FOCUS. La révision d'un règlement européen relatif aux substances chimiques pourrait déboucher sur une interdiction du plomb, utilisé pour les vitraux. Le Sénat interpelle le Gouvernement et la Commission européenne sur les répercussions qu'une telle décision pourrait avoir sur l'activité et l'emploi des métiers du bâtiment liés au patrimoine.
Attention aux conséquences : dans un communiqué, le Sénat tire la sonnette d'alarme sur l'impact que pourrait avoir sur l'activité et l'emploi des métiers du patrimoine, l'éventualité d'une interdiction du plomb à l'échelle européenne. En effet, la révision du règlement européen baptisé "Reach" et relatif à l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, pourrait bien conduire à une telle décision.
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Au printemps dernier, l'Agence chimique européenne (Echa) a lancé une consultation sur l'inclusion du plomb au règlement, plus précisément au sein d'une annexe concernant les substances "particulièrement préoccupantes". La commission des affaires européennes du Sénat a donc adopté ce 21 juillet une proposition de résolution européenne, adressé au Gouvernement, et un avis politique, destiné quant à lui à la Commission européenne.
Les deux textes mettent en garde sur la nécessité de préserver les filières en lien avec le patrimoine, menacées par cette possible interdiction du plomb. "La procédure d'autorisation très lourde que cela impliquerait, puis l'interdiction qui suivrait au terme de quelques années, représenterait un coût prohibitif pour les entreprises (très petites, petites et moyennes entreprises) françaises du secteur du patrimoine culturel", expliquent les parlementaires. Ajoutant : "Leur survie même serait mise en cause à court terme".
Des entreprises déjà sensibilisées aux mesures de prévention
Le Sénat a en réalité été saisi par les maîtres verriers de la Chambre syndicale nationale du vitrail, eux-mêmes mobilisés dans le cadre de la consultation européenne. "Ils sont légitimement inquiets, car la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb", souligne la rapporteure des textes, Catherine Morin-Desailly, sénatrice centriste de Seine-Maritime.
Dans la mesure où la France concentre à elle seule plus de 60 % des vitraux du Vieux Continent, et qu'elle abrite la plus grande surface de vitraux au monde, les conséquences pourraient être désastreuses, pouvant aller jusqu'au dépérissement de l'activité ou à sa délocalisation. Le risque ne doit donc pas être négligé pour les sénateurs, qui rappellent que les propriétés malléables et durables du plomb garantissent aussi la conservation des bâtiments anciens.
"L'impact le plus lourd porterait sur l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques", estime Louis-Jean de Nicolaÿ, co-rapporteur et sénateur LR de la Sarthe. D'après lui, les entreprises concernées sont "sensibilisées" depuis longtemps aux dangers du plomb et ont pris "les mesures de prévention indispensables".
Pas d'impact avéré sur la santé
Dans son communiqué, la commission sénatoriale constate en outre "qu'aucune étude scientifique ne fait état de problèmes de santé caractérisés ou massifs liés au plomb chez les artisans et ouvriers du patrimoine". Elle regrette au passage "qu'il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel".
Le Palais du Luxembourg invite par conséquent l'Europe à financer de telles études, et à élaborer, avec la France, un protocole de prévention sur les chantiers de sites et monuments historiques.
À la tête de la commission des affaires européennes, le sénateur LR du Pas-de-Calais Jean-François Rapin souligne enfin que "des précédents d'exemptions relatives à l'interdiction de recourir au plomb pour un secteur déterminé ont déjà eu lieu dans certains domaines", comme par exemple le cristal. Une autre exception pourrait donc être actée en faveur des métiers du patrimoine concernés.
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"Cette décision serait une véritable catastrophe"
Fin avril, la délégation régionale de l'U2P (Union des entreprises de proximité) en Normandie avait déjà fait part de son inquiétude, qualifiant de "menace" l'éventualité de la décision européenne. L'organisation, dont est membre la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment), avait rappelé que le plomb est "indispensable dans la fabrication et la rénovation des vitraux" et que son utilisation est "déjà encadrée".
Composant essentiel de la structure des vitraux, il permet le maintien des morceaux de verres entre eux, et "aucun autre matériau ne peut être substitué à cette technique ancestrale". L'U2P Normandie avait alors estimé qu'une interdiction du plomb entraînerait la fermeture immédiate de "450 entreprises artisanales du vitrail", en parallèle d'une "disparition programmée de notre patrimoine".
La présidente de l'antenne régionale, Roseline Lemarchand, avait quant à elle considéré l'absence d'autorisation comme "impensable" : "Cette décision de l'Union européenne serait une véritable catastrophe ; les artisans du vitrail n'auraient d'autre choix que de fermer définitivement".
Entre-temps, les professionnels semblent donc avoir réussi à se faire entendre auprès des parlementaires. Reste à voir quelle sera la réponse du Gouvernement et des autorités européennes.