Relations hiérarchiques irrespectueuses, animosité, discrimination, précarité… A l’heure où l’on évoque sans cesse la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur, Nicolas Jounin s’est immergé pendant plusieurs mois sur des chantiers de gros œuvre. De son expérience il a tiré un livre «Chantier interdit au public», ouvrage-enquête dans lequel il évoque sans concession la réalité de la vie de chantier. Interview.

A présent maître de conférences à l’Université Paris 8, Nicolas Jounin a enquêté pour sa thèse de sociologie sur le gros œuvre en France entre 2001 et 2004. A cette occasion, il a lui-même participé à des chantiers pendants neuf mois où il prenait des notes environ toutes les deux heures, d’où la précision des dialogues rapportés. Relations hiérarchiques pas toujours respectueuses, origines étrangères déterminant la fonction de chacun, discrimination, intérim… Il nous livre à présent le résultat de son expérience et l’histoire des ouvriers du secteur dans «Chantier interdit au public, enquête parmi les travailleurs du bâtiment», où les protagonistes ont été anonymisés.

Batiactu : Comment s’est passée votre intégration dans le secteur du BTP ?
Nicolas Jounin : Ca n’a pas été évident au départ pour trouver du travail. J’allais d’agences en agences d’intérim et il était difficile de se faire embaucher comme manœuvre car je suis français et blanc, alors que les commerciaux préfèrent recruter des immigrés ouest-africains à ce poste. Néanmoins, une fois que j'ai été repéré par des employeurs, j'ai bénéficié d'une discrimination plus classique : ma nationalité et ma couleur de peau redevenaient un avantage pour garder mon emploi voire gagner du galon.

Batiactu : Le livre révèle une certaine animosité dans le secteur entre les travailleurs du bâtiment, comment pouvez-vous l’expliquer ?
Nicolas Jounin : Cela peut s’expliquer par le fait que la gestion de la main d’œuvre dans le bâtiment se fait de façon assez brutale. Les agences d’intérim utilisent parfois des formes illégales d’emploi où la personne ne signe pas forcément de contrat. Ainsi, l’ouvrier peut se faire renvoyer du jour au lendemain. Sur le chantier, la multiplication et la hiérarchisation des statuts, entre personnels de l'entreprise générale et sous-traitants, entre embauchés et intérimaires, est source de tensions.

Batiactu : Qu’est ce qui peut expliquer le manque de main-d’œuvre dans le secteur ?
Nicolas Jounin : La pénurie de main-d'oeuvre est toute relative, comme le suggérait par exemple un responsable des ressources humaines que j'ai interrogé : «On trouvera toujours les bras pour faire le travail». Mais les conditions d'emploi et de travail ne sont pas améliorées de manière à retenir véritablement les salariés, notamment ceux des métiers dévalorisés comme ferrailleur ou manœuvre. Le discours de la pénurie de main-d'oeuvre est surtout une manière de décrier le personnel qu'on utilise, et de justifier la sous-traitance et l'intérim, censés pallier cette pénurie.

Batiactu : Quel est le message que vous voulez transmettre à travers cet ouvrage ?
Nicolas Jounin : Je pense qu'en mettant les gens au travail sous des formes précaires d'emploi, on gagne en discipline des salariés, mais seulement jusqu'à un certain point. Les entreprises, sans parler des ouvriers, font l'expérience quotidienne que la précarité peut être nuisible à la production même.

A lire

Chantier interdit au public – enquête parmi les travailleurs du bâtiment
Auteur : Nicolas Jounin
Editions la Découverte
Collection : Textes à l’appui/Enquêtes de terrain
Parution : février 2008
Pages : 276
Prix : 23 euros

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