publics."
Malgré cette crise, l'expert voit ce phénomène comme une opportunité pour la filière de prendre le sujet à bras-le-corps et de redévelopper ses capacités. "Notre pays connaît des pénuries de bois alors qu'on possède une énorme surface forestière. Il y a quelque chose qui ne va pas. C'est une opportunité pour la filière bois, qui a de l'avenir, de se redévelopper grâce à sa production locale."
* Cette enquête a été réalisée par Simon-Kucher & Partners en France, au mois d'août 2021, auprès de 48 décideurs du secteur de la construction et de la technologie du bâtiment. Ils ont été interrogés sur de la hausse des prix des matières premières. Parmi les interrogés, 71% des managers travaillent dans une entreprise liée à la production de matériaux de construction ou de technologie du bâtiment. 17% font partie d'une entreprise de construction ou de services de construction. 10% font partie d'un négoce et 2% d'une société de production de produits chimiques pour la construction.