CRITIQUES. Les ménages les plus précaires seront-ils en mesure de payer des restes à charge de quelques centaines d'euros pour réaliser des travaux de rénovation énergétique ? La question est sur toutes les lèvres en ce début d'année, alors que le nouveau dispositif d'aide MaPrimeRénov vient d'être formellement lancé.
"Le Gouvernement pourrait rater sa cible." C'est le président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), Patrick Liébus, qui l'a affirmé lors de la cérémonie des voeux de son organisation, ce 9 janvier 2020. En cause, le tout nouveau dispositif d'aide financière à la rénovation énergétique, MaPrimeRénov, tout juste présenté et lancé par les pouvoirs publics. Le patron des artisans reconnaît que la transformation d'un crédit d'impôt en prime a cette vertu de permettre une solvabilisation plus rapide des ménages précaires (au lieu d'attendre jusqu'à 18 mois pour toucher l'argent, ils devraient pouvoir y parvenir en quinze jours). Toutefois, il reste très sceptique sur l'idée de maintenir un reste à charge pour les ménages modestes : 10% du montant des travaux pour les plus précaires, 25% pour les précaires. Ce qui peut se chiffrer à quelques centaines, voire à plus d'un millier d'euros (concrètement, 300 euros par exemple pour l'installation d'une chaudière à granulé pour un ménage très précaire ; ou 3.250 euros pour une personne retraitée souhaitant installer un chauffe-eau solaire individuel, dont appoint). "Ce type de reste à charge est trop important et risque d'empêcher la réalisation des travaux", regrette le président de la Capeb, qualifiant le nouveau système "d'usine à gaz incompréhensible".
L'État attend un effort des acteurs de la rénovation
Pour rappel, le Gouvernement, pour permettre aux précaires de financer ce reste à charge, compte sur divers acteurs : associations (Fondation Abbé Pierre, Soliha, Secours catholique...), délégataires et mandataires de certificats d'économie d'énergie, collectivités territoriales et banques. Une prise de position qui a le don d'irriter, voire d'indigner de nombreux acteurs pour qui l'État devrait, au moins pour les ménages les plus précaires, assurer un reste à charge nul ou quasi-nul, plutôt que de s'appuyer sur des acteurs de type associatif. Reste à savoir également si des banques, déjà peut pressées de distribuer l'éco-PTZ, proposeront des crédits à la consommation à des ménages précaires et très précaires (on connaît l'adage : "On ne prête qu'aux riches"). Certaines d'entre elles ont quoi qu'il en soit signé la charte "Engagés pour faire", ce qui marque une forme d'engagement à agir dans ce sens.
Mais il n'y a pas seulement la dimension purement financière du reste à charge qui inquiète les acteurs. Qu'en est-il des démarches que devront faire les propriétaires précaires pour obtenir des financements subsidiaires ? "Beaucoup de ménages, ne sachant pas vers qui se tourner en premier pour boucler la facture, risquent d'abandonner leur projet", craint un professionnel du secteur. Un délégataire de certificats d'économie d'énergie (CEE) s'est de son côté lancé dans un travail de fourmi : étudier dans chaque coin du territoire français les différentes aides existantes pour faire le travail à la place du client. Effy, pour sa part, expliquait dès décembre 2019 réfléchir à plusieurs pistes pour résoudre cette équation monétaire.
Un reste à charge pour responsabiliser les clients ?
Certains arguments en faveur de ce reste à charge sont en tout cas tout à fait audibles. Ainsi, devoir payer quelque chose va probablement rendre le client davantage attentif à la qualité des travaux, alors qu'un geste 'gratuit' rend en général les gens moins exigeants. Cela pourra peut-être limiter aussi les effets d'aubaine, dans un contexte où des hausses de prix des matériels ou des coûts d'installation ont été constatés dans la foulée des offres à un euro. Peut-être aussi que l'État, qui a mis jusqu'à 1,7 milliard d'euros annuels sur la table ces dernières années pour financer des équipements via le CITE, souhaite moins contribuer et met une amicale pression sur d'autres sociétés et organismes, qui profitent financièrement du contexte, pour éponger le reste à charge - on connaît le poids de Bercy dans le Gouvernement actuel. "Si les pouvoirs publics ont souhaité ainsi limiter les effets d'aubaine, ils s'y sont pris de la pire des façons", regrette pourtant un spécialiste du sujet. "Il s'agissait plutôt d'effectuer de meilleurs contrôles sur la qualité des travaux et l'honorabilité des intervenants."
Le décret réformant le RGE sortira incessamment
Patrick Liébus a profité de l'occasion des vœux 2020 pour revenir, d'ailleurs, sur ce sujet. Rappelant que les artisans n'étaient pas du tout à l'origine des offres à un euro. "Le ministère de l'Écologie les a lancées sans nous consulter. Et nous avons vu les ravages que cela a causé en l'absence de contrôles, notamment vis-à-vis des particuliers abusés par des éco-délinquants." La Capeb a proposé sa contre-offre à un euro, baptisée Facilipass, et envisage d'aboutir sur une issue positive en matière de contrôles, dans la foulée du plan de lutte contre les arnaques lancé il y a quelques semaines. "Cela s'est enclenché de façon positive. Nous avons été entendus sur l'idée d'un audit au coup par coup. Ces nouvelles exigences pèseront sur certaines entreprises, mais nous arrivons à un compromis acceptable, la catastrophe a été évitée", a-t-il conclu. La publication du décret réformant le label RGE est attendu dans les jours à venir.
En matière de réussite de MaPrimeRénov, le juge de paix sera la publication des premiers chiffres dans quelques mois, et l'analyse du profil des bénéficiaires. Les très précaires seront-ils les principaux gagnants du dispositif ? C'est en tout cas la projet gouvernemental, qui rappelle régulièrement que le CITE était un système injuste, car capté en majorité par les ménages les plus aisés.
Contactée par Batiactu, la Fédération bancaire française (FBF) assure que "les banques sont présentes au quotidien dans le financement de la rénovation énergétique". "Elles sont aux côtés de leurs clients pour financer tous ces projets par des prêts responsables", ajoute l'organisation, qui précise que lors de la signature de la charte 'Engagé pour Faire', "les filiales de crédits spécialisés des grandes banques françaises étaient présentes". Enfin, l'organisation salue la mobilisation des acteurs de la rénovation énergétique, "indispensable pour bâtir les projets de nos clients".