SINISTRE. Le système de sécurité incendie placé à Notre-Dame de Paris respectait la réglementation, mais semblait largement sous-dimensionné par rapport aux exigences d'un tel monument. De nouveaux éléments sont parus dans l'hebdomadaire Marianne. Parallèlement, le projet de loi pour la reconstruction commence à être discuté à l'Assemblée nationale.
Comme deux experts de la sécurité incendie l'avaient envisagé auprès de Batiactu, il semblerait que le système de sécurité incendie et les équipes en place pour le gérer n'aient pas été à la hauteur. Après de premières révélations du Canard enchaîné, de nouveaux éléments sont parus dans Marianne. L'hebdomadaire a interrogé, sous couvert d'anonymat, des personnes ayant travaillé pour la société Elytis, à qui était en partie déléguée la sécurité incendie du haut lieu.
Le professionnel qui était ainsi au présent au PC sécurité de la cathédrale en ce jour fatidique avait visiblement pris son poste trois jours avant, "il était seul et ne connaissait pas le site", peut-on lire dans Marianne. Par ailleurs, les exigences de qualification des agents présents et responsables de la sécurité incendie auraient diminué avec le temps : "En 2014, il y avait un Ssiap 2 [service de sécurité incendie et d'assistance à personnes, disposant de trois niveaux hiérarchiques, 1-Agent, 2-Chef d'équipe et 3-Chef de service, NDLR] et deux Ssiap 1 ; en 2015, un Ssiap 2 et un Ssiap 1 ; à partir de 2016, nous n'avions plus qu'un Ssiap 2", explique un salarié qui a travaillé sur la cathédrale. Le magazine révèle également que l'alarme incendie avait tendance à sonner de façon intempestive "dans les tours et dans les combles", parfois jusqu'à dix fois par jour.
Refus de délivrer des permis feu ?
Au chapitre des permis feu, il ressort de l'article de Marianne que certains membres de l'équipe de sécurité incendie refusaient d'en délivrer. "Comment vouliez-vous faire sans pouvoir vous rendre sur place ? Le chef d'équipe ne peut pas quitter son PC, les Ssiap 1 ne sont pas des spécialistes. On ne voulait pas prendre cette responsabilité", témoigne un salarié. Pour rappel, les permis feu permettent de sécuriser au mieux les interventions dites en "point chaud" sur les chantiers.
Enfin, le recteur de Notre-Dame monseigneur Chauvet assure auprès de l'hebdomadaire que la sécurité incendie de l'édifice était sous la responsabilité de la direction des affaires culturelles (Drac). "Les agents d'Elytis que nous avons rencontrés ont signalé à leur employeur et à la direction régionale des affaires culturelles (Drac) d'Île-de-France anomalies et insuffisances. Leurs rapports ont été enterrés, on leur a enjoint de ne rien dire, de ne pas faire de vagues", peut-on lire dans Marianne. Ainsi, les pouvoirs publics ont été avertis à de multiples reprises du risque qui planait sur la cathédrale, puisque le Gouvernement de 2016 avait déjà été prévenu par le professeur Paolo Vannucci : "Le risque d'embrasement de la toiture existait et il fallait absolument la protéger et installer un système d'extinction."
Parallèlement à l'évolution de l'enquête, le projet de loi destiné à la reconstruction de l'édifice a commencé à être discuté en séance publique à l'Assemblée nationale, en ce 10 mai 2019 - moins d'un mois après le sinistre. Il prévoit de sécuriser les fonds versés pour les destiner à la cathédrale, d'instaurer un taux de réduction d'impôt de 75% dans la limite de 1.000 euros par an. Mais aussi d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance dans les six mois "toute mesure relevant du domaine de la loi ayant pour objet la création d'un établissement public de l'État aux fins de concevoir, de réaliser et de coordonner les travaux de restauration et de conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris". Par la même voie des ordonnances, le texte prévoit par ailleurs d'ouvrir des possibilités de dérogation en matière d'urbanisme, d'environnement, de construction, de préservation du patrimoine, ou encore de commande publique.
"Le 'faites ce que je dis, pas ce que je fais' s'apprête à franchir une nouvelle étape"
Cette dernière mesure a suscité un commentaire sarcastique de la part de la Confédération des PME. "Ainsi donc confrontés à un délai impératif, les pouvoirs publics, en s'apprêtant à faire adopter une loi spécifique, reconnaissent - et ils ont bien raison - la lourdeur et l'inadéquation des règles qu'ils ont pourtant eux-mêmes fixées. Le 'faites ce que je dis, pas ce que je fais' s'apprête à franchir une nouvelle étape", peut-on ainsi lire dans un communiqué de presse du 10 mai 2019. "Les chefs d'entreprise aimeraient bénéficier du même traitement privilégié permettant de contourner les lourdeurs administratives et de faire plus simple et plus efficace. La CPME appelle donc le gouvernement et le Parlement à cesser d'adopter des textes si complexes qu'ils en sont parfois incompréhensibles pour ceux qui doivent pourtant les appliquer. Et ce dans tous les domaines de la vie de l'entreprise."
Si les éléments parus dans le Canard enchaîné et Marianne sont bien vérifiés par les enquêteurs, force est de constater que trop de réglementation sécurité incendie peut finir par tuer la sécurité incendie.