ENTRETIEN. Le président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), Patrick Liébus, s'inquiète d'un "durcissement" du dialogue social dans la branche. Et appelle à modifier le calcul de la représentativité patronale pour renouer avec la concertation et la justice. Explications.
Batiactu : L'an dernier, vous fêtiez les 73 ans de votre organisation, en lançant une campagne de recrutement d'adhérents. Comment définiriez-vous le rôle d'un syndicat professionnel comme la Capeb aujourd'hui ?
Patrick Liébus : La campagne lancée l'année dernière est effectivement tombée au moment de nos 73 ans. Autant d'années durant lesquelles notre organisation a, contre vents et marées, gardé la même raison d'être : une confédération qui se tient au plus près des entreprises artisanales, les représente et les défend. Nous continuerons sur cette voie avec un modernisme conforté, en tant que première organisation professionnelle de France tous secteurs confondus, avec près de 57.000 entreprises adhérentes.
Le syndicalisme professionnel a évolué, les entreprises attendent autre chose de nous et nous le font savoir. Nous répondons à ces demandes. Le dernier exemple en date est celui du lancement de notre plateforme 360 Travaux©. Nous permettons ainsi à nos adhérents d'avoir accès à des marchés de manière différente, sans avoir à passer par des systèmes qui nous imposent un prix. Nous continuons aussi à travailler sur les droits des salariés de nos entreprises, pour qu'ils aient accès aux mêmes avantages que dans les grandes structures. Nous soutenons les TPE et PME dans leur accès aux marchés publics. Enfin, nous allons également proposer notre propre offre de remplacement de chaudière avec un reste à charge réduit au minimum ; cela sera un système ouvert à tous les artisans, pérenne, de qualité. Autant d'exemples qui prouvent l'accompagnement de la Capeb auprès de ses adhérents, à un moment où les formes de concurrences déloyales se multiplient (micro-entreprise, travail détaché).
Batiactu : Cette année verra le lancement du nouveau calcul de la représentativité patronale, qui a lieu tous les quatre ans (la première pesée de 2015 publiée en 2017). Êtes-vous confiant ?
P.L. : Oui, mais pour autant nous contestons le mode de calcul utilisé par les pouvoirs publics. Ils considèrent que la représentativité s'évalue à 70% sur le nombre de salariés employés par nos adhérents, et à seulement 30% sur le nombre d'entreprises adhérentes. C'est injuste. Nous parlons ici de défendre les chefs d'entreprise, et non les salariés, cela devrait être calculé a minima de manière inverse ! Les salariés sont représentés à un autre niveau par d'autres syndicats, et c'est très bien ainsi. De même, faire reposer le droit d'opposition sur le seul nombre de salariés est un non-sens.Batiactu : Pourquoi ce mode de calcul a-t-il été choisi ?
P.L. : Il y a eu une pression de la part des représentants des grandes entreprises, dans la mesure où cette manière de calculer la représentativité les avantage, à nos dépends. Le résultat, c'est que la Fédération française du bâtiment dispose du droit d'opposition qui est basé uniquement sur le nombre de salariés. Nous sommes très inquiets lorsque nous constatons à quel point le dialogue social s'est durci, voire est devenu inexistant. Dans les faits, nous sommes soumis à un diktat. La Fédération française du bâtiment a une stratégie très claire : faire en sorte qu'il n'y ait plus, à terme, qu'une seule organisation représentant le Bâtiment dans son ensemble. Le processus est enclenché, et pourrait toucher peut-être même les Travaux publics. Ainsi, on vient briser l'équilibre d'un dialogue social qui était pourtant serein au sein de nos branches. Tout cela à cause de ce mode de calcul dommageable.
"Dans les faits, nous sommes soumis à un diktat"
Remarquez que cette idée d'organisation unique entre bien dans les projets gouvernementaux, annoncés très clairement par le ministère, de parvenir à terme à une centaine de branches professionnelles (contre environ 700 actuellement). Face à cette hypothèse, nous formulons cinq propositions aux pouvoirs publics afin de rétablir un équilibre, et une forme de justice [voir encadré ci-dessous, NRLD]. Car comprenons-nous bien : cette diminution drastique du nombre de branches va mettre sur la touche les TPE en général, au sein de nombreuses filières, pas seulement celle du Bâtiment.
Batiactu : Préfèreriez-vous que ce soit la Capeb qui dispose d'une majorité de blocage ?
