Après le cartel du plâtre, c'est au tour des majors du BTP de subir les foudres de la justice pour ententes illicites. Bouygues - qui écope de la plus forte amende - sort toutefois indemne dans l'affaire d'un logiciel destiné à truquer les devis.

La Cour d'appel de Paris a rejugé mardi le dossier des entraves à la concurrence concernant notamment la construction du pont de Normandie et a légèrement réduit les sanctions prononcées en 1995 à l'égard de 13 entreprises de BTP, apprend-on mercredi auprès de la Cour.

Elle a notamment condamné Bouygues à 22,5 millions d'euros d'amende, Vinci Construction à 4,7 millions, Eiffage TP à 3,4 millions, Fougerolles à 2,4 millions et Quille à 1,2 million.

L'affaire empoisonne les majors du BTP depuis le 29 novembre 1995, date à laquelle le Conseil de la concurrence avait prononcé une série de sanctions concernant des ententes illicites préalables à la construction des ponts de Normandie, de Rochefort-sur-Mer (sur la Charente), de Plougastel et de celui de Gennevilliers, ainsi que des secteurs du TGV-Nord et de la connexion du TGV-Nord avec le TGV-Rhône-Alpes.

Le mécanisme de ces ententes était sensiblement le même. Pour éviter une concurrence qui pourrait faire baisser les prix, ces entreprises se concertaient pour se partager des marchés, obtenus à des prix largement supérieurs aux prévisions de l'administration. Ainsi, pour se partager le marché du pont de Normandie, Bouygues était censé être en concurrence frontale avec la Générale des Eaux de l'époque et sa filiale Campenon Bernard. Or, selon les dossiers du Canard enchaîné de janvier 1996, un cadre de cette dernière aurait avoué aux enquêteurs avoir comparé les résultats avec son concurrent et remis exactement les mêmes prix. A savoir 630 millions de francs, soit un prix supérieur de 40% aux prévisions de l'administration !

Pour les autres marchés, le prix décroché par les entreprises de BTP était également supérieur aux prévisions : +12% pour le pont de Genevilliers et +17% pour celui de Rochefort. Dans le cas du pont de Plougastel, le maître d'ouvrage a annulé le marché qu'il estimait truqué et les entreprises ont du réviser leur prix à la baisse de 30%.

Pour les marchés des TGV, ce mécanisme de cartel était sensiblement identique, à la différence que les entreprises ont pu bénéficier de la complicité de certains cadres de la SNCF.

Le verdict est donc tombé et la Cour d'appel maintient les sanctions qu'elle avait déjà confirmées le 6 mai 1997. A l'époque la sentence n'avait pas pu être appliquée car l'arrêt avait été cassé en 1999 par la Cour de cassation qui lui reprochait de ne pas avoir annulé la décision du Conseil de la concurrence, rendue en violation de la Convention européenne des droits de l'homme rappelle l'AFP. Le Conseil de la concurrence avait en effet permis à l'un de ses membres, qui avait enquêté, de siéger parmi les juges. La Cour d'appel a donc annulé mardi la décision de 1995 et a rejugé le dossier.

Le groupe Bouygues - qui écope d'une des plus lourdes amendes de l'histoire du conseil de la concurrence - échappe toutefois au pire. L'entreprise était soupçonnée d'avoir mis au point un logiciel, nommé "Drapo" dont la finalité était de gonfler artificiellement les devis par un simple calcul aléatoire, beaucoup moins coûteux qu'une étude de réalisation. Selon le concepteur, un centralien qui avait dénoncé le fruit de son travail à la justice, ce logiciel aurait notamment été utilisé pour les marchés truqués du TGV et des ponts.

Le dossier - qui est sur le bureau du juge d'instruction de Versailles Yves Madre depuis 1995 - avait permis la mise en examen de neuf personnes. Certaines d'entre-elles ont même passé quelques mois en détention provisoire. Mais, malgré plusieurs expertises informatiques, la justice n'a jamais pu prouver que ce logiciel avait été réellement utilisé et ce dossier n'a pas été rouvert après le 2 juillet 1997. Plus de trois ans nous séparent de cette date... ce qui est suffisant en matière délictuelle pour invoquer la prescription.

Quant au concepteur du logiciel, il a été licencié et ne touchera pas un centime de dommages et intérêt, le groupe Bouygues - qui a souhaité ne faire aucun commentaire sur les deux affaires - ayant également gagné au civil.

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