Huit ans après son lancement, le programme Desertec de production d'énergies renouvelables au Sahara semblait s'être enlisé dans les sables du désert. Il n'en est rien selon Charles Ifrah, le président de Desertec Alliance, qui explique à Batiactu l'évolution du projet désormais centré sur l'électrification de l'Afrique sub-saharienne. Entretien.
Initialement né comme un vaste programme de construction de centrales solaires et de fermes éoliennes dans les déserts du pourtour méditerranéen, le programme Desertec s'est perdu en route. Des dissensions internes entre les partenaires industriels et la fondation responsable du projet, avaient mené, en 2013, à une scission et à la création de DII, initiative dissidente rassemblant des entreprises principalement allemandes. Depuis, Desertec s'est relancé en se choisissant un nouveau président pour son Alliance, en la personne de Charles Ifrah. Il nous raconte : "Nous ne sommes plus MedGrid (vaste réseau électrique transméditerranéen, ndlr). Cette vision de production photovoltaïque exportée vers l'Europe est dépassée. Desertec un réseau de travail centré sur l'Afrique sub-saharienne, avec deux volets : le renforcement des infrastructures réseaux et le développement de solutions autonomes, hors réseau, couplées à des stations agricoles pour augmenter les ressources".
Un modèle de développement local durable
Selon le président, la problématique ne serait plus technique mais purement financière : "Le maillon manquant est la viabilité économique. Les banques n'y allaient pas". D'où la création d'un cluster avec la Banque européenne d'investissement (BEI), la Banque africaine de développement (BAD) et des fonds d'investissements. "Nous travaillons sur un modèle à petite échelle, rentable rapidement", nous confie Charles Ifrah. "Le développement de projets de moyenne capacité est limité par les réseaux qu'il faut donc renforcer. Sur l'autoconsommation, il faut remplacer les groupes électrogènes par de l'hybride avec du photovoltaïque, où le solaire peut représenter jusqu'à 80 % de la production, ce qui est plus écologique et plus économique", poursuit-il. Le marché serait colossal : le Nigeria, première puissance du continent, représenterait à lui-seul un potentiel de 70 millions de groupes à remplacer ! "L'autre révolution sera le stockage de l'électricité, qui permettra la généralisation, la démocratisation, de l'énergie solaire", prévoit le président.
Le premier projet concret de Desertec repose sur l'utilisation de containers maritimes réhabilités et munis de panneaux photovoltaïques. Déployés dans les villages africains, ils permettent d'y produire de l'énergie utilisée à transformer les productions agricoles ou à mettre en place des projets de pisciculture, d'artisanat, de services ou d'industrie. De quoi développer des activités locales et créer des coopératives d'exploitation. "Les pilotes ont été testés au Kenya, au Mali, au Sénégal et en Côte d'Ivoire. La première phase portait sur six pays et 30 unités", nous assure-t-il. L'objectif serait de multiplier par 100 ce nombre dans les 3 ou 4 ans…
Le réel problème : le financement
à lire aussi
Interrogé sur la possible synergie avec l'initiative de Jean-Louis Borloo pour électrifier l'Afrique, Charles Ifrah répond : "Il a mobilisé des personnalités politiques africaines et françaises de tous bords, et formé un conglomérat de soutiens divers. Mais il n'y a pas eu de concrétisation, aucun fond n'a été levé et le relai a été passé aux Africains eux-mêmes. Il s'agissait de diplomatie économique". Le dirigeant de Desertec Alliance évoque un autre plan, l'Africa Power Vision, "un vrai moteur, avec un programme, des plans d'actions et des capacités concrètes", où l'initiative de Barack Obama "Power Africa". L'instauration d'une taxe de 0,1 % sur les transactions financières mondiales permettrait, selon lui, de lever 200 milliards de dollars chaque année, autorisant le financement de tous les projets d'énergie, de traitement de l'eau, d'éducation, de soins et d'alimentation en Afrique.
Il signale : "Pour les stations solaires autonomes destinées aux zones rurales hors réseau, qui coûtent 30.000 euros, 10.000 euros sont apportés par des fonds d'investissement et 5.000 euros par du microcrédit. Desertec intervient en soutien". Le président de l'Alliance estime que ce modèle collaboratif, avec cofinancement local, est économiquement viable et qu'il faut travailler sur la médiation et les collaborations sud-sud. Pour lui, le prochain grand défi, après l'électrification du continent, sera la question de la gestion des déchets, dont des millions de tonnes sont produites chaque année, sans solution de traitement.