P.L. : La Capeb n'est pas une organisation qui cherche la polémique. Nous souhaitons que l'intérêt des entreprises artisanales soit respecté, et que des relations équilibrées - "chacun à sa place" - continuent d'exister entre nos deux entités, comme cela a toujours été le cas. Nous ne nous dirigeons malheureusement pas vers cette voie, et c'est inquiétant pour les entreprises artisanales. On l'a vu avec la récente négociation sur les Opérateurs de compétences (Opco).
Batiactu : Que voulez-vous dire ?
P.L. : La FFB a profité de cette négociation pour supprimer la section paritaire des entreprises de moins de onze salariés, de manière unilatérale, sans aucune concertation. Or, c'est au sein de cette section que peuvent s'exprimer les besoins spécifiques des TPE. Pour la Fédération française du bâtiment, il n'y aurait donc pas de spécificités de la petite entreprise ? Cette section jusqu'à 11 salariés existait pourtant depuis l'origine, et d'un seul coup la FFB décide que ce n'est plus nécessaire. Ils peuvent faire sans nous, puisqu'ils ont le droit d'opposition. C'est dommageable, puisque les TPE cotisent volontairement davantage que les grandes entreprises pour diminuer le coût de formation restant à la charge de l'employeur. La suppression de cette section va de pair avec le fait que l'argent qu'elles ont investi ne leur reviendra pas nécessairement, mais risque d'être mutualisé - donc bénéficiera aussi à des grandes entreprises qui ne souhaitent pas cotiser davantage que ce que la loi exige, ce qui est d'ailleurs leur droit le plus strict. Ainsi, nous voilà en train de détricoter tous les outils qui ont pourtant fait leurs preuves ces dernières années.Batiactu : Que vous répondent les pouvoirs publics lorsque vous les alertez sur ce fait ?
P.L. : Ils nous disent de nous arranger entre nous, entre organisations professionnelles. Mais comment envisager que les représentants des grandes entreprises acceptent de négocier, dans la mesure où le système actuel les avantage ? Ils n'ont aucune raison de reculer, de revenir sur la méthode de calcul. C'est donc aux pouvoirs publics de jouer leur rôle d'arbitre pour rétablir la justice. Car la conséquence de cette manière caduque d'évaluer la représentativité patronale, nous la connaissons : c'est ni plus ni moins que la marginalisation des TPE au sein des branches.
Deuxième proposition :
Inverser la logique actuelle en retenant comme critère principal, pour la mesure de l'audience d'une organisation professionnelle (interprofessionnelle), le nombre d'entreprises adhérentes, pondéré dans un deuxième temps par le nombre de salariés qu'emploient ces entreprises (par symétrie avec ce qui existe aujourd'hui, on peut imaginer la pondération suivante : 70% pour le nombre d'entreprises et 30% pour le nombre de salariés). Cette disposition relève de la responsabilité des pouvoirs publics qui doivent garantir l'équité des règles du jeu. Elle doit donc être décidée par eux et non par un accord entre les organisations interprofessionnelles, sauf à vouloir conforter les positions dominantes actuelles.Troisième proposition :
Faire valider spécifiquement les dispositions visant les entreprises de moins de 50 salariés figurant dans un accord de branche, par les organisations professionnelles représentatives sur ce champ d'entreprises, indépendamment de la validation de l'ensemble de l'accord. Il s'agit donc d'instaurer un système de double validation des accords.La première raison est qu'il est aujourd'hui parfaitement possible de compter plusieurs fois une même entreprise, par exemple, lorsque celle-ci adhère à deux organisations professionnelles membres de la même organisation interprofessionnelle ou encore lorsque celle-ci adhère à la fois à une fédération professionnelle au niveau national et à une structure territoriale d'une organisation interprofessionnelle. La seconde raison est qu'il est également possible de comptabiliser plusieurs fois les entreprises avec des filiales ou des structures territoriales (une fois au niveau local des différentes implantations de l'entreprise et une autre fois au niveau du siège de l'entreprise).
Quatrième proposition :
Modifier le processus mis en place pour éliminer tout compte multiple d'entreprises adhérentes conformément à l'esprit de la loi et en faire contrôler la bonne application (au travers notamment des numéros Siret d'entreprise) par l'administration (ou un organisme tiers désigné à cet effet).Cinquième proposition :
Publier des arrêtés complets (pour chaque organisation, et dans chaque champ conventionnel, l'administration devrait fournir le nombre d'entreprises adhérentes, le nombre de salariés correspondants, le poids en pourcentage pour les entreprises et les salariés) et enfin la pesée globale), là encore, conformément à la loi et ne pas se limiter aux seuls chiffres relatifs."