DEBAT. BIM, Intelligence artificielle et autres impressions 3D: ces multiples outils qui s'invitent peu à peu dans le quotidien des architectes remplaceront-ils un jour les métiers de la conception ? Pour Christian de Portzamparc, Vladimir Doray et Jean-Michel Daquin réunis aux Assises du logement, le rôle d'architecte ne saurait être imité, à condition que la profession continue d'être préservée.
Alors que les cabinets d'architectes français se sont appropriés la transition numérique, ils doivent désormais faire face à de nouvelles innovations comme le BIM, l'impression 3D ou l'intelligence artificielle. Celles-ci menacent-elles pour autant les métiers de la conception ? Pour l'architecte de renommée mondiale Christian de Portzamparc, il ne faut pas se tromper de combat, et commencer par considérer un quartier au-delà d'un logement: "même les promoteurs sont conscients que le problème n'est pas de produire des logements mais de créer un quartier".
Du BIM, il avoue qu'il "change les modes de travail" et "suscite des inquiétudes réelles". Pour autant, le premier Pritzker français estime que cette innovation ne saurait remplacer l'architecte, dans la mesure où "il ne conçoit rien". Et d'alerter sur les exigences du BIM qui peuvent vite se transformer en défauts de conception et de construction, car il nécessite "une coordination très rapide, un dimensionnement très tôt", regrette Christian de Portzamparc qui affectionne plutôt "le temps de remords et de retours" sur la conception.
Exception culturelle française
Mais à l'échelle mondiale, cette menace pourrait prendre d'autres formes. L'architecte évoque notamment "un commerce mondial de plans", par lequel un architecte réalise des plans à distance, "deux fois moins chers car reproduisant des choses déjà faîtes", et qui ne se rendra jamais sur les lieux du chantier.
La France pourrait être immunisée contre cette tendance encore méconnue : "que les architectes ne soient pas inquiets que leur métier soit 'bouffé' par le BIM. Nous avons un luxe de conscience architecturale et urbanistique en France", devise Christian de Portzamparc.
Ce qui explique peut-être une posture de "dédramatisation" chez les architectes français. Un message également prôné par Vladimir Doray, architecte chez WRA Architecture qui voit dans les nouveaux outils numériques un moyen de mettre à égalité, les "petites agences" et les grands noms de l'architecture face à la commande. "Face aux architectures d'auteur, aux grands projets qui représentent un faible pourcentage de production, il faut s'intéresser à ce qui fait avancer les autres", plaide-t-il. Et d'estimer qu'à l'heure "où l'exigence de rapidité est forte, la conception du numérique nous aide à y arriver".
Le numérique, l'architecte et les usagers
Au-delà des apports pour une majorité d'architectes réunis en petites structures, le numérique a aussi profondément modifié le rapport entre l'architecte et l'usager, s'en persuade Jean-Michel Daquin, conseiller régional à l'Ordre des architectes d'Ile-de-France. "Nous voyons bien tous les apports du numérique dans la gestion de l'autopartage, le lien avec les usagers, la maintenance. Avec le numérique, l'habitant peut prendre une posture active et n'est plus seulement quelqu'un qui subit son habitat", illustre-t-il.
Loin de s'inquiéter des potentiels méfaits de l'intelligence artificielle ou de l'impression 3D, qu'il trouve "intéressants" par ailleurs, Jean-Michel Daquin estime que l'architecte a encore de belles années devant lui, "de par sa sensibilité au contexte d'un lieu, son rapport aux hommes, au territoire, aux matériaux". Moins un danger qu'un "énorme potentiel", le numérique devrait permettre d'apporter des réponses aux questions "sociales, sociétales, culturelles, politiques, sur la qualité urbaine et l'architecture qui font le bien commun de tous, et son devenir face aux tentations de privatiser la ville", abonde l'ancien président du Conseil régional de l'ordre des architectes d'Ile-de-France.