Recrutement, TVA à 5,5 %, travail illégal, hausse du prix des matières premières… le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), Christian Baffy, revient sur les grands thèmes du secteur et dévoile les grands axes de son nouveau mandat. Interview.

Batiactu : La conjoncture actuelle dans le secteur de la construction est plutôt favorable, cela va-t-il perdurer ?
Christain Baffy : Le taux de croissance en volume devrait s’établir cette année à +3,5 % et devrait s’accompagner de la création de 25.000 emplois supplémentaires, conformément aux prévisions faites en début d’année. Cette croissance est essentiellement tirée par deux secteurs d’activité : le logement neuf, notamment collectif, et l’entretien. Le rebond dans le logement collectif s’explique par l’efficacité du dispositif De Robien , un environnement financier qui reste très favorable et la bonne consommation des crédits du logement locatif social en 2004. L’entretien tire également la croissance vers le haut. Grâce à la TVA à 5,5 %, l’entretien dans le logement privé devrait ainsi connaître encore cette année une croissance de l’ordre de 2 %.
Pour 2006, il est difficile de faire des prévisions d’autant plus qu’il y a un certain nombre de points d’interrogation, comme l’évolution du prix du pétrole, des taux d’intérêt, de la TVA, la vitesse de progression de l’offre sociale sous les effets du plan de cohésion sociale... Mais grâce aux mesures fiscales et à la volonté gouvernementale d’aller vers la construction plus importante de logements, nous devrions atteindre 400.000 mises en chantier cette année, chiffre qui n’a pas été atteint depuis 1981. Donc il y a de belles perspectives, sans compter la volonté du gouvernement de réduire la facture de l’énergie dans le cadre d’une politique de développement durable.

Batiactu : Vous avez été reconduit pour trois ans à la présidence de la FFB en mars dernier, quels sont les axes stratégiques de ce nouveau mandat ?
Christain Baffy :Je souhaite que nos entrepreneurs soient pleinement maîtres de leur destin. Pour cela, je me suis fixé cinq engagements. Tout d’abord, il faut aider les entrepreneurs à maîtriser l’information, car un grand nombre d’entre eux ne sont pas du tout équipés sur ce sujet. Grâce à notre plate-forme électronique « e-bat », expérimentée en Seine-et-Marne, nous souhaitons ainsi permettre à nos 55.000 adhérents d’avoir accès à tout type d’informations (tableaux de bord, outils fiables en matière de gestion, informations d’ordre social et juridique…). Nous devons également les former à la dématérialisation. C’est une tâche très lourde mais il est indispensable de ne pas laisser nos entreprises sur le bord de la route.
Mon deuxième engagement est la maîtrise du métier. Si l’on veut continuer à développer le marché, il faut qu’une entreprise s’engage à faire de la qualité. La réforme de Qualibat permet ainsi de redéfinir l’offre de qualification, notamment grâce au CIB (Certificat d’identification du bâtiment), moyen, comme son nom l’indique, d’identification de l’entreprise (inscription au registre du commerce ou au répertoire des métiers, situations fiscales et sociales, contrat d’assurance…), avec, au-delà de quatre ans, l’invitation à demander sa qualification. Nous ne pouvons que regretter que l’ensemble des organisations professionnelles n’ait pas signé cette réforme soutenue par le ministère de l’Equipement.
Le troisième engagement porte sur la maîtrise de l’offre. Aujourd’hui, nos entrepreneurs sont beaucoup trop en attente de la demande de leur client. La bonne méthode n’est pas de brandir des banderoles contre les GSB : nous devons nous doter de moyens pour être meilleurs qu’elles. Il faut que nos entrepreneurs sachent vendre leur technicité, les nouvelles technologies et le savoir-faire de leur entreprise. Donc c’est à l’artisan aujourd’hui à proposer une véritable offre d’ensemblier à son client, un coût global, et d’aller même au-delà, en proposant, par exemple, des facilités de paiement. Pour cela, nous avons signé un certain nombre de partenariats avec des banques, notamment avec la banque Solféa.
Il faut également que nos entrepreneurs sachent, s’ils le souhaitent, entrer dans un système de conception construction, par le biais notamment du financement privé d’ouvrages publics. Aujourd’hui, nos PME sont en capacité de répondre à des appels d’offres de type baux emphytéotiques, administratifs ou hospitaliers.
Le quatrième engagement porte sur la maîtrise du recrutement et des ressources humaines. Côté formation continue, nos entrepreneurs doivent s’impliquer dans l’évaluation des compétences de leurs salariés, pour les fidéliser et les faire progresser. Concernant la formation initiale, nous avons été à l’origine d’un certain nombre d’accords, notamment celui du 8 février 2005, qui a été promulgué au Journal Officiel le 17 août. Un jeune qui prépare un CAP pourra donc désormais percevoir 40% du Smic, manger à la cantine du CFA, disposer d’une complémentaire santé, d’une aide au logement…
Aujourd’hui, quasiment un jeune sur trois formés ou en cours de formation quitte le métier. Il faut qu’on se pose des questions ! Or, on ne passera pas de 360.000 apprentis à 500.000 si on continue à les payer à coup de lance-pierre : c’est tout l’esprit de notre accord !
Enfin, nos adhérents devront maîtriser la pérennité de leurs entreprises. Dans ce cadre, la transmission est un sujet essentiel. Sur 288.000 entreprises en France, 70.000 à 80.000 seront à céder dans les 10 ans qui viennent. En tant qu’organisation professionnelle, nous devons sensibiliser l’ensemble de nos chefs d’entreprise au fait qu’une succession ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Cela se prépare de différentes manières, notamment sur le plan psychologique..

