ARCHITECTURE. Citroën a fermé son prestigieux showroom des Champs-Elysées le 31 décembre 2017, devenu trop cher à louer pour le groupe automobile. L'architecte Manuelle Gautrand, qui a signé la façade très caractéristique de cet immeuble, reprenant les chevrons de la marque, s'interroge sur l'avenir de son œuvre, désormais dépourvue de sens.
En 2002, Citroën lançait une grande consultation internationale d'architecture pour imaginer un bâtiment dont l'architecture devrait exprimer l'essence même de la marque, autant au travers son histoire riche qu'au travers de ses ambitions. C'est le projet de l'architecte Manuelle Gautrand qui avait été choisi, comme la principale intéressée le rappelle dans un communiqué : "Si j'ai gagné cette consultation, à l'unanimité du jury, face à des concurrents prestigieux (dont deux lauréats du prix Pritzker, Zaha Hadid et Christian de Portzamparc) c'est justement parce que ce jury a estimé que ma proposition architecturale symbolisait parfaitement cet univers de la marque, son ADN".
Le constructeur automobile entendait refaire du "C42" (pour Citroën, 42 Champs-Elysées) son vaisseau amiral international. Mais, frappé par la crise, il avait dû céder une partie de son patrimoine immobilier, dont cette adresse de prestige, acquise en 1927 par André Citroën lui-même. "C'est donc en 2012 que l'avenir du C42 a basculé", note amèrement l'architecte, "il a été cédé à un investisseur pour une très belle somme en contrepartie d'un loyer très élevé". Elle ajoute : "Citroën nous indiquait à ce moment-là, la main sur le cœur, vouloir rester locataire pour 'très longtemps' et que cela ne changerait rien, ni en termes d'usage, ni en termes d'aspect architectural puisqu'ils ne quitteraient pas les lieux". Pourtant, ce 31 décembre 2017, la marque aux chevrons a finalement choisi de fermer le showroom pour adopter une nouvelle stratégie commerciale visant à multiplier des espaces d'exposition plus petits.
Transformation ? Démolition ? Trahison !
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Manuelle Gautrand est donc perplexe : quel sera l'avenir de cet immeuble emblématique ? "Sous son origami de verre, le projet est conçu comme un présentoir géant évocateur des rampes qui grimpaient en hélice dans les garages de notre enfance, il est fort d'une structure porteuse complexe qui le rend totalement indépendant des bâtiments qui le flanquent, et sa façade s'inspire des chevrons, logo de la marque. En fait, tandis que le 'contenant' fait rayonner le chevron, le 'contenu' fait rayonner les voitures, installées comme des œuvres dans un musée". Elle poursuit : "Pourtant, Citroën est parti et le bâtiment est désormais vide, sombre, inhabité et sans entretien. C'est pour moi terrible du point de vue de l'esprit et du cœur, mais aussi pour mon image professionnelle : le préjudice moral que je subis est indiscutable, d'autant plus que sa localisation sur les Champs-Elysées en fait un bâtiment observé par des milliers de personnes". Elle voit dans le C42 son œuvre la plus connue, plusieurs fois distinguée et rentrée dans les collections du Centre Pompidou et de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine.
Touchée, elle déplore que le seul bâtiment neuf de la plus belle avenue du monde depuis 1975 soit remis en cause, seulement 10 ans après son ouverture. Elle s'interroge sur la volonté du propriétaire actuel : transformation ? Démolition ? "Que le bâtiment soit transformé, au mépris de tout respect du droit d'auteur, que son atrium soit comblé (pression foncière oblige), qu'il soit cloisonné et défiguré, cela serait une erreur et même, une trahison", conclut-elle.