INTERVIEW. Adoptée le 16 juillet 2019, la loi pour la restauration et la conservation de Notre-Dame n'a pas recueilli l'assentiment des acteurs de l'architecture et du patrimoine. Le président du Conseil de l'ordre des architectes Denis Dessus y voit "une loi d'exception" dont le chantier aurait pu se passer, qui doit désormais ouvrir une vision d'ensemble sur le site englobant l'édifice.
BATIACTU: La loi pour la restauration et la conservation de Notre-Dame a été définitivement adoptée, quel est votre avis sur son contenu ?
Denis Dessus: Sur le fond, nous pensons que la restauration aurait pu être menée sans loi d'exception, et nous ne sommes pas persuadés que la création d'un nouvel établissement public facilite et accélère le processus. Néanmoins, le texte s'est précisé et un peu amélioré, même si nous préférions la version issue du Sénat qui supprimait la possibilité de déroger au cadre légal et réglementaire concernant le patrimoine, l'urbanisme, l'environnement et la commande publique.
BATIACTU: Sur l'aspect patrimonial, la Charte de Venise ou l'Unesco ne pourraient-ils pas être des garde-fous ?
Denis Dessus: Cette question avait été soulevée, et à juste titre. Mais il faut rappeler que la Charte de Venise et le classement de l'Unesco ne concernent pas spécifiquement Notre-Dame de Paris mais les berges de la Seine dont Notre6Dame est un élément constitutif. Cela entraîne la conservation en l'état à la date de l'inscription en 1991. Cela a été ajouté à l'article 11, en indiquant que les ordonnances devront respecter le code de l'environnement et les engagements internationaux. Des parlementaires ont beaucoup œuvré au cadrage du texte et leur implication se traduit positivement dans la rédaction finale de la loi.
Il est étonnant que l'Etat, garant de la loi, élabore des textes pour s'affranchir de l'avis de ses propres services
BATIACTU: Le nouvel article 11 est né d'oppositions entre Assemblée nationale et Sénat sur la question des dérogations. L'encart a toutefois été remanié par les députés, vous rassure-t-il ?
Denis Dessus: Il est étonnant que l'Etat, garant de la loi, élabore des textes pour s'affranchir de l'avis de ses propres services, comme on le voit à l'article 11-2 qui permet de contourner l'avis de l'Architecte des Bâtiments de France. L'article 11 alinéa 11 autorise le gouvernement à prendre par ordonnances toutes dispositions relevant du domaine de la loi pour faciliter l'opération, mais l'alinéa 12 indique que cela concerne les règles (au sens législatif, et non réglementaire qui ne relève pas de l'ordonnance et des lois) en matière de voirie, d'environnement et d'urbanisme. Nous retrouvons donc une ouverture du champ dérogatoire, mais beaucoup plus contenu que dans les rédactions précédentes.
Le nouvel article 9 concerne la création d'un établissement public dédié. Institution ayant délégation de service public et devant veiller à l'intérêt public d'architecture, représentant l'ensemble de la profession et parfaitement au fait des procédures capables in fine de produire le meilleur projet, le Conseil National de l'Ordre des architectes demande à être associé aux réflexions sur les modes opératoires qui vont être mis en œuvre pour reconstruire, rénover ou transformer la cathédrale et le site.
"Le vrai enjeu est d'arriver à cristalliser les expertises et la réflexion architecturale pour adapter ce lieu (...) aux nouveaux usages, sans le transformer en parc d'attraction"
BATIACTU: Depuis l'incendie de l'édifice, le Cnoa a-t-il été consulté d'une manière ou d'une autre ?
Denis Dessus: Pas par le gouvernement, mais nous apportons notre expertise à ceux qui la sollicitent, comme cela a été le cas avec des parlementaires de tous bords politiques. Le président de la République a parlé d'un concours d'architecture, et personne n'est aussi sachant et expert que nous sur le sujet. Je pense que nous serons associés à la réflexion, mais ils n'en sont pas encore là. Notre ministère de tutelle, la Culture, est toujours aux manettes et notre rôle est d'intervenir dans les champs législatif et réglementaire qui concernent l'architecture, la construction et l'ensemble de ce qui constitue le cadre de vie.BATIACTU: Y a-t-il des points de vigilance à garder sur le chantier de restauration ?
Denis Dessus: Le gouvernement a fait le choix d'un nouvel établissement public, en créant une nouvelle loi et, par ordonnance, en prévoyant d'en modifier d'autres, au lieu d'utiliser les outils actuels, dont le cadre législatif et réglementaire, qui est parfaitement connu et maîtrisé. Nous verrons si cela se traduit par de la complexité, des coûts et du temps perdu ou si cela s'avère la solution adéquate pour une vraie dynamique et une restauration remarquable.
Il faudrait que la restauration de Notre-Dame entraîne une réflexion sur l'île de la Cité qui accueille de multiples bâtiments historiques remarquables. Le vrai enjeu est d'arriver à cristalliser les expertises et la réflexion architecturale pour adapter ce lieu cultuel, culturel, historique, aux nouveaux usages, sans le transformer en parc d'attraction. La cession d'une partie de l'Hôtel Dieu, donnant directement sur le parvis de Notre-Dame, pour une opération purement commerciale, fait frémir. Il est grand temps d'avoir une vision globale, respectueuse de notre patrimoine et de notre culture, ludique et éducative, de ce site exceptionnel.