Batiactu : Justement, quelles sont vos préconisations en matière de transmission d’entreprises ?
Christain Baffy :Nous avons mis en place dans tout notre réseau des cellules «Transmibat», dont la mission est de sensibiliser l’ensemble des chefs d’entreprise au fait qu’une transmission se prépare entre 5 et 10 ans à l’avance et de les aider à trouver les bons interlocuteurs en particulier pour connaître la valeur réelle de cession de leur entreprise.
Mais il faut trouver surtout des repreneurs. Sur ce sujet, les nouvelles propositions du gouvernement votées début août et la possibilité pour un cédant d’accompagner son repreneur pendant quelque temps me paraît excellente...
Au-delà des personnes formées techniquement (ingénieurs, diplômés de l’ESTP…), nous allons également nouer un partenariat avec l’ensemble des universités qui forment des jeunes à la gestion et au management.
Nous allons aussi mettre en place des clubs d’anciens, afin que les jeunes repreneurs se sentent soutenus et puissent profiter de toutes les petites astuces qu’un dirigeant a acquises au fil des années.
Enfin, nous souhaiterions monter un fonds d’investissement privé, qui contribuerait à faciliter la reprise des entreprises de bâtiment.
Vous avez récemment indiqué un manque d’audace quant aux mesures d’urgence pour l’emploi prises par le gouvernement, pourquoi ?
Je me félicite par exemple que le gouvernement ait su trouver un système de compensation financière par rapport aux charges nouvelles quand une entreprise passe de 10 à 11 salariés (transport, 1 % logement… ).
En revanche, sur le contrat nouvelle embauche, je ne vois pas pourquoi avoir réservé des conditions particulières pour les entreprises de moins 20 salariés, même si elles représentent 90 % de notre population. Du coup, plutôt que recruter, certains vont préférer pratiquer la sous-traitance ou l’intérim. C’est dommage !

Batiactu : Comment comptez-vous limiter les dérives de la sous-traitance ?
Christain Baffy : Dans le cadre d’une démarche conjointe avec la Dilti, nous avons élaboré un dépliant, intitulé « Sous-traitance et travail illégal dans le BTP » (adresses et numéro utiles, peines encourues…), à destination de nos adhérents et des maîtres d’ouvrage tant publics que privés. Le lancement officiel aura lieu courant septembre ou octobre.
Gérard Larcher a pris des dispositions en annonçant des opérations coups de poing pour éradiquer le travail clandestin, illégal, la sous-traitance occulte… Nous ne pouvons que les encourager et nous serons en appui de toutes ces actions. On sait très bien qu’il existe des marchés, qu’on appelle officiellement des marchés aux esclaves. On sait où ils sont. Il faut faire des descentes. !

Batiactu : Vous avez déclaré être favorable à l’immigration ciblée de quelques travailleurs en provenance des nouveaux pays de l’UE, quelles en sont les conditions ?
Christain Baffy : Nous avons un problème : c’est d’avoir d’un côté, des demandeurs d’emplois et, d’un autre, des métiers qui offrent des emplois, et ces gens n’arrivent pas à se retrouver. Donc on peut imaginer – c’est une des propositions que j’ai faites à Catherine Vautrin (Ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité) – de voir comment on pourrait réfléchir à un « kit mobilité », en travaillant sur la question du logement d’accueil, des conventions avec l’éducation nationale et avec d’autres organisations professionnelles qui ont des problèmes de recrutement, comme l’hôtellerie et la restauration.
Une fois que nous aurons tout épuisé, si l’on ne trouve toujours personne, eh bien, il faudra imaginer des solutions. C’est dans cette hypothèse, dans une interview au Monde, que j’ai dit oui à une immigration très ciblée, en fonction besoins clairement exprimés et sur autorisation expresse des directions départementales du travail.
Nous allons donc continuer à faire la promotion de nos différents métiers, comme avec « les Coulisses du bâtiment », qui se dérouleront cette année les 7 et 8 octobre sur près de 300 chantiers dans toute la France

Batiactu : Toutes ces actions ont-elles aujourd’hui porté leurs fruits ?
Christain Baffy : Nous ne sommes pas les seuls à mener des opérations de grande envergure. Mais un chiffre est clair : les effectifs dans les centres d’apprentissage ont augmenté de 8 % sur deux ans. Je pense que chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. Nos collègues de la Capeb font également des choses, et heureusement pour la profession.
Il faut absolument que les chefs d’entreprises parlent de leur réussite.

Batiactu :Où en sont les négociations concernant le maintien du taux de TVA à 5,5 %?
Christain Baffy : Rappelons que 55.000 emplois ont été créés grâce à la TVA à 5,5%. Si demain nous revenions à une TVA à 19,6 %, nous irions directement vers une destruction de 70.000 à 85.000 emplois. Quelle que soit l’implication forte et réelle de l’ensemble des membres du gouvernement, la décision ne se prend pas au niveau franco-français.
Notre organisation professionnelle travaille donc aussi au niveau de l’ensemble de l’Europe au travers de la Fiec (Fédération de l’industrie européenne de construction). Nous menons également un lobby très fort au niveau de l’Allemagne, car c’est un des points de blocage essentiels. J’ai reçu, avec le Président de la FIEC, l’organisation allemande du bâtiment le 14 juillet et nous avons bâti un argumentaire pour l’inciter à faire un lobby encore plus fort auprès des membres de son gouvernement. Ce n’est pas un combat facile, mais nous ne désarmons pas. Ce dispositif est majeur pour la profession. Alors, au moment où le gouvernement prend conscience de tous les freins à l’embauche, il ne faudrait pas que l’on bloque toute une mécanique, sachant que le bâtiment va créer en 2005 encore 25.000 emplois. Pour nous, il n’est pas envisageable que la TVA à 5,5 % ne soit pas reconduite.

Batiactu : Etes-vous néanmoins optimiste quant à cette pérennisation ?
Christain Baffy : Aujourd’hui, nous avons une présidence britannique. Or, compte tenu de la difficulté d’harmonisation au niveau d’un taux de TVA européen et compte tenu que les Britanniques bénéficient de taux dérogatoires – notamment d’un taux à 0% concernant les habits et les chaussures d’enfants –, je ne pense pas que Tony Blair souhaite abandonner cette mesure. Aujourd’hui, tout nous pousse donc à penser que ce dispositif devrait être, sinon pérennisé, au minimum prolongé pour une période que nous espérons la plus longue possible.

Batiactu : Quelles solutions envisagez-vous pour faire face à la hausse du coût des matières premières ?
Christain Baffy : En tant que président de l’Observatoire du bâtiment, au moment de l’envol des prix de l’acier, j’ai demandé à ce que le ministère de l’Equipement diffuse une instruction très rapide incitant les maîtres d’ouvrage publics à insérer des clauses de révision et d’actualisation de prix dans les marchés. En l’espace de quatre mois, nous avons obtenu une circulaire cosignée par le ministre de l’Equipement Gilles de Robien et par le ministre des Finances de l’époque Hervé Gaymard. Cette circulaire a pu être diffusée et c’est à nos fédérations d’en faire la publicité.
Pour ce qui concerne les marchés privés, c’est plus compliqué, parce qu’on ne peut pas réglementer le contrat entre un entrepreneur et un client privé. A nos entrepreneurs de se servir de l’exemple de l’Etat et des collectivités et d’être fermes vis-à-vis de leurs clients !

Batiactu : Que pensez-vous de l’appel à candidature de Jean-Louis Borloo pour le logement CQFD'
Christain Baffy : Toute initiative qui permettra de mieux loger nos concitoyens, de favoriser l’accession à la propriété est une excellente initiative. Lorsque Jean-Louis Borloo a annoncé son projet de maison à 100.000 euros, nous avons dit « banco ». Actuellement, nos unions de métiers travaillent sur ce projet.
Le projet CQFD renforce cette volonté d’innover pour produire des logements à meilleurs prix, sans pour autant sacrifier la qualité. Si des progrès s’avèrent à l’évidence possibles et nécessaires, le chemin est étroit. De fait, les expériences passées montrent que les économies de court terme se traduisent par des surcoûts de gestion et d’investissement important à long terme. Il n’est jamais bon de sacrifier l’avenir au présent. Nous serons donc à la fois actifs et vigilants.

Batiactu : Mais la hausse des matériaux ne risque-t-elle pas de freiner ces projets ?
Christain Baffy : C’est à l’évidence un facteur non favorable. Mais dès lors que vous laissez la possibilité aux entrepreneurs de mettre en œuvre de nouvelles techniques et de nouvelles technologies, des solutions apparaissent. On peut très bien imaginer des maisons à ossature bois qui ne nécessitent pas beaucoup d’acier. Et contrairement à ce que l’on peut imaginer, ce sont des maisons qui sont faites pour durer, la preuve aux Etats-Unis. Il est vrai que nous sommes encore vis-à-vis de nos clients dans une culture « de dur », de béton, de pierre… Mais le bois est également un matériau solide qui entre bien dans la notion de développement durable. N’oublions pas que lorsque nous travaillons en HQE, outre l’économie d’énergie, nous travaillons aussi sur le recyclage d’un bien, au-delà de sa durée de vie.
Laissons donc les entrepreneurs, les bureaux d’étude et les architectes travailler sur de nouveaux concepts, et s’adapter en permanence à un environnement changeant..

Batiactu : Comment envisagez-vous l’avenir de la profession d’ici à 10 ans ?
Christain Baffy : Il restera favorable pour ceux qui sauront bâtir une stratégie et un projet de développement. Une entreprise qui subit est amenée à disparaître. Une entreprise qui écoute les attentes et les besoins de ses clients et sait les satisfaire est une entreprise à qui demain appartient.

actionclactionfp