RÉACTIONS. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, vient d'annoncer sa démission du Gouvernement. Il évoque un sentiment de solitude et regrette l'absence de mobilisation autour des sujets liés développement durable.

"Dans la politique de développement durable, nous ne faisons que des petits pas. Est-ce suffisant à endiguer et inverser la situation climatique ? La réponse est non. Avons-nous réduit nos émissions de gaz à effet de serre ? Non. Avons-nous réduit les pesticides ? Non. Avons-nous enrayé l'érosion de la biodiversité ? Non. Avons-nous stoppé l'artificialisation des sols ? Non." C'est ainsi que Nicolas Hulot, ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé sa démission sur France inter, ce mardi 28 août. Il laisse derrière lui un bilan mitigé en quinze mois d'activité (lire notre article ici).

 

"On ne pourra pas atteindre les objectifs de rénovations énergétiques"

 

Il a notamment évoqué son malaise par rapport au plan de rénovation énergétique des bâtiments. "On veut rénover 500.000 passoires thermiques. Or, on a baissé de moitié les moyens pour rénover ces bâtiments. Je sais déjà, au moment d'acter ce plan de rénovation, que l'on ne pourra pas atteindre les objectifs." Et sur les grands plans d'investissement annoncés, l'ex-ministre regrette que le Gouvernement "fasse croire que c'est de l'argent nouveau alors que c'est de l'argent recyclé".

 


 

De manière générale, Nicolas Hulot regrette que les actes ne suivent pas les paroles. S'il a l'oreille d'Emmanuel Macron et d'Édouard Philippe, à qui il a rendu hommage, il ne parvient pas à se contenter des choix effectués, trop partiels et partials à son goût. Selon lui, les enjeux de développement durable devraient être placés en priorité, avant même par exemple les critères budgétaires du traité de Maastricht. "La planète devient une étuve, nos ressources naturelles s'épuisent, la biodiversité fond comme neige au soleil. Et cela n'est pas toujours appréhendé comme enjeu prioritaire", s'inquiète-t-il. "Au lieu de cela, nous nous évertuons à réanimer un modèle économique, marchand, qui est précisément la cause de tous ces désordres."

 

"Je suis tout seul à la manœuvre dans ce Gouvernement"

 

L'ex-ministre parle d'une "pression très forte du court terme qui pèse sur les dirigeants", finissant par "préempter les enjeux de moyen et long termes". "Il y a des exigences sociales et humanitaires qui, légitimement, relèguent les enjeux de long terme au deuxième rang des priorités. Or, ce qu'il faudrait, c'est une remise en cause générale, car l'enjeu écologique est culturel, sociétal et civilisationnel. Nous ne sommes pas en ordre de marche, je suis tout seul à la manœuvre dans ce Gouvernement." Avant de pointer l'omniprésence des lobbies près des cercles du pouvoir. "Cela pose des problèmes de démocratie."

 

Nicolas Hulot a également fustigé le nucléaire, "cette folie inutile, économiquement et techniquement, dans laquelle on s'entête". Et regretté la multiplication des résistances à l'égard des éoliennes et des centrales photovoltaïques.

 

"Il a fait des choses et laissera des traces"

 

De nombreuses réactions ont fait suite à l'annonce de Nicolas Hulot, comme celle de France nature environnement, qui invite le Gouvernement à changer de braquet : "De très importants chantiers sont devant nous : la réforme de la politique agricole, la transition énergétique et les choix sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, la lutte contre l'érosion de la biodiversité, l'alimentation et la santé-environnement, la cohérence du budget avec les objectifs de transition, les enjeux d'une mobilité durable constituent des enjeux fondamentaux."

 

"Nous partageons l'analyse de Nicolas Hulot sur le manque de moyens alloués à la rénovation", P. Liébus (Capeb)
Lors du dévoilement du Gouvernement Philippe, de nombreux acteurs de la construction avaient fait part de leur surprise de voir séparés les ministères du Logement et du Développement durable. En ce jour de démission de Nicolas Hulot, Patrick Liébus, président de la Capeb, évoque cette idée. "La cohabitation entre deux ministères peut parfois être compliquée", explique-t-il à Batiactu. "Cette démission est peut-être l'occasion de revenir à un 'super-ministère'. Il ne faut pas que ces mouvements à la tête de l'État aient des répercussions sur l'activité des artisans du bâtiment, qui sont tout juste convalescents." La président de la Capeb affirme en tout cas ne pas être surpris de la décision de l'ex-ministre. "Depuis un moment déjà, en échangeant avec lui, on sentait qu'il était désabusé à certains égards. Il est arrivé au Gouvernement avec des convictions, et le quitte avec des déceptions. Nous partageons en tout cas son analyse sur le manque de moyens alloués par les pouvoirs publics quant aux objectifs de rénovation."

 

La Capeb souhaite à présent que le prochain ministre puisse s'inscrire dans la lancée des discussions menées depuis 2017. "Si on reprend les discussions à zéro, nous allons perdre du temps, alors même que les choses mettent déjà du temps à décoller. Nous voulons donc savoir qui fera quoi dans un laps de temps assez court. De nombreux dossiers sont sur la table, comme la rénovation des centres-bourgs ou celui de la TVA."

