RECHERCHE. Si l'enquête judiciaire sur les raisons de l'incendie de Notre-Dame de Paris se poursuit, la communauté scientifique mobilise déjà ses connaissances sur l'édifice pour servir le chantier de restauration, et entend se servir des vestiges comme pièces à conviction de recherches nouvelles.
Passé le temps traumatique, l'heure est déjà à la réflexion quant aux orientations scientifiques et techniques qui devront accompagner le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris. L'apport de la science à ces travaux faisaient d'ailleurs l'objet d'une audition au Sénat, qui a adopté dans la nuit de lundi à mardi une version modifiée de la loi portant sur la restauration du monument.
Pour de nombreux chercheurs reçus au Sénat le 23 mai dernier, l'amoncellement de matériaux détruits par les flammes pourraient bien être un tas d'or pour la communauté scientifique. Du point de vue de Philippe Dillmann du CNRS, le chantier de restauration permettra "de révéler des informations sur l'âge des bois, des pierres, ou des métaux, mais aussi sur les gestes techniques appliqués à l'époque".
Collecter des données historiques
Directeur de recherche au Laboratoire d'Archéomatériaux et Prévision de l'Altération de l'université de Belfort, Philippe Dillmann dresse la liste des opportunités de recherche qu'offre Notre-Dame: "modéliser le comportement de la structure avant et après l'incendie", collecter "des données historiques liées aux architectures du XIXe siècle, mais également celle du Moyen-Age", ou encore l'obtention "d'informations cruciales sur le climat aux périodes médiévales" à partir des isotopes contenus dans les bois de charpentes.
"Enthousiasme" des chercheurs à accompagner le chantier
Mais bien loin de l'édifice religieux, "l'émotion patrimoniale et la réaction de la société peuvent être étudiées par les domaines de la sociologie, de l'anthropologie voire de la linguistique", ajoute Philippe Dillmann. Dans "ce bien total que représente Notre-Dame" , "des connaissances nouvelles peuvent et doivent être collectées", synthétise-t-il.
Cet inventaire de thématiques dont la communauté scientifique pourrait se saisir, le CNRS l'a déjà entamé, de même que la collecte des recherches existantes liées au monument dans le cadre du "chantier CNRS Notre-Dame" lancé le 20 mai dernier, et qui a nommé en tant que chargés de mission, Philippe Dillmann et Martine Regert, directrice adjointe scientifique à l'Institut écologie et environnement du CNRS.
Cette dernière a indiqué qu'un appel avait été lancé en direction des différents laboratoires de recherche "afin de recenser ce qui existe, avec une partie de données publiées mais une autre qui reste encore inédite". "Il y a un certain enthousiasme des chercheurs à accompagner le chantier et à développer des problématiques spécifiques et créer de nouvelles interactions interdisciplinaires", rapporte Martine Regert.
Les matériaux passent au bloc
Avant que cette "mise en musique" ne se fasse - dans un temps ultérieur et plus long -, des scientifiques sont déjà au chevet de Notre-Dame, notamment ceux du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LMRH) rattaché au ministère de la Culture. Chez cet urgentiste des monuments, "on parle de grande malade, de grande brûlée à propos de Notre-Dame et nous avons dans notre manière de vivre notre rôle cette ressemblance avec les médecins", confie Aline Magnien, directrice du laboratoire.
Ce centre dédié à la restauration des monuments "blessés" sera notamment chargé d'autopsier les éléments et matériaux altérés par l'incendie, afin de "poser des méthodes de restauration qui soient compatibles avec ces matériaux, respectueuses et durables dans le temps", décrit Aline Magnien.
Répartis entre 9 pôles consacrés à la pierre, le bois, le métal ou le vitrail, les scientifiques du LMRH pourront notamment restaurer les éléments altérés par l'incendie et préconiser ou non le réemploi de matériaux tombés dans la cathédrale.