Introduite discrètement dans les clauses de marchés publics de certaines régions de France, la mention qu'il faut soit parler français soit avoir un interprète sur les chantiers fait débat. D'autant qu'un amendement en ce sens avait été déposé en commission des affaires sociales et finalement non soutenu... Discrimination ou outil de lutte contre le détachement ? Réactions.

« Au titre de la protection des salariés, tout salarié détaché doit parler et comprendre le français. A défaut, l'employeur doit prendre à sa charge les services d'un interprète ». Voilà ce que dit l'amendement n° AS410 figurant dans la liste des amendements à la loi Travail, présenté en commission des affaires sociales le 1er avril dernier. Cependant, il porte la mention « non soutenu », c'est-à-dire qu'il n'a pas été défendu par son auteur ou par l'un de ses cosignataires absents en séance lors de son appel, signale le site legifrance.gouv. Et reviendra à l'occasion de l'examen parlementaire qui s'est ouvert ce mardi 3 mai 2016, « si son rapporteur est présent », nous indique Christophe Sirugue, rapporteur du texte.

 

Le dumping social en ligne de mire

 

En ligne de mire, la sécurité sur les chantiers, le soutien à l'économie locale et à la création d'emploi, précise le texte.

 

Cet amendement est l'aboutissement d'une démarche engagée il y a quelques semaines par certaines collectivités, qui ont inscrit dans certains de leurs appels d'offres une « clause de francophonie ». A l'instar du maire d'Angoulême, qui défend cette « clause Molière » pour rendre l'utilisation du français obligatoire sur les chantiers. Objectif, selon lui : limiter le recours aux travailleurs détachés. « On ne contourne pas la directive européenne, mais on en corrige les abus. C'est une forme de lutte contre le dumping social », argumente-t-il dans les colonnes de nos confrères de Sud-Ouest. Idem en région Pays-de-la-Loire, qui vient aussi de voter l'inclusion de cette clause dans ses futurs appels d'offres, ou encore en région Picardie où l'élu LR, Xavier Bertrand, a fait de même, s'opposant même… au Front national.

 

L'interprète : une solution déjà évoquée dans la loi Savary

 

Devant toutes ces initiatives et l'arrivée du débat devant les députés, Gilles Savary, député PS de Gironde et auteur de la loi de lutte contre la concurrence sociale déloyale, s'est insurgé. « Appliquée au secteur du BTP, [la disposition] apparaît discriminatoire d'une catégorie de travailleurs, alors que le code des marchés publics permet d'écarter les offres anormalement basses susceptibles de fausser les conditions de concurrence », indique-t-il dans un communiqué publié ce mardi. Et de fustiger les collectivités à l'origine de cette mesure, qui « procède plus d'une communication dans l'air du temps, que d'une mesure juridiquement robuste, susceptible de compléter l'arsenal juridique » existant. Rappelant ainsi que la loi dite Savary de juillet 2014 a imposé pour les travailleurs détachés en France de disposer d'un représentant permanent en France (article R.1263 et suivants du code du travail) chargé de faire le lien entre eux, les donneurs d'ordre et l'inspection du travail ».

 

« Dans tous les cas, si l'amendement est présenté, j'émettrais un avis défavorable. Car il est difficilement applicable et c'est une charge en direction des entrepreneurs », nous confie, ce mardi soir, le rapporteur PS du projet de loi Travail, Christophe Sirugue.

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