 

La Fédération française du bâtiment (FFB) a réagi par communiqué en affirmant qu'elle continuait de "soutenir le travail engagé par Nicolas Hulot en faveur du plan de rénovation des bâtiments". "Cette démarche [...] implique des moyens à la hauteur des ambitions, en particulier à travers une politique volontariste et pérenne d'incitations financières aux travaux de performance énergétique et environnementale, en faveur du logement comme du non résidentiel. Elle implique aussi d'encourager l'innovation technique et la montée en compétences de l'ensemble des acteurs sur tout le territoire." L'organisation précise ainsi se mettre à la disposition des deux secrétaires d'Etat à la Transition écologique, Brune Poirson et Sébastien Lecornu, "afin que le plan de rénovation des bâtiments soit finalisé et débouche, au plus vite, sur l'engagement d'un important volume de travaux véritablement efficaces".

 

"Le diagnostic fait par Nicolas Hulot confirme nos critiques sur le projet de loi Elan", Denis Dessus, président du Cnoa
"Les architectes, avec des ingénieurs impliqués, ont œuvré pour la prise de conscience des nécessités de la construction et de l'urbanisme durables. Ils ont innové, formé et mobilisé sur ces sujets. La qualité environnementale, le maintien de la biodiversité et une conception écologique du cadre de vie sont nécessaires. Écologie et culture sont des notions essentielles et transversales qui doivent innerver notre société. Le diagnostic de l'action du gouvernement fait par Nicolas Hulot confirme nos critiques sur le projet de loi Elan, symptomatique du dysfonctionnement noté par le ministre : absence de toute considération et objectif environnementaux, écologiques, sociologiques, architecturaux ou urbanistiques, les seuls bénéficiaires étant les lobbies puissants des grands groupes du BTP et de la promotion immobilière. Une loi logement qui ne traite pas l'enjeu majeur que constitue la rénovation, et nous rejoignons là aussi le diagnostic de N. Hulot. Le coup d'éclat de son départ peut être salvateur s'il fait prendre conscience au gouvernement qu'il faut travailler autrement en écoutant ceux qui œuvrent pour améliorer le cadre de vie et non les lobbies affairistes. Peut-être va t-il permettre que les futurs projets du gouvernement aient une ambition sociale, culturelle et sociologique. Ce sera en tout cas la mission de son successeur, et nous sommes prêts à l'aider dans cette tâche."

 

Du côté du Syndicat des Energies Renouvelables, on parle d'un "ministre vraiment impliqué". La porte-parole explique à Batiactu : "Il a fait des choses et laissera des traces, notamment sous la forme de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui comme une graine ne demande maintenant qu'à grandir. Nous espérons que les orientations qu'il a fixées seront bien prises en compte par son successeur. Et nous serons vigilants pour que cette PPE soit ambitieuse. Car, pour l'heure, nous sommes sans informations, alors qu'une communication devait être faite à la fin du mois de juillet... Il ne faut pas que nous risquions un report".

 

Le Réseau pour la transition énergétique (Cler), pour sa part, évoque dans cette démission et les propos qui l'accompagnent une "mise en lumière de blocages, d'impossibilité de faire progresser ces sujets aujourd'hui", comme l'explique Jean-Baptiste Lebrun, directeur, contacté par Batiactu. L'association en appelle à un "sursaut" nécessaire. "En matière de rénovation énergétique des bâtiments, nous avons de notre côté constaté que par rapport au précédent mandat, les moyens étaient les mêmes, contrairement à ce qui était énoncé", continue Jean-Baptiste Lebrun, ce qui corrobore les inquiétudes de Nicolas Hulot sur ce thème. "Et c'était, comme le dit Nicolas Hulot, de l'argent recyclé. Des moyens supplémentaires ont effectivement été fléchés vers les bâtiments publics et vers les bâtiments des collectivités locales, mais il s'agit de lignes de crédit proposées par la Caisse des dépôts. Le problème étant que les collectivités locales ne veulent plus s'endetter aujourd'hui. Ce n'est donc pas de l'argent frais et facilement utilisable qui a été mis sur la table."

 

Pour ce qui est du logement privé, le Cler estime également que les certificats d'économie d'énergie (CEE) et le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) n'apportent pas satisfaction. "Ils favorisent des gestes ponctuels de rénovation, mais pas les interventions globales sur les bâtiments." Le Cler est-il inquiet de ce départ fracassant de l'emblématique ministre de la Transition écologique ? "Tout dépendra de la suite. Le Gouvernement va-t-il comprendre qu'il y a un problème de logiciel ? Quant à son successeur, il est bien évident que quelqu'un qui a du poids politique et une culture du rapport de force a plus de chances d'obtenir des résultats. Pour autant, ce que nous souhaiterions, ce n'est pas forcément un grand nom, mais que les décideurs adoptent une autre manière d'arbitrer les sujets."

 

"La démission soudaine de Nicolas Hulot ne doit en aucun cas remettre en question les objectifs et engagements du gouvernement vis-à-vis de la rénovation énergétique", a aussi déclaré Audrey Zermati, directrice stratégie d'Effy.

 

Le Comité 21, qui se présente comme le 'réseau des acteurs du développement durable', "exhorte de retenir le message du ministre : la défense de la planète n'est pas la priorité du monde politique". L'organisme "soutient avec l'ancien ministre un aggiornamento écologique dépassant les clivages, en harmonie avec un projet européen rénové et une mondialisation inspirée par les 17 objectifs de développement durable".

 

Christophe Tanay, président de l'Unis, parle lui d'un ralentissement, pour le monde de l'immobilier, "au programme de rénovation énergétique". "Un tel programme doit être porté par un politique à la personnalité marquée, et trouver un remplaçant à NH va être ardu. Le secteur privé, de toute façon, respectera les orientations qui seront prises en application du plan de transition énergétique du bâtiment, qui est la clé d'un habitat accessible et confortable."

 


